Lu par Alain Bagnoud, Amandine Glévarec, Francis Richard.
Défi Premier roman.
Il y a de ces écritures qui savent s'entourer, dès le départ, d'une aura de mystère. De ces romans où le lecteur, curieux, attend, tout en se délectant d'un style léché et obsédant, qu'advienne l'action. C'est ce que l'on peut ressentir en tournant les premières pages de "Dans l'ombre de l'absente", premier roman de l'écrivain valaisan Olivier Pitteloud, actuellement enseignant à Fribourg. L'argument est vite dit: il y a une poignée de lustres, une jeune fille, Marysa, se fait violer lors d'une fête de jeunesse organisée sur l'alpage - "la dernière" - puis elle disparaît. Et trois hommes concernés se souviennent.
L'auteur ne manque pas d'évoquer les thèmes les plus évidents, à fond. Il y a en particulier cette jeunesse qui déborde, qui fête et se monte du col, ces adolescents qui ne savent pas, qui se la jouent dans les bals en apprenant l'abécédaire des sentiments et de la drague. Ceux qui y étaient reconnaîtront sans doute l'un ou l'autre aspect: les filles, l'alcool, la musique, les garçons qui se croient modernes parce qu'ils portent une chemise à carreaux, le caractère indécrottablement rural de tels événements, opposé à "la ville" - mais laquelle? N'est-elle pas simplement un lieu moins rural que le village de montagne où se noue le drame?
Trois regards donc. Certes, le premier n'est pas le plus aisé à saisir: c'est celui d'un jeune homme qui n'ose pas. L'auteur l'aborde d'ailleurs de manière détournée, en ouvrant son roman par l'évocation d'une "vieille femme [qui] fend une bûche sur un billot.". Approche qui désarçonne, mais montre aussi la voix du gars timide qui n'ose pas aborder les choses directement. L'écrivain invite donc son lecteur à approcher le sujet par la bande, le basculement intervenant presque sans qu'on n'y prenne garde, sur quelques mots: "Marysa.", puis "Il la revoit." (p. 13). La première citation du prénom de Marysa, personnage clé du roman, occupe d'ailleurs toute une phrase. C'est dire l'importance que l'auteur lui confère, et qu'il entend bien communiquer au lecteur.
Si le romancier propose à son lectorat un texte très littéraire, comme on dit, riche mais pas forcément facile à approcher, il sait donner à chacun des hommes qui considèrent les événements du passé un regard clairement personnel. Le premier observateur offre un portrait de cette Marysa fille d'immigrés italiens, jamais tout à fait à sa place dans les montagnes. Ferdi, dont le regard occupe la deuxième partie du roman, s'avère actif et dominateur, stratège même en la matière. Violeur impuni mais porteur de ce lourd secret, c'est son corps qui le culpabilise sans relâche: cauchemars, acouphènes, obsessions. Une obsession que l'auteur retranscrit, par exemple, en faisant résonner le "non" multiple, défensif ou résigné, de Marysa. Quant au regard du père de Marysa, Italien venu construire un barrage comme tant d'autres, il s'ouvre sur le pays où il vit en déraciné, confirmant le décor valaisan de ce roman.
Même disparue, Marysa hante les pages de "Dans l'ombre de l'absente". Sa disparition et les secrets qui l'entourent suscitent cris et chuchotements, dans le cadre d'un roman exigeant, dense et envoûtant qui, par flash-back, révèle la part d'ombre tragique d'une certaine jeunesse.
Olivier Pitteloud, Dans l'ombre de l'absente, Lausanne, L'Age d'Homme, 2016.
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