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11 mai 2016 3 11 /05 /mai /2016 22:23

Roubaudi PourboireLu par A-Lire, Seren.Dipity, Toute la culture.

Le blog de l'auteur, le site de l'éditeur.

 

Si "Le pourboire du Christ" est le récit rocambolesque d'une arnaque, il est certain que pour son lecteur, ce roman de Ludovic Roubaudi n'en est pas une! L'écriture est fluide et porte, avec un humour certain, un récit construit en crescendo autour d'escroqueries qui se gonflent et se dégonflent au gré des situations, dans une manière quasi cinématographique.

 

Le roman est centré sur le personnage de Rodolphe, figure banale a priori. Il est cependant doté de quelques caractéristiques déterminantes: il a un sexe avantageux (comprenez: une grosse bite!) et n'a guère de scrupules. Tant qu'il accepte des positions subalternes, ça va: au début du roman, il rédige humblement de fausses lettres de lecteur pour la presse érotique. Pour aller plus loin, cependant, Rodolphe doit lutter: il ne sera jamais hardeur car son sexe a ses limites, et restera dans les couloirs obscurs de l'adminstration du porno. Dès lors, ses tentatives d'arnaques, en écho, auront aussi leurs obstacles.

 

Le personnage quasi picaresque de Rodolphe s'intègre dans une jolie brochette de figures sans scrupules. Invariablement, l'auteur explique cette manière de vivre par une enfance difficile, marquée par des abandons et des trahisons. Certes, c'est un peu facile d'utiliser la même ficelle, d'ailleurs souvent exploitée dans d'autres littératures, notamment américaines, pour plusieurs personnages. Mais plutôt que de se préoccuper de ce genre de détail bassement technique, le lecteur va rapidement se demander qui va tirer son épingle du jeu: Rodolphe le narrateur (qui a souvent le dessous), Ramon Tripier le producteur de films porno (qui porte un nom suggérant qu'il aime la chair fraîche... bel exemple d'aptonyme, quoique inattendu!) ou sa mère, la baronne. C'est que la police est sur les dents, et qu'il faut faire vite...

 

Réunis par les circonstances, les trois escrocs vont essayer de faire marcher une équipe de grenouilles de bénitier du Grand ouest parisien. L'auteur donne libre cours à son goût de la caricature, et ça marche: sous sa plume, réduits à leur sécheresse, les arguments les plus sérieux du monde conservateur et réactionnaire, obtusément catholique et traditionnel, en prennent pour leur grade. L'auteur installe, cela dit, une dialectique où les répliques des escrocs ont aussi leurs travers, marquées qu'elles sont par une langue de bois certifiée: dans le marché de dupes en crescendo qu'installe l'écrivain, personne ne sort vraiment grandi. Pas de manichéisme donc, ou si peu...

 

L'auteur exploite joliment l'obsession de Rodolphe pour le sexe, en un crescendo amusant et dérangeant à la fois. Il fait intervenir deux personnages féminins moins innocents qu'il n'y paraît: Gertrud Ball (oui, il a osé! Et elle exerce le métier de doublure anale, c'est dire...) et Fabiola de Kempcke, caricatures d'une certaine misandrie, permettant à l'écrivain de développer de jolis retournements de situation.

 

Le lecteur se laisse donc embarquer dans ces histoires d'arnaques qui vont en crescendo, jusqu'à jouer, pour soutirer du fric aux bourgeois, sur un péril islamique fantasmé: "Le Pourboire du Christ" date d'avant les attentats de 2015. Au-delà de ce constat, le lecteur note aisément que ce roman est aussi une vaste fable sur une brochette de personnages qui mentent tout le temps, en s'inventant un passé plus ou moins mythomane ou en s'octroyant un, deux, trois pseudonymes, utilisés en fonction des circonstances. Et qui, sur un ton alerte, plaisantent sur des sujets graves, à moins que ce ne soit le contraire...

 

Du reste, un chroniqueur relève l'incipit apparemment innocent du "Pourboire du Christ": on y trouve les mots "arsouille" et "andouille". Faites rimer avec "couilles", analysez la couverture en mosaïques d'Alice Charbin, et vous aurez tout le programme!

 

Ludovic Roubaudi, Le pourboire du Christ, Paris, Le Dilettante, 2013.

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9 mai 2016 1 09 /05 /mai /2016 21:46

MalatestaLu par Au détour d'un livre, Goliath.

Le site de l'éditeur.

