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13 décembre 2013 5 13 /12 /décembre /2013 20:50

hebergeur imageLu pour le défi Premier roman.

Le site de l'auteur.

Le site de l'éditeur.

 

Est-ce de Suisse que reviendra le retour en grâce de Louis-Paul Guigues (1902-1996) auprès des lecteurs? Si la prose de cet auteur français natif de Gênes a été saluée de son vivant par des pointures telles que Michel Butor, Philippe Jaccottet ou Roger Nimier, force est de constater que cet auteur est aujourd'hui bien oublié. Il a fallu, dès lors, qu'un Patrick Amstutz, poète biennois et directeur de la collection éditoriale Maison Neuve, se penche sur ses écrits pour qu'enfin, le premier roman de Louis-Paul Guigues, "Labyrinthes", paru en 1947 chez Gallimard, retrouve le chemin des lecteurs en ce début de XXIe siècle. Pour le plus grand bonheur de ceux-ci.

 

"Est-ce parce que je rêve souvent de salles immenses, froides, somptueuses de proportion et presque nues...": pas besoin d'aller jusqu'au bout de la longue première phrase de ce bref mais riche roman pour comprendre l'ambiance dans laquelle l'auteur plonge. Débutant dans un flou artistique qui se précise peu à peu, la description d'une certaine architecture, ruisselante et infinie, fait immanquablement penser à certaines constructions de Jorge Luis Borges. Et tout au long de "Labyrinthes", l'auteur conférera une richesse particulière à ses descriptions architecturales. Ce que suggère la longueur de l'incipit, promesse de richesse et de... labyrinthes.

 

L'idée de nudité renvoie aux sentiments et affinités électives qui dictent les comportements des humains. Cela part d'un mystère romantique: un artiste tombe profondément amoureux d'une femme, sans l'avoir rencontrée, simplement à la vue de certains de ses objets. C'est cependant au contact d'un modèle d'académie, Claudia, que la notion de nudité prend tout son sens. Il y a là quelques très belles pages, qui creusent le regard de l'artiste sur son modèle. Un regard troublé, qui se défend de toute sentimentalité en prenant ses distances, de manière ambivalente cependant: "Quand je regardais les yeux de Claudia, je me disais qu'ils pouvaient être les miroirs de vastes pensées, tellement le les trouvais profonds. Mais aussitôt je découvrais combien ils étaient vides. Ce regard me faisait de nouveau penser à la voûte céleste: le ciel n'a pas de pensée: lui seul peut être aussi nonchalant, aussi dédaigneusement, aussi suprêmement inintelligent. Tel était le visage de Claudia."

 

La figure de Claudia hante du reste la scène clé de ce roman. Décédée, elle est disposée à la table d'une équipe de joyeux commensaux qui philosophent en sa défunte présence. Visuellement, cette scène a tout d'une de ces photographies post mortem qui ont connu leur heure de gloire sous l'ère victorienne et où les vivants mettent en scène un proche défunt dans le souci de reproduire des scènes de vie. Au-delà du rappel de cette tradition, avatar du daguerréotype, l'auteur rappelle, dans cette scène où des hommes bien vivants débattent en présence de Claudia morte, que la distance entre la vie et la mort est faible. Cela qui fait écho à la description des conditions du décès de Claudia: l'auteur les évoque brièvement, donnant au lecteur l'impression qu'au fond, elle n'est pas vraiment morte. Et puis, l'on songe à Paul Delvaux...

 

Et puis, l y a le mysticisme, la philosophie, Dieu, tout ça... Si l'intrigue est assez légère, l'auteur s'en sert sans compter pour donner toute leur place à des dialogues philosophiques où les idées s'affrontent et s'exposent en de longues répliques. Le lecteur aura l'impression que le choc des idées naît entre quelques jeunes gens exaltés, et il n'aura sans doute pas tort. Là-derrière, sur un décor à l'architecture flamboyante, reste toujours le leitmotiv romantique de la quête d'un être aimé mais jamais vu. Sans compter des réflexions sur la création artistique, sur la base du souhait, émis par l'un des personnages, peu habile du point de vue littéraire, que le mot "ciel" soit féminin: "cielle". Cette impossibilité ouvre à son tour quelques portes pour l'écrivain...

 

On pourrait se dire qu'un tel ouvrage est d'abord difficile. Mais il n'en est rien: l'auteur écrit d'une façon fluide et claire, dans le souci d'entraîner son lectorat dans une lecture rapide et agréable, mais susceptible de faire réfléchir. Ainsi se retrouve-t-on accroché dans "Labyrinthes", un ouvrage où l'on ne se perd pas: un peu sinueux, le voyage mène chacun à bon port, au gré de dialogues qui, souvent, épousent le ton de la conversation et de l'échange d'idées.

 

Louis-Paul Guigues, Labyrinthes, Gollion, InFolio Editions, 2013. Postface d'Henri Raynal. Couverture: Emile Angéloz, Forme intérieure, 1986, photographie d'Alissa Deschamps. 

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