Lu par Goliath.
Je commence ce billet par un aveu: j'admire les nouvelles d'Emmanuelle Urien, et son art de trouver les chutes qui résonnent comme le bruit d'une gifle en fin de nouvelle - donnant brutalement à celle-ci la couleur de l'évidence. En la matière, "La Collecte des monstres", paru chez Gallimard il y a quelques années, m'avait paru magistral. Mais je n'ai jamais eu l'occasion d'en parler sur ce blog! En me proposant de recevoir son dernier recueil "Le bruit de la gifle", les éditions Quadrature (que je remercie ici) m'offrent l'occasion d'évoquer enfin, sur ce blog, Emmanuelle Urien et son art consommé de la nouvelle.
"Manipulés sans ménagement", dit la quatrième de couverture de ce nouvel opus au sujet des personnages - et c'est peu de le dire. Dès la première nouvelle, "Pain, beurre, chocolat", l'auteure plonge dans les affres de la vie d'un orphelin recueilli par un oncle et une tente pour le moins hyperactifs qui transforment la vie du jeune en enfer. L'auteure n'hésite pas à aller aux extrêmes, suggérant que le garçon dort peu, déteste tout ce que ses parents adoptifs aiment, dans un jeu incessant de miroirs inversés. Bien sûr, chute il y a; et surtout, il est question de livres, le gosse aimant cette activité contemplative qu'est la lecture.
La lecture, "ce vice impuni", revient dans la dernière nouvelle du recueil, "Insulaire", sous la forme d'un élément à deux facettes: si elle rapproche les êtres au début, elle finit par les éloigner, après quelques épisodes emplis de lyrisme. Clôture sur le mot "fin" qui ponctue une grave question sociale, retour d'un thème: il n'en faut pas plus pour comprendre que "Le bruit de la gifle" est un ouvrage dûment construit. Comme pour en souligner l'importance, le thème du livre a du reste un relais dans la nouvelle éponyme "Le bruit de la gifle". L'auteur montre ainsi qu'un recueil de nouvelles, c'est un livre qui contient plusieurs livres...
Une certaine amertume accompagne chacune des nouvelles de ce recueil, une amertume qui renforce l'humanité des personnages mis en scène. Cela n'empêche pas un esprit pétillant par moments, par exemple dans "Les pieds dans le plat", une fausse nouvelle policière où tout tourne autour d'un dialogue entre deux policiers et une femme charmante, mais aussi d'un gigot. Cela, sans oublier l'humour noir, terrible, de la chute de "Tableau de chasse" - une nouvelle qui part sur un incipit a priori paradoxal: "Personnellement, j'ai toujours été très famille. Malheureusement, en fait de parents proches, je n'ai plus que mon père, et sans doute pas pour très longtemps: je songe en effet à m'en débarrasser."
Toute humanité n'est pas mise à part ici; reste que l'auteur sait, à l'occasion, retracer l'exercice de funambule que cela peut représenter. On pense en particulier à la nouvelle "Têtes mortes", où seule la carapace du métier permet à un fils de trouver une issue humaine et acceptable à une rencontre inattendue avec son père, disparu vingt ans auparavant.
Dix nouvelles, dix circonstances et plus d'une destinée humaine: si l'auteure ne recule jamais devant le geste vigoureux, si certaines de ses nouvelles ont la sécheresse d'une gifle, elle sait aussi dépeindre les grands désarrois et les petits bonheurs de notre humanité. Entre humour et cruauté tendre, l'auteure confirme ici, sur une centaine de pages brillantes, son indéniable talent dans l'art de la nouvelle.
Emmanuelle Urien, Le bruit de la gifle, Louvain-la-Neuve, Quadrature, 2014.
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