Notes de lectures, notes de musique, notes sur l'air du temps qui passe. Bienvenue.
Idée de Celsmoon.
Avec: Abeille, Alex, Amos, Anjelica, Ankya, Azilis, Bénédicte, Bookworm, Cagire, Caro[line], Chrestomanci, Chrys, Edelwe, Emma, Esmeraldae, Ferocias, Fleur, George, Hambre, Herisson08, Hilde, Katell, L'or des chambres, La plume et la page, Lystig, Maggie, Mango, Marie, MyrtilleD, Saphoo, Schlabaya, Séverine, Sophie57, Tinusia, Violette, Yueyin, Zik
Libera me domine de morte aeterna
Depuis toujours, poudre d'étoiles,
l'homme a laissé des traces de sa venue
terrestre. Dès l'aube, il choisissait
le silex et posait des couleurs dans les grottes,
sur les arbres des signes.
Superbe, obstinément, il gravait
son visage météore sur tous les murs
du monde.
Visage exsangue, rongé par la lèpre
et le temps. Le nez s'effrite,
la bouche s'effondre peu à peu.
Jamais l'homme n'arrachera la mort
de sa chair: ils sont liés
comme le cavalier à sa monture
dans la même chevauchée.
Hanté par Dieu, il a délivré de la pierre
et délivré du bois des êtres
plus vrais qu'en vérité de chair.
Et sous ses doigts sculptée,
la matière respirait.
La matière n'a pas le souffle
en elle, elle n'est qu'une image
du vivant.
Mais regarde comme il scintille,
l'homme, comme il luit, plus beau
que tout ce qui l'entoure dans la création.
Narcisse, souviens-toi, tu t'es noyé
jadis en t'adorant toi-même.
Regarde les cathédrales, les villes
du monde: leurs pierres chantent
l'éternité, défient le ciel.
Gratte-ciel gratte le ciel
tu t'y brûleras les ailes!
Tour de Babel, tour de Babel
y perdras ton missel!
Assez! Fini ce persiflage!
L'homme a inventé l'écriture:
La plume trempée dans la lumière
crève la mort comme une peau
de tambour.
Ecrire: porter à mains nues
le feu superbe. Capturer l'univers.
Rompre l'escalier immatériel du temps
qui tourbillonne. Guetter les mots
venus boire à la page, insectes légers
pris au filet, les coucher sur chiffon
ou soie de Chine...
... piège de soie, mâchoires de papier!
Le livre est une trappe...
... il est matrice de vie.
... où les mots figés dans leur élan
agonisent.
Je veux la parole libre
entre les bras du vent, libre de danser,
audacieuse sur les lèvres.
A peine tombée des lèvres,
elle retourne au silence,
aux sables, à l'oubli.
Moi je ne laisserai pas devenir
proie du néant les prophéties,
les combats de la nuit,
ni piétiner l'herbe douce des yeux,
ni s'éteindre la voix de mes pères.
"Et des anges de Dieu montaient
et descendaient le long de l'échelle."
Je porterai la voix jusqu'aux entrailles
du livre, et la parole vivra.
Si je les dis avec de l'encre,
figer peut-être les émois, changer
en signes immobiles des cris vivants:
"Qu'il me baise des baisers de sa bouche!"
Mais de la plume, creuser des puits
d'or à l'horizon, retenir l'instant,
le crépuscule qui déjà se signe,
jouer l'amour - fumée rime
avec étreinte, la soif avec les nuées -
composer l'inachevé,
jusqu'à ce que naisse
le livre.
Un fragment du divin entre les doigts,
palpe le manuscrit, ouvre-le, communie!
Le parfum de l'encens est demeuré intact,
la lumière crispée des ors étincelle.
De la page neuve jaillit rituelle
la mémoire, l'empreinte de la voix,
les prières retrouvent leurs ailes.
Ouvre le livre: le monde, l'âme
fluide des vivants restituent leur volubile
splendeur.
Laurence Verrey (1953- ), Vox aeterna, Le Mont-sur-Lausanne, Editions Ouverture, 1993.