Pour plonger dans le Moyen Age, ils s'y sont mis à deux. "Ceux de Corneauduc" est signé de Michaël Perruchoud et Sébastien G. Couture. Au départ, il s'agissait d'un roman burlesque publié en ligne sur le site Internet de l'éditeur. C'était il y a un lustre ou deux... A présent, les péripéties du duché de Minnetoy-Corbières ont droit à leur codex. C'est mérité.
On imagine volontiers les deux auteurs s'amusant à écrire tour à tour un épisode de ce feuilleton. Cela dit, "Ceux de Corneauduc" est un livre d'une parfaite unité stylistique. Le langage employé résonne de tout ce qui peut faire médiéval: des articles omis, des tours archaïques, un vocabulaire recherché qui sonne ancien et même quelques vers de mirliton. Ce travail sur le langage est valorisé par des tours elliptiques ou astucieux qui, en particulier dans les dialogues, révèlent un aspect récurrent de ce roman: l'alcool. C'est que, pour le dire en français d'aujourd'hui, ça picole sec dans "Ceux de Corneauduc"!
De ce point de vue, le sens de l'hyperbole n'est pas sans rappeler un certain François Rabelais, et donne ainsi aux personnages mis en scène la stature de géants. On y boit par tonneaux entiers, jusqu'à ce que l'aubergiste soit piteusement à sec. Les scènes de bagarre sont parfois approximatives, quelques incohérences subsistent dans le récit (par exemple, le duc croit un peu trop facilement qu'il est le père de l'enfant que porte sa femme à la cuisse légère, alors qu'il n'est guère autorisé à la besogner...), mais qu'importe: l'ivresse est toujours là.
Les auteurs montrent par ailleurs un monde d'hommes, viril pour ne pas dire macho, où la force physique sert de ressort permanent. Alors certes, cela permet de nombreuses péripéties: pièges à ours où certains personnages restent suspendus par les pieds, scènes de taverne où la bière sert d'élément médiateur si la bagarre menace, légendes mensongères relatées par des hâbleurs, blessés rendus méconnaissables. Les femmes sont certes présentes, mais les sentiments peinent à se faire jour. La duchesse est présentée comme une Italienne cultivée égarée dans un duché inculte, et l'autre figure féminine marquante, Fanchon la jeune soubrette aux talents cachés, se voit assez vite écartée de tout jeu amoureux. L'intelligence et la culture n'ont guère leur place ici!
Les auteurs, et c'est là l'essentiel, accomplissent pleinement leur mission, qui est de faire rire au dépens de personnages forts en gueule mais finalement peu héroïques. Braquemart d'airain, Croisé de son état, transforme chacune de ses défaites en victoire avec une mauvaise foi revigorante. Les traîtres, car il en faut sur ce genre d'histoire, sont fielleux à souhait, jusqu'à la caricature. Les noms des personnages eux-mêmes recèlent à l'occasion quelques jeux de mots recherchés, pour ne pas dire meuh-meuh: qui aurait trouvé dans le baron "Du Rang Dévaux" le fameux "Ranz des vaches" (et non des veaux)?
La truculence et l'humour gaulois se bousculent dans ce feuilleton burlesque, vigoureux, présenté comme "le plus éthylique du Web" par l'éditeur. On pense fabliau, on songe Rabelais, on joue avec les mots... et en définitive, on rigole bien.
Sébastien G. Couture et Michaël Perruchoud, Ceux de Corneauduc, Genève, Cousu Mouche, 2015.
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