 

Puissant pavé que "L'Or des Malatesta"! Le romancier Laurent Ladouari y poursuit l'ample récit de la destinée des personnages qui hantaient "Cosplay". Joie d'abord: l'esprit baroque de ce premier ouvrage est maintenu dans "L'Or des Malatesta". Visuellement d'abord, avec des jeux sur les polices de caractères. Et au niveau du récit lui-même, qui met en scène des personnages hénaurmes.

 

... et c'est le mot: "L'Or des Malatesta" donne au lecteur l'impression d'assister à des combats entre humains augmentés aux airs de demi-dieux déguisés. Ils sont souvent très forts, volontiers très intelligents (à l'exemple des "Polymathes" et de ceux qui sortent de l'école bien nommée de "Nonpareil") et, pour certains d'entre eux, aussi riches qu'un pays. Cela, quitte à ce que cela paraisse un peu too much au lecteur, qui doit accepter le principe de cette confrontation entre titans d'essence humaine, gens de pouvoir respectés ou honnis.

 

De ce point de vue, c'est Tancrède Malatesta, flambeur et fantasque, qui occupe le devant de la scène, éclipsant son frère jumeau Julien qui, malgré son talent de maître d'armes, paraît bien discret. L'auteur excelle à faire de Tancrède un richard qui ne sait que faire de son argent, et crée avec brio un personnage aux mille ruses, Ulysse d'un monde post-apocalyptique où tant de choses sont à reconstruire.

 

La générosité de l'auteur s'exprime aussi dans la vastitude des thèmes abordés. Il dessine les travers d'un monde profondément inégalitaire, où les privilégiés qui vivent en ville sont riches et puissants alors que les exclus, ceux qui vivent dans la zone, doivent se contenter de peu et s'inventer une vie d'expédients, pas toujours triste d'ailleurs. Passant d'un monde à l'autre, l'auteur crée ici un contraste net. Et, illustrant les rivalités qui s'installent entre les deux mondes, suggère une réflexion sur l'égoïsme plus ou moins avoué des privilégiés.

 

Il est aussi question, mine de rien, de l'intrusion de l'information, partout, et c'est là un sujet d'une brûlante actualité. Dans "L'Or des Malatesta", cet aspect prend la forme de nombreux paragraphes intercalaires citant des extraits d'interviews ou des dépêches de presse. Plus encore, il y a toujours un journaliste pour parler de ce qui se passe, même si c'est insignifiant, ou pour commenter - on pense à la belle Livie Holström. Cela, sans oublier les orientations de médias qui diffusent partout, officiellement plus ou moins indépendants mais officieusement aux ordres de la main qui les nourrit.

 

Cette générosité a cependant ses limites, l'impression étant que le roman, fort long, se perd parfois dans des détails dont l'utilité narrative ne saute pas aux yeux. On peut penser aux cadeaux que tel personnage va acheter dans une énigmatique boutique japonaise: certes, cet épisode a quelque chose de pittoresque qui peut rappeler le début de "La Peau de Chagrin" d'Honoré de Balzac; mais les cadeaux achetés ne resservent guère dans "L'Or des Malatesta". A moins que l'auteur ne s'ouvre d'ores et déjà des portes pour une suite? Quant au lecteur, il pourra facilement se perdre dans la grande quantité de personnages qui se côtoient dans ce roman. Fort heureusement, celui-ci inclut un récapitulatif en annexe.

 

Le lecteur sort donc repu de "L'Or des Malatesta", un ouvrage certes solide et généreux, mais qui cède facilement au plaisir de l'errance. La suite? On l'attend quand même, ne serait-ce que pour savoir où l'auteur entend conduire les personnages qu'il a créés, et qui semblent manipulés par quelques entités énigmatiques, quasi divines, qui jouent au go dans un jardin japonais.

 

Laurent Ladouari, L'Or des Malatesta, Paris, HC Editions, 2016.

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30 avril 2016 6 30 /04 /avril /2016 22:40

Sandrine BanquierLu par Francis Richard.

Défi Premier roman.

 

Un cadavre dans l'environnement feutré d'une banque privée genevoise: quoi de plus scandaleux si ça se sait? Tel est le point de départ que la romancière belge Sandrine Warêgne donne à son premier roman "Le banquier du quai du Mont-Blanc". Le prologue installe un choc, naissant du contraste entre un environnement bancaire sécurisé et la mort qui s'immisce, soudain, probablement criminelle. Tout part de là.

