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22 juillet 2013 1 22 /07 /juillet /2013 18:47

hebergeur imageLu dans le cadre du défi Nouvelles.

 

Paris toujours, de préférence les quatorzième et quinzième arrondissements. Et le canton de Vaud, de temps en temps quand même. Tout cela pour un recueil de nouvelles qui pourrait se passer partout ailleurs. "Festival" est un petit livre qu'on déguste volontiers, à un rythme lent qui est fort agréable, même si l'on est habitué aujourd'hui à plus de rapidité, et qui cache une incroyable densité. Au-delà, les sept textes signés de l'écrivaine suisse Clarisse Francillon qui composent ce recueil nous interpellent encore, au vingt et unième siècle, en raison de leur manière intemporelle de peindre les rapports humains. Leur première parution remonte à 1958; les éditions Plaisir de lire ont eu mille fois raison de les exhumer en 2010 et, ce faisant, de leur donner une nouvelle vie, succinctement évoquée par une postface signée Catherine Dubuis.

 

hebergeur imageOn peut imaginer par exemple l'effet qu'a dû faire la première nouvelle du recueil, "Festival", sur le lectorat des années 1950, puisqu'il y est question des amours troubles entre deux femmes. Pour qui a lu "Le Désaimé", le style de l'auteur paraîtra assez sobre et neutre, soucieux de ne prendre parti pour personne et de ne pas glisser dans une familiarité qui eût paru, peut-être, de mauvais aloi. Si froide ou hautaine qu'elle puisse paraître, cette prise de distance est cependant pertinente: il est question ici de personnes qui ont atteint un certain niveau de vie, loin de la peinture des classes populaires - dans laquelle l'auteur excelle par ailleurs. Sous les apparences, cependant, le lecteur attentif saura trouver dans "Festival" d'extraordinaires moments de sensualité: dès lors qu'un épisode commence par "Dis... est-ce que tu me remontrerais tes machins, ça m'amuserait de les voir.", le lecteur sait, s'il ne l'a pas compris avant, qu'il plonge dans un univers métaphorique où les deux flûtes d'Alberte (une grande flûte et un piccolo en ébène, matériau sensuel) ne sont rien de moins que la promesse... d'autre chose. Une promesse qui reste ouverte alors qu'Hélène reprend le train, laissant le lecteur avec une seule question: Hélène la provinciale mariée et Alberte la flûtiste aux moeurs libres vont-elles se téléphoner une fois qu'Hélène aura repris le train? Cette nouvelle ne donne guère de réponse, même si l'écriture tend à la réponse négative, tant il est vrai - et tout le monde le sait - qu'une personne qui dit "je te rappelle" ment forcément. En fin de lecture, le lecteur devra donc se contenter des ambiances troubles de "Festival", omniprésentes, baignées de musique classique et d'impératifs familiaux mis à l'épreuve de la vie. Et comme l'auteur sait le combler, cela ne devrait pas poser de problème.

 

Habitué à des entrées en matière très directes, le lecteur actuel sera peut-être désarçonné par la relative lenteur avec laquelle chaque nouvelle de ce recueil se met en place. L'auteur sait cependant faire son miel de scènes d'exposition à rallonge fortement détaillées, et elle en fait la preuve avec "La Fille de salle". Certes, l'entrée en matière est passionnée, puisqu'on s'embrasse sur le palier; plus tard, cependant, le lecteur voit arriver peu à peu tout l'entourage du jeune homme amoureux, et va finir par se demander quand s'arrêtera cet encombrant cortège, quasi théâtral, fait de grand-mères qui ont chacune leur surnom, d'un grand-père handicapé,...

 

Et si le lecteur se délecte de telles astuces, il appréciera aussi, là-derrière, la finesse de l'observation des relations interpersonnelles, dans des circonstances qui nous paraissent peu naturelles alors que la vie de l'immédiat après-guerre les ont imposées. C'est là que le lecteur replonge dans l'ambiance des quatorzième et quinzième arrondissements de Paris, vus comme populaires et peuplés de gens qui, déjà, fréquentaient les bistrots, trouvaient la vie chère et recherchaient des combines. En matière d'interactions entre personnages, la nouvelle qui clôt le recueil, "Rue des Terres-au-Curé numéro 7" est exemplaire: on y retrouve une communauté d'habitants d'un appartement un peu troublée par l'arrivée d'une Norvégienne charmante et sans le sou. L'argent est le moteur de cette nouvelle. Les démarches comptables, la répartition des frais y tiennent une bonne place et dictent les rapports de force: dans l'équipe, c'est le banquier qui tient les cordons de la bourse et qui doit quoi, dans un contexte où tout est compté et où les revenus, irréguliers, empêchent toute perspective d'existence à long terme. Ce que l'auteur démontre en soignant le détail, par exemple en donnant à voir une vaisselle dépareillée. Show not tell, dit-on aujourd'hui dans les cours d'écriture créative... 

 

Relations humaines toujours dans la nouvelle "Mais il y a", un jeu complexe où le lecteur a intérêt à se montrer attentif dès les premières lignes: il y a une fille adoptive, un père et une mère qui paraissent un couple recomposé, un voisin aux visées troubles... La nouvelle se concentre dès le début sur le personnage de Cousse et, en présentant ses petits travers, paraît vouloir le présenter comme un personnage bonasse et attachant. L'est-il vraiment? L'auteur fait tomber les masques, non sans emmener son lectorat dans une nouvelle aux accents faussement décontractés qui paraîtront finalement ironiques. Cela, dans un décor populaire qui rappelle "Le Désaimé".

 

Modernité également, enfin, dans la plus vaudoise de ces nouvelles, "Le Banquet des ombles", qui parlera sans doute aux personnes qui s'intéressent aux religions et à leurs dérives: en tournant les pages, on songe facilement à l'idée d'une secte malsaine d'inspiration chrétienne, évangélique peut-être, capable en tout cas de capter les êtres et leurs biens matériels. Cette nouvelle est sous-tendue par deux forces avant tout: d'une part, une entrée en matière mystérieuse où tout commence par la vision d'une jeune femme qui se rend dans une cave sans qu'on sache tout de suite ce qu'elle vient y faire, et d'autre part, une scène de confession périlleuse. Et pour nouer le bouquet de manière astucieuse, il faut bien une "chevalière" aux "ombles", fussent-ils eux-mêmes chevaliers, qui vivent sur les rives du lac Léman. L'auteur y pourvoit!

 

Le lecteur d'aujourd'hui dont donc accepter que les expositions de ces nouvelles, assez longues elles-mêmes, se prolongent, et être attentif dès les premières pages. Il en sera récompensé en goûtant le moment de l'intrigue où le grain de sable introduit dans le système va déployer ses effets - on pense par exemple à la fille mal lunée de "La Ligne", qui finira par lâcher ce que sa mère aurait préféré celer. Alors? A la fois bien de leur époque, modernes voire familières dans leur écriture et intemporelles dans leurs peinture des relations humaines dans toute leur complexité, les nouvelles du recueil "Festival" de l'Imérienne Clarisse Francillon méritent, aujourd'hui plus que jamais, d'être redécouvertes.

 

Clarisse Francillon, Festival, Lausanne, Plaisir de lire, 2010. Couverture de Serge Lador.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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