Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
11 octobre 2015 7 11 /10 /octobre /2015 18:22

Lador Vierge

Pierre Yves Lador est un ogre de l'écriture. Il se montre dionysiaque dans "La vierge branlante", un opus d'une trentaine de pages aux accents érotiques. Vivantes et colorées de couleurs chaudes, les illustrations de macbe ajoutent encore à la fête des sens offerte dans ce petit livre.

 

Il y a d'abord le titre, qui a de quoi intriguer et suggère de multiples lectures. Qui est cette vierge? On pense immédiatement à sa virginité vacillante, mise à l'épreuve au fil de pages aux accents progressivement dionysiaques, où l'auteur n'a pas son pareil pour décrire orgies et bacchanales. Mais on peut aussi songer à la masturbation, pour laquelle la fameuse vierge n'hésite pas à mettre la main à la pâte.

 

Mais tout commence dans l'ambiance classique quoique prometteuse d'une soirée de lectures de textes érotiques, suivie d'une rencontre entre le narrateur et la vierge. Et dès lors que le nom de cette dernière est donné, le narrateur va vivre une forme d'initiation, rituel sans cesse divers, et plonger dans un univers orgiaque et surnaturel. Sacré, même? On peut le penser, d'autant plus que la virginité de la jeune femme (18 ans) qui est au centre du récit a tout d'un voeu religieux, y compris la fermeté.

 

Si le titre suggère plusieurs lectures, les symboles et doubles sens ne sont pas absents du texte "La vierge branlante" proprement dit. Cela, sans parler des objets qui font image: un oeil de verre, des fruits pelés avec sensualité. Ou de danses qui ont tout de la danse des sept voiles de la figure biblique de Salomé. Et si la vie des sens est évoquée par de telles images, elle est aussi omniprésente dans l'écriture de l'auteur, idéale pour un tel sujet: les phrases sont longues et tentent en permanence d'embrasser un absolu, le vocabulaire est opulent, les sons s'y entrechoquent en une harmonieuse symphonie de jeux de mots, les idées s'interpellent.

 

Au moins une fois, Pierre Yves Lador a déjà offert à ses lecteurs un autre texte touchant à l'érotisme, "Chambranles et embrasures" - c'était tout un roman. Avec "La vierge branlante", il propose une miniature réussie et curieuse, qui célèbre avec générosité et densité la beauté des mots comme celle de la vie des sens.

 

Pierre Yves Lador, La vierge branlante, Lausanne, éditions HumuS, 2014. Illustrations de macbe.

Partager cet article
Repost0
26 juin 2015 5 26 /06 /juin /2015 20:23

Lador ChevauxLu par Francis Richard.

Le site de l'éditeur.

 

Qu'il est mystérieux et curieux, l'univers mythologique installé par Pierre Yves Lador pour son dernier recueil de nouvelles, "Les Chevaux sauveurs"! Dix nouvelles sont réunies ici, reliés par l'action de chevaux condamnés, pour leur rédemption, à sauver un millier d'humains. Un mythe, dix légendes...

 

Ce n'est pas un ouvrage répétitif, comme on pourrait le craindre. Certes, les chevaux sauveurs jouent leur rôle dans chaque récit. Mais c'est peu de chose: l'auteur montre vite que l'essentiel est ailleurs. Le lecteur va donc se retrouver face à dix textes d'une grande inventivité narrative, qui jouent avec le très ordinaire, le terre-à-terre (un alpiniste a perdu sa banane, dans "La sacoche perdue") ou flirtent avec la philosophie et ses éthers - le banal allant du reste souvent de pair avec l'exceptionnel. Superbe est par exemple l'évocation de Lausanne, archétype du vide, dans "Lausanne ville évidante".

 

Cela ne serait rien encore si l'auteur n'était d'une inventivité verbale hors pair, qui fait de lui une voix bien identifiée, unique, dans le milieu des lettres romandes. "Les Chevaux sauveurs" se caractérise par une opulence verbale rare. Il y a d'abord la richesse du vocabulaire. Celle-ci est encore démultipliée par le jeu des échos et sonorités qui naît naturellement entre les mots, et que l'auteur prend un malin plaisir à renforcer, quitte à surprendre, à intriguer. Et tant qu'à faire, il va jusqu'à utiliser le lexique du terroir: les helvétismes, voire les vaudoisismes, sont présents et s'intègrent sans complexe dans le riche tissu du langage de l'auteur.

 

Les tours typiquement romands ont du reste tout à fait leur place dans un récit qui assume son ancrage local. Les mystérieux chevaux viennent du Pays d'Enhaut et plus d'un lieu romand, voire vaudois, est évoqué - comme si l'activité de ces chevaux sauveurs se limitait à un terroir, malgré la possibilité offerte d'aller plus loin (les trous dans la roche, qui débouchent sur quelques contrées lointaines: "L'Aéroport inutile" se joue à Ifriqiya, "J'ai épousé une spirochète" évoque l'îlot polynésien de Tikopia). Oscillant entre l'ici et l'ailleurs,, l'auteur n'hésite pas à évoquer les Alpes, avec ce qu'elles peuvent receler d'inquiétant ("Vêle de nuit bénévole", où tout se noue dans une télécabine en panne).

 

Signant avec "Les Chevaux sauveurs" un recueil dont chaque texte a des allures de conte moderne, Pierre Yves Lador ne renie nullement sa fringale de jouer avec les mots afin d'en épuiser le sens, le suc et les sonorités. On reconnaît sa plume dans certaines phrases longues, aux longues énumérations. Une fois de plus, l'écrivain vaudois cherche à embrasser l'univers en une poignée de mots. L'auteur ne recherche pas les voix de ses personnages (sont-ils l'auteur, d'ailleurs?), et les dialogues sont presque absents de ce livre, mais qu'importe! Cela donne une écriture dense, juteuse, qu'on prend le temps de savourer avec bonheur et de sucer jusqu'à en goûter la quintessence.