 

Titulaire d'une solide formation en économie, la romancière excelle à dépeindre ce qui se passe dans une banque, en particulier les flux et produits financiers et l'ambiance de lieux où l'on brasse des millions, voire des milliards. Cela, quitte à faire usage d'un soupçon de pédagogie ou à recourir à des explications entre parenthèses. Surtout, "Le banquier du quai du Mont-Blanc" commence à l'heure où éclate la crise des subprimes; dès lors, ce roman tient compte des efforts des banques pour rassurer leurs clients, quitte à masquer le pire. On l'a compris: entre la crise et le client défunt, la tension est palpable dans l'établissement bancaire où l'auteure situe son action.

 

Pas de roman policier sans que quelqu'un ne mène l'enquête! L'auteure dessine un policier un brin atypique, Patrick Camino. Atypique dans le sens où il paraît un peu terne, malgré un parcours de vie sinueux, et semble surtout peu efficace malgré ses efforts de réflexion - qui finiront cependant par lui donner raison, sur la base d'un retournement de situation des plus habiles préparé par un personnage féminin. L'auteure donne à Patrick Camino une touche humaine en évoquant son histoire et en faisant un coeur esseulé qui, malgré une enquête qu'on imagine prenante, s'efforce de trouver son âme soeur. Ce souci d'humanité est également présent dans la constructions d'autres personnages, notamment autour de Serguei Levitov, la victime.

 

"Le banquier du quai du Mont-Blanc" est porté par un style fluide, facile à aborder, et se dévore. Il ose même l'helvétisme! Le lecteur exigeant aurait apprécié que soient gommées quelques scories, comme des répétitions çà et là, ou de petites contradictions: "... Michael Lederer était déjà tranquillement installé devant un verre d'eau. Il semblait énervé..." (p. 185): Lederer est-il ici tranquille ou énervé?

 

Ce personnage fait d'ailleurs partie de ces seconds rôles que l'auteure utilise pour montrer les petites irrégularités vécues au quotidien dans la banque privée à la genevoise. Tel personnage va surfer sur Internet au bureau tandis que les autres travaillent à sa place, tel autre va utiliser une partie des fortunes sous gestion pour financer sa consommation de drogue; certains se montrent fort peu soucieux de la discrétion qui devrait être de mise dans le métier. Cela, sans oublier les ambitions, qui pourraient avoir servi de mobile au meurtre qui ouvre ce roman.

 

Comme c'est sans doute souvent le cas dans les enquêtes policières, l'issue du premier roman de Sandrine Warêgne privilégie une issue terne mais réaliste par rapport à la solution romanesque et controuvée qui s'échafaude dans l'esprit de l'inspecteur Patrick Camino. L'écrivaine offre ici un roman rapide qui excelle à montrer l'ambiance et les coulisses pas forcément glamour des banques privées genevoises de tradition. Des banques qui apparaissent dès lors comme des lieux de travail fort ordinaires pour ceux qui y oeuvrent, malgré le poids des responsabilités et des enjeux.

 

Sandrine Warêgne, Le banquier du quai du Mont-Blanc, Sainte-Croix, Mon Village, 2015.

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18 avril 2016 1 18 /04 /avril /2016 21:33

AimantAprès Mykonos hors saison, l'écrivain et homme de radio Richard Gaitet revient avec un beau voyage, encore plus agité que le tour des les îles grecques désertées. "L'Aimant" est un beau livre, habillé d'une couverture cartonnée qui n'est pas sans rappeler les fameuses éditions Hetzel de Jules Verne et servi par une typographie qui a de quoi surprendre. La lecture, enfin, ne déçoit pas: c'est un brillant hommage à la littérature d'aventures, imprégné du récit des aventures d'Arthur Gordon Pym, relatées en leur temps par Edgar Allan Poe. Du mystère, de l'action, de l'insolite, et même du sexe: voilà de quoi séduire le lecteur contemporain!

 

Mêlant le vrai et le faux, l'auteur se fonde sur quelques aspects non élucidés des aventures d'Arthur Gordon Pym, et cherche à les éclairer à sa manière. Tout commence tranquillement, certes, avec un Belge de vingt ans, Gabriel Chanteloup, qui s'embarque comme mousse à bord du Sirius. La narration annonce la couleur: le ton est joueur, familier ou canaille, annonçant d'emblée un roman éclairé par un gros, gros grain de folie. On pourrait croire à un joli récit de voyage s'il n'y avait quelques aspects étranges pour le troubler. En particulier la mystérieuse disparition des pièces de monnaie du monde entier - sauf des Açores, allez savoir pourquoi... Toutes ces pièces envolées ont un côté pile ou face, tout comme "L'Aimant" se compose en deux parties, l'une lumineuse, l'autre sombre. Au lecteur de juger, toutefois, tant il est vrai que chaque partie a ses zones d'ombre et de lumière.

