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12 août 2014 2 12 /08 /août /2014 19:59

hebergeur imageLu par Anniemots, Argali, Bernard Morlino, Bigmammy, Cathe, CathJack, Eric, Etats et empires, Eva Sherlev, FCardi, Fernando Couto e Santos, Jamais sans un livre, Jean-Michel Olivier, Libellus, Marie-Claude Jarrias, Nicole, Passion des livres, Pierre Maury, Serendipity, Trois Bouquins, Vendanges littéraires.

Le blog de l'auteur.

 

Il ne se passe pas grand-chose dans "Sigmaringen", le dernier roman de Pierre Assouline. Enfin, vraiment? En décrivant l'ambiance de fin de règne qui prévaut à Sigmaringen durant les huit mois où les personnalités du régime français de collaboration y ont vécu (1944-1945), l'auteur offre un regard perçant sur un petit monde qui vit en vas clos, et où la moindre des choses, dissension, vol de services, identité du chantre à la messe, etc. prend tout de suite des dimensions d'affaire d'Etat.

 

Engluée dans l'ennui, la non-action est observée par Julius Stein, le majordome du château de Sigmaringen, qui s'occupe de faire fonctionner les lieux. Cela l'amène à se mettre au service de Pétain, de son entourage et des invités (parmi lesquels un certain Louis-Ferdinand Céline), comme s'il était au service des Hohenzollern, occupants du château depuis toujours, évacués sans ménagement par un régime nazi crépusculaire. Julius Stein est-il réel, est-il inventé? L'auteur s'offre, avec lui, l'occasion d'un regard à la fois très proche et aussi peu impliqué que possible. La distance n'est cependant pas exagérée: Julius Stein est bien le narrateur, ce qui crée un soupçon de proximité avec le lecteur. Cela, d'autant plus que sa voix sonne vrai même si elle est propre et bien policée - on croit deviner l'uniforme impeccable rien qu'à l'entendre parler.

 

On sent que Julius Stein, bien que francophile, n'est pas tous les jours heureux de servir les occupants du château et n'a guère d'accointances avec le régime nazi; difficile, cependant, de savoir ce qu'il pense vraiment - l'auteur le rend fort discret à ce sujet, ce qui fait contraste avec les paroles pas toujours amènes qui échappent au personnel de maison. Enfin, à voir évoluer Julius Stein, on ne peut s'empêcher de penser au majordome impénétrable des "Vestiges du jour" de Kazuo Ishiguro. Une référence, parmi d'autres, que l'auteur assume pleinement.

 

L'auteur organise sa narration de façon rigoureusement chronologique. C'est classique; mais c'est sans doute aussi la meilleure manière de montrer le déclin progressif de la société mise en scène et la marche vers la fin du nazisme. Et aussi de donner l'impression qu'au rythme où les Alliés avancent, un piège se referme insensiblement sur ceux qui se sont engagés dans le régime de Vichy et y ont assumé des responsabilités avec ardeur.

 

Les petites affaires qui occupent le château de Sigmaringen prennent vite d'importantes dimensions, ai-je dit. C'est là que réside tout l'art romanesque de l'auteur, capable de captiver, voire de créer du suspens avec peu de chose. La plupart des personnages sont bien réels, et l'auteur ne manque pas d'en brosser le portrait littéraire, savoureux mine de rien, saisissant en tout cas, à mesure qu'ils arrivent au château. Progressivement, les rapports de force s'installent, le gouvernement réuni fait semblant d'oeuvrer - le journal "La France", diffusé au château, fait ici figure de dérisoire effort de propagande... à l'usage de qui? Romanesque également dans la répartition de certains rôles: il y a des espions dans ce livre, et aussi des traîtres, et même des amants.

 

Enfin, un certain humour, très discret mais indéniable, affleure régulièrement. Cela va de certains surnoms à l'une ou l'autre remarque. Cela, jusqu'à la finale, où résonne "Douce France", chanson de Charles Trenet interprétée par un Allemand lors d'une noce en France. Cela m'a paru ambivalent, sur le moment: est-ce un geste d'amitié entre les anciens peuples ennemis ou une improbable nostalgie de la France occupée? La fin du chapitre donne la réponse... Enfin, l'auteur serait-il en train de nous dire, à l'instar de Beaumarchais, qu'en France, tout, même les moments les plus sombres, finit par des chansons? A méditer...

 

Pierre Assouline, Sigmaringen, Paris, Gallimard, 2014.

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