 

Pierre Yves Lador, Les Chevaux sauveurs, Vevey, Hélice Hélas, 2015. Illustrations d'Adrien Chevalley, postface d'Alexandre Grandjean.

Partager cet article
Repost0
8 juin 2014 7 08 /06 /juin /2014 15:21

hebergeur imageLu par Francis Richard, Frédéric Vallotton.

Le site de l'éditeur, Olivier Morattel.

 

Vorace, insatisable, l'écrivain Pierre Yves Lador laisse à chacun de ses ouvrages son lectorat la bouche pleine, repu de beaux mots et de sonorités fécondes. Pourtant, à chaque fois, on en redemande. "Confession d'un repenti", son dernier opus, ne fait pas exception à la règle. Et la boulimie des mots trouve ici un écho réel, concret: l'auteur a choisi d'aborder le thème de ses propres addictions. Et tout commence par le sucre: "Au commencement ou plus tard le sucre me servit de doudou, de consolation, de compensation au stress, aux frustrations comme à chacun.", décrète l'incipit. Le ton est donné.

 

Tout trouve son origine dans la douceur du lait maternel. Le titre du premier chapitre, "Téter le monde", suggère les deux directions de ce roman: d'une part, il sera question de manger; de l'autre, l'auteur suggère une vision du monde - qui n'est pas sans rapport avec les dysfonctionnements alimentaires évoqués. Commençons par ceux-ci.

 

Le narrateur suggère avec brio l'attirance que les produits sucrés ont exercé sur lui. Cela passe par une écriture qui détaille les ressentis, qu'ils soient précis ou au contraire trop vaporeux. Lorsqu'ils sont précis, le lecteur retrouvera à coup sûr, çà et là, des impressions déjà vécues de dégustation de telle ou telle friandise trouvée dans le commerce: bac à glace, chocolat Crunch, têtes de nègre Perrier dont on casse l'enveloppe chocolatée à la cuillère, comme on décalotte un oeuf à la coque... Les marques elles-mêmes sont citées, suscitant chez n'importe quel lecteur des souvenirs de choses lues et goûtées. Par moments, face à tant de précision, on se sent comme dans l'un ou l'autre des tropismes de Marguerite Duras.

 

De là, l'auteur explore d'autres compulsions et addictions: l'addiction sociale de l'alcool et la pression de l'entourage à la consommation de chasselas vaudois, la collection compulsive de livres (le chiffre de 40 000 titres est évoqué), les drogues, les femmes (mais de façon parcimonieuse, l'auteur s'étant promis de ne pas s'appesantir sur cet aspect) et le goût des mots. Mais si l'auteur partage volontiers l'addiction, il ne partage pas la diction: celle-ci lui paraît être une manière de réduire le monde en petites cases, en en gommant ce qui passe pour des scories, et en définitive de l'édulcorer. Or, toute son écriture transpire le refus des petites cases qui en appauvriraient la saveur: "En français je travaille sur les sons et les sens, les assonances et les consonances, tel un inséminateur" (p. 148). Force est de constater que ce programme est accompli: l'auteur n'hésite pas à privilégier les sonorités évocatrices plutôt que le sens, ni à aligner les rimes en séries copieuses qui ont tout de l'association libre.

 

Refus de l'édulcoration du monde: là, on bascule dans la vision du monde que l'auteur donne dans "Confession d'un repenti". Ici, le lecteur découvre une soif d'authenticité, qui entre en dissonance avec l'envie, parfois, d'absorber du sucré, quelle qu'en soit la qualité. Quant au politiquement correct, qui change les mots en croyant changer le sens (tête de nègre ou tête au choco? L'auteur a choisi...), c'est, de l'avis de l'auteur qui le rejette, une manière de rendre le monde plus doux... donc, encore une fois, de l'édulcorer.

 

Pleines de souffle, les phrases sont souvent longues, comme peut l'être la quête d'un absolu: "Mais l'expérience m'a montré que j'avais raison de tenter l'impossible, épouser le mouvement du monde, de mon cerveau, de la découverte, au risque de perdre des auditeurs, lecteurs, mais qu'importe.", décrète l'auteur, qui ne poursuit qu'une ambition: montrer le monde et sa complexité, en s'y inscrivant. A cela vient s'ajouter, ai-je dit, un jeu sur les sonorités; il n'en faut pas plus pour qu'on ait envie, pour mieux goûter la prose de l'auteur, de les lire à haute voix - tantôt vite comme lorsqu'on dévore un bac de glace à grands coups de cuillère, par gourmandise, tantôt lentement pour déguster chaque mot: dans "Confession d'un repenti", ouvrage littéraire ample, franc mais aussi joueur, le rythme se met au service du goût.

 

Pierre Yves Lador, Confession d'un repenti, La Chaux-de-Fonds, Olivier Morattel, 2014.

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le blog de Daniel Fattore
  • : Notes de lectures, notes de musique, notes sur l'air du temps qui passe. Bienvenue.
  • Contact

Les lectures maison

Pour commander mon recueil de nouvelles "Le Noeud de l'intrigue", cliquer sur la couverture ci-dessous:

partage photo gratuit

Pour commander mon mémoire de mastère en administration publique "Minorités linguistiques, où êtes-vous?", cliquer ici.

 

Recherche

 

 

"Parler avec exigence, c'est offrir à l'autre le meilleur de ce que peut un esprit."
Marc BONNANT.

 

 

"Nous devons être des indignés linguistiques!"
Abdou DIOUF.