 

Le lecteur est agréablement frappé par une constante: ses personnages adorent se raconter des histoires. L'auteur ouvre ainsi autant de fenêtres vers un univers à tiroirs qui démultiplie la profondeur de son roman. Souvent, ces histoires sont insolites, voire incroyables; mais plus d'une fois, elles sont dûment sourcées et, si bizarres qu'elles paraissent, elles ont un fond de vérité. Il n'est qu'à penser à ces amateurs de karaoké philippins qui, un brin extrémistes, tuent ceux qui osent massacrer "My Way" de Frank Sinatra lorsqu'ils prennent le micro. Et puis, gageons que l'écrivain a mis un peu de lui-même dans Gabriel Chanteloup qui, face au micro de la radio du bord du navire, se trouve astreint à parler sans cesse, à raconter des légendes hénaurmes pour ne pas laisser le silence s'installer sur les ondes.

 

Sexe? Voilà un élément devenu bien présent dans les romans d'aventures d'aujourd'hui. L'auteur dose admirablement cet aspect, en mettant en scène une figure féminine de professeure d'université nymphomane, Alizea, qui apparaît de façon épisodique. L'auteur lui place un tatouage "au sud de son corps", annonciateur du lieu où "L'Aimant" va trouver son dénouement: l'Antarctique. Femme chaude pour dénouement glacial... mais la jonction finira par se faire, et gageons qu'elle ne sera pas tiède! Alizea est une figure féminine forte du roman, de même que l'est, à sa manière, la mère de Gabriel - qui, comme toutes les bonnes mères du monde, est capable d'aller littéralement au bout du monde pour retrouver son fils. La mère contre la putain? Il est permis de penser à cette opposition classique, qui tiraille Gabriel Chanteloup entre les deux figures féminines antagonistes qui marquent sa jeune vie.

 

Et le titre? L'auteur a l'audace de mettre en scène un "sud magnétique" capable d'affoler les boussoles. Il le dessine peu à peu, par allusions mystérieuses, au gré d'une navigation hauturière où tout ne se passe pas comme prévu. L'auteur se plaît d'ailleurs à reconstituer certaines légendes liées à la haute mer, ainsi que des rituels, tel celui du passage de l'Equateur.

 

"L'Aimant" est donc un roman d'aventures amusant, dynamique et brindezingue, qui va crescendo et dont le terrain de jeu est le monde entier. Il est porté par une écriture vivace qui donne au lecteur l'impression délicieuse d'avoir en face de lui un copain un brin mythomane qui lui raconte des histoires, un verre d'alcool à la main. Et il constitue aussi un hommage épatant aux romanciers d'aventures d'autrefois. Jules Verne et Edgar Allan Poe sont les premiers d'entre eux; mais l'auteur sait étendre les références culturelles qu'il cite, allant au-delà de la littérature et laissant à l'auteur le soin de deviner, page après page, à qui il fait allusion.

 

Richard Gaitet, L'Aimant, Paris, Intervalles, 2016. Ouvrage enrichi de superbes illustrations de Riff Reb's.

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13 avril 2016 3 13 /04 /avril /2016 20:44

CroquignoleOuvrez la fenêtre. Observez ce qui se passe dans le bureau où travaillent quatre garçons. C'est sur ce genre d'image en plan rapproché que s'ouvre le roman "Croquignole" de Charles-Louis Philippe, récemment réédité: paru en 1906, ce livre a été pressenti pour le prix Goncourt avant d'être écarté en dépit du soutien d'Octave Mirbeau. Il porte un regard à la fois tragique et empathique sur le petit monde terne des burelains de son temps.

 

Tragique et empathique, mais aussi rapproché. Il y a chez cet auteur un travail intéressant de la focale, qui se traduit par une forme de travelling avant l'heure qui constitue la structure du premier chapitre. Les descriptions y sont travaillées en plans rapprochés, dans un grand souci du détail. Tout commence en effet par une longue description de la fenêtre du bureau, vue à hauteur humaine. Puis le regard se balade tour à tour sur les quatre hommes qui, dans ce bureau, exécutent un travail mal défini.

 

Sans insister sur le côté étrