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Notes de lectures, notes de musique, notes sur l'air du temps qui passe. Bienvenue.

Bastien Fournier: un polar... ou autre chose?

hebergeur imageDéfis Thrillers et polars et Rentrée littéraire 2014.

Le site de l'auteur.

 

C'est le livre dont on parle dans la rentrée littéraire romande 2014: avec "L'assassinat de Rudolf Schumacher", Bastien Fournier propose un roman policier qui met en scène l'assassinat d'un homme politique nommé Rudolf Schumacher. Comme son petit livre a tout d'un roman à clés, forcément, il fait jaser. Et pour qui suit l'oeuvre de son auteur, force est de constater qu'il a quitté, l'espace d'un opus, son écriture exigeante et poétique (on pense au Cri de Riehmers Hofgarten, à Pholoé ou à La Fugue) afin d'aborder d'autres rivages littéraires, plus factuels, proches de l'action.

 

Les personnages derrière les personnages

challenge rl jeunesse

Roman à clés, ai-je dit. On a beaucoup dit que Rudolf Schumacher est l'avatar littéraire d'un certain Oskar Freysinger, personnalité politique suisse de droite dure (UDC, pour Union démocratique du centre) bien connue en Suisse romande, voire au-delà. L'auteur sait trouver les éléments frappants de cette figure pour la caricaturer avec vigueur: le personnage a un catogan, il a des ambitions littéraires, il a fait ses premières armes en politique au sein d'un parti suisse conservateur et traditionnellement confessionnel.

 

On bascule dans la caricature, par exemple, lorsque l'auteur suggère que son personnage a publié ses oeuvres littéraires à compte d'auteur: est-ce vraiment le cas? Oskar Freysinger est-il par ailleurs le seul modèle ayant servi à construire Rudolf Schumacher? Certains éléments donnent à penser que Christoph Blocher, autre figure politique suisse de droite dure, a également contribué au personnage. Sans parler du machisme supposé du bonhomme, étranger peut-être à la seule figure du modèle d'Oskar Freysinger: lorsqu'on parle de fricoter avec une secrétaire, on pense plutôt à un autre politicien devenu personnage de roman: Dominique Strauss-Kahn.

 

hebergeur image

Ceci est passé plus inaperçu: l'auteur s'amuse, à notre avis, à caricaturer une autre forte tête de l'UDC valaisanne, juvénile cette fois: Grégory Logean. Comment ne pas penser à lui lorsque l'on voit évoluer le personnage de Thomas Laurent, si fier de lui lorsqu'il porte une cravate rouge à croix blanche? La proximité phonétique des noms de famille achève de mettre le lecteur sur la piste.

 

Comme de bien entendu, tout commence par la rituelle phrase: "Toute ressemblance etc."; l'auteur entretient donc le doute d'emblée.

 

Un polar... ou autre chose?

Il est indéniable que plus d'un Suisse aurait envie d'être à la place de l'assassin de Rudolf Schumacher - dont l'auteur dessine parfaitement, jusqu'à l'excès, le côté clivant. Son adresse d'écrivain va jusqu'à suggérer deux coupables, l'officiel et le véritable: le Valais, théâtre de l'action (jamais nommé mais toujours deviné, un peu comme dans l'excellent "On dirait toi" de Sonia Baechler), a ses lois, pas toujours soucieuses de la vérité, résultant d'un certain recul face au monde.

 

Cela dit, l'intrigue policière, telle qu'elle est présentée, laissera les aficionados du genre sur leur faim: un peu d'enquête menée sans détermination, un inspecteur rapidement mis sur la touche, des chapitres brefs et courts en bouche... la police fait figure d'absente dans ce roman. La police? Certes. Mais pas Armand Fauchère.

 

C'est que ce personnage d'inspecteur a une faille: c'est un veuf inconsolable. A travers l'appât de la figure populaire de "Freysinger-dit-Schumacher", c'est cette faille que l'auteur veut faire explorer au lecteur. L'approche est simple et solide, mais elle a sa finesse. Dès le chapitre 2, on voit le policier fréquenter mollement une certaine Victoire - victoire qu'il n'aura jamais, comme si face à la mort, il n'était aucune victoire d'accessible. Plus loin, tous les symptômes du processus de deuil apparaissent: l'inspecteur croit reconnaître l'être aimé et défunt, il pense à la défunte à tout bout de champ, se souvient avec des sentiments mêlés de la seule fois où il l'a trompée - avec une collègue. Et puis, le ménage du veuf va à vau-l'eau: au fond, le lecteur peut être amené à se demander si Armand Fauchère, pourtant un bon professionnel de la police, n'a pas perdu le goût de vivre - ce qui amoindrit ses qualités de policier.

 

L'auteur aurait certes pu aller plus loin encore dans l'analyse de ce deuil, le travailler plus en profondeur. Mais ce qu'il en montre suffit à dire que le véritable intérêt de "L'assassinat de Rudolf Schumacher" réside ailleurs que dans l'intrigue policière. Ce roman offre certes une belle galerie de portraits, des extrémistes de gauche au rabais façon bande à Baader aux femmes qui entourent le fameux Schumacher (y compris son épouse, Wanda, qui pour le coup a marié un fameux poisson... et a d'irrésistibles appas); mais c'est en définitive Armand Fauchère qui, parce qu'il porte une fêlure, demeure le plus attachant et le plus mémorable d'entre eux.

 

Bastien Fournier, L'assassinat de Rudolf Schumacher, Vevey, L'Aire, 2014.

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S
j'ai peur, ne connaissant pas la politique suisse, de passer un peu à coté !
D
Il y a quelques finesses locales, mais globalement, le roman fonctionne bien sans ça. A noter qu'il faisait partie de la dernière sélection Babelio; je suis curieux de savoir qui va le commenter (un non-Suisse?), et comment!
L
Lisible aussi si on ne connait pas le contexte et les allusions ?
D
Elles échapperont peut-être, en effet; mais l'intrigue fonctionne aussi sans cela. Entre autres grâce à l'exploration de l'aspect "veuf" du policier, qui donne une épaisseur à ce personnage.
A
Œuvre intéressante!!
D
Certes.