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"Aout, ile, flute: corriger ces orthographes est interdit", titrait sans ambages aucunes le journal gratuit "20 minutes", dans son édition d'hier. Un article que les aficionados de l'orthographe ne manqueront pas de lire en entier... avant de prendre position! Il y est fait référence de la "nouvelle orthographe recommandée" (et non "rectifiée", comme le suggère l'article, signé Jérôme Faas), lancée en 1990 et morte de sa belle mort peu après - quitte à s'offrir le luxe d'une résurrection.
Rien de nouveau sous le soleil
Loin des débats passionnés qui ont suivi, relevons d'abord que cet article n'a rien d'une information - en fa,t on n'est pas loin du marronnier. En effet, il y a pas mal de temps qu'on dit aux élèves des écoles que certaines orthographes qui nous paraîtraient étonnantes sont en fait parfaitement admises, en raison de cette "nouvelle orthographe recommandée". Certains ont même utilisé celle-ci comme prétexte pour écrire n'importe comment...
Sont concernés, selon l'article, les accents circonflexes sur les i et les u, appelés à disparaître. C'est un peu l'arbre qui cache la forêt - ou le chapeau pointu qui cache tout un corpus de retouches. On rappellera en effet que la fameuse "réforme" s'est aussi attaquée aux règles régissant le pluriel des noms composés (oui, on peut écrire "un sèche-cheveu" et "des gratte-ciels"!), allant jusqu'à en fusionner quelques-uns: ainsi est-il possible d'écrire "platebande" ou "plate-bande", voire "plateforme" (comme Michel Houellebecq) ou "plate-forme". A cette aune, il est même permis d'écrire "douçâtre" au lieu de "douceâtre"... et "nénufar" au lieu de "nénuphar". Et j'en passe...
L'article relève toutefois, et c'est à son honneur, que cette "nouvelle" orthographe est méconnue: "Elle est tolérée, peu enseignée. Les parents n'en savent rien." Allons plus loin: elle est si méconnue, et si surprenante parfois, que les personnes chargées de lire une lettre de candidature d'un futur apprenti considéreront sans aucun doute comme une erreur rédhibitoire des graphies non traditionnelles, "ultramodernes" pour reprendre le mot de Pierre Mayoraz, coorganisateur du championnat suisse d'orthographe. Même les professionnels de l'écrit, tels les traducteurs francophones, ne sont pas toujours totalement au fait de cette évolution.
Résistance ou militantisme?
Force est de constater que longtemps, la résistance rabique fut la règle. Elle se justifiait à plus d'un titre: que penser d'une réforme imposée d'en haut, présentée pour ainsi dire comme le fruit de savants cogitant dans leur tour d'ivoire? Seul l'usage sanctionne l'évolution de la langue! Celle-ci ne se décrète pas! Et puis, si l'on s'est fait suer à apprendre le français, la jeunesse n'a qu'à faire pareil!
Face à cette approche conservatrice, se trouvent les progressistes, qui jouent la carte du militantisme, allant jusqu'à déclarer que ces évolutions sont parfaitement entrées dans l'usage. Les championnats d'orthographe recèlent quelques provocateurs, champions de ces orthographes. C'est risqué: qui dit que les correcteurs les accepteront? Dès lors, mieux vaut, comme je l'ai déjà fait à plus d'une reprise, poser la question avant l'épreuve... La position la plus extrême qu'il m'ait été donné de voir est celle des éditions Quadrature, dont les livres sont systématiquement corrigés en fonction de cette "nouvelle orthographe recommandée". Je ne peux que saluer ici l'attention quasi sans faille des correcteurs!
Une approche pragmatique
Le journaliste Jérôme Faas propose cependant un sous-article qui suggère que les habitudes sont finalement tenaces... Cela dit, la position strictement conservatrice s'affaiblit depuis quelques années: les dictionnaires usuels, Robert d'abord, Larousse ensuite, ont choisi d'ouvrir leurs pages aux orthographes recommandées. Robert les place sur un pied d'égalité avec les orthographes usuelles, Larousse les marque d'un signe spécifique. Pour les candidats, c'est une facilité; pour les auteurs de dictée, c'est gênant parce qu'ils perdent quelques sources de pièges. Ainsi la dictée de Darius Rochebin, donnée sur le stand de L'Hebdo au Salon du Livre 2014, comprenait-elle quelques pièges qui n'en étaient pas.
Face à une évolution qui a quand même près d'un quart de siècle, quelle position adopter, alors? Perso, quand je vois "vingt-et-un" ou "flute", je me demande si mon vis-à-vis sait écrire juste ou s'il fait usage des latitudes de la "nouvelle orthographe recommandée". D'autres seront moins réfléchis et disqualifieront sans autre forme de procès celui qui néglige les accents circonflexes ou abuse des traits d'union.
Je recommande dès lors de faire preuve de pragmatisme, en gardant à l'esprit que l'orthographe traditionnelle reste l'usage communément reconnu, fondé sur une logique comprise et admise par toutes celles et tous ceux qui sont allés à l'école et ont eu de bons professeurs. Par conséquent, il convient aujourd'hui de la préférer. Cela dit, j'avoue qu'en cas de doute, quelques accents circonflexes judicieusement oubliés ou omis m'ont déjà permis de gagner une ou deux précieuses places dans des classements de dictées...
Source de l'illustration - revue par mes soins.