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3 août 2015 1 03 /08 /août /2015 20:57

Girandon CordeMaude et Jean vivent ensemble. S'aiment-ils encore? Troisième livre de Thierry Girandon, premier paru chez Utopia Editions, "La corde ou la cagoule" s'ouvre sur une scène qui les montre au lit. Et le lecteur comprend assez vite que quelque chose ne va pas. Du coup, il va accrocher à ce roman qui emprunte quelques éléments au polar mais est aussi et surtout la peinture de quelques personnages humbles mais désireux de changer un sort terne. Le tout, nimbé d'un joli soupçon de rêve qui fait lorgner "La corde ou la cagoule" vers le conte.

 

Le lecteur sera avant tout frappé par l'attention portée aux corps, à leurs parties, à leurs interactions - un aspect déjà très présent dans "Amuse-bec", recueil de nouvelles précédemment paru. C'est souvent par le fonctionnement des corps que l'auteur montre les réactions de ses personnages: jouissance, peur, etc. Cela, avec justesse, mais je n'en dirai pas plus - si ce n'est que ces évocations sont crues, cash et sans concession.

 

Il y a par ailleurs un grain de folie dans les dialogues, composés de répliques délirantes qui claquent et montrent un sens certain du non-sens et invitent le lecteur à regarder le monde autrement. Ce regard différent est celui de l'auteur, un point de vue original sur la société dans laquelle nous vivons, et en particulier sur les gens: toute l'intrigue tourne autour d'un hypermarché tout neuf - et une tentative brindezingue d'enlèvement du patron de ce temple de la consommation en est le moteur.

 

Le lecteur goûtera en outre avec délice quelques moments en décalage total avec une narration réaliste: tel personnage dévisse sa tête et la pose sur sa table de nuit, par exemple. L'exemple le plus frappant est la figure du Premier Ministre d'un improbable Président de la République: le Ministre est au format de poche, suggérant de façon transparente la figure du petit exécutant face au grand décideur. Ce rapport hiérarchique implacable, au plus haut niveau, semble faire écho aux relations hiérarchiques qui régissent le fonctionnement d'un hypermarché.

 

Enfin, l'auteur trouve la bonne distance en matière de localisation, en suggérant que son intrigue se tient à Saint-Etienne mais sans jamais nommer franchement la cité ligérienne: noms de rues suggestifs, mention de la Loire, rappel de ce qui a fait le passé de Saint-Etienne. Reste que la géographie du roman entretient un flou digne de certains beaux contes.

 

Ainsi, entre décalages suggestifs et flous artistiques maîtrisés, l'écrivain ligérien offre un roman tout à fait dans la lignée de ses précédents ouvrages, dont on goûtera les éclats, la truculence et le sens de la formule, mais aussi la tendresse du regard que l'auteur porte sur ses personnages, avec une prédilection pour les plus anonymes.

 

Thierry Girandon, La corde ou la cagoule, Lyon, Utopia Editions, 2015.

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20 octobre 2014 1 20 /10 /octobre /2014 20:55

partage photo gratuitLu par Books Bunny.

Le site de l'éditeur.

 

Après un premier roman intitulé "Les Faux cils et le marteau", dont il a été question par ici, l'écrivain stéphanois Thierry Girandon régale son lectorat avec un recueil de nouvelles. On retrouve dans "Amuse-Bec" le sens de l'image et de la poésie qui caractérisent "Les Faux cils et le marteau", de même qu'une approche sociale attentive aux petites gens, aux anonymes, aux personnes en difficulté ou en panne dans leur vie. Et si ces personnages sont dessinés de façon rapide, brièveté du genre de la nouvelle oblige, force est de constater que ceux-ci sonnent toujours juste.

 

Quelques constantes traversent "Amuse-Bec", la plus frappante étant la peinture des vicissitudes du corps. Celui-ci est volontiers malmené, et à ce titre, la nouvelle "Adieu", un brin étrange et kafkaïenne, s'avère exemplaire puisqu'elle met en scène un enfant qui se dématérialise peu à peu sous les yeux de ses parents impuissants. L'auteur va jusqu'à éclater les corps, d'une manière volontiers brute de décoffrage, à l'instar de la peinture d'une décollation impromptue dans "La Marotte", ou à les montrer de près, sans reculer devant la nudité.

 

Autre constante, stylistique celle-ci: l'auteur a le souci constant de recréer la voix qui convient à la situation et aux personnages, et de construire un rythme pertinent, entre autres à travers des dialogues crédibles. Les phrases de l'auteur sont souvent brutes de décoffrage, crues; elles n'excluent cependant pas une tendresse indéniable, par exemple dans le portrait de la vieille dame du "Dernier sou". Un brin surréaliste, l'ambiance de "Bleu" a quant à elle quelque chose de la bluette cruelle.

 

Il parvient aussi à trouver les bonnes images, avec une prédilection pour les écrans, qui peuvent servir de paravents ou de boucliers. Nouvelle onirique s'il en est, "Le Rêve de l'autre" oscille entre le fantasme d'un somptueux moment de sensualité avec Hélène et le quotidien difficile du personnage principal, un clochard. L'onirisme est encore accentué par la localisation erratique: certes, on se trouve au bord d'un fleuve, mais est-ce le Rhône, le Prout, la Seine...? Enfin, l'auteur se livre à un beau moment de poésie autour des déchets, qui deviennent de belles choses avec un peu d'imagination.

 

L'obsession de l'éclairage artificiel est présente dès la première nouvelle du recueil, "Il n'y a plus beaucoup d'enfants qui viennent", qui se passe dans un bar - et dans ses environs, ce qui permet à l'auteur d'éclabousser son récit au moyen des lumières crues des vitrines. Cette obsession est aussi le signe le plus voyant d'une attention constante aux décors, toujours soignés dans le recueil, dans l'optique de créer des ambiances.

 

Attention à des personnages contemporains anonymes, musique des mots: les constantes d'"Amuse-bec" en font un recueil de nouvelles cohérent, parfois sombre, parfois lumineux - que ce soit grâce à l'éclairage au néon ou à la lumière d'une poésie de tous les instants.

 

Thierry Girandon, Amuse-Bec, Lyon, Crispation Editions, 2014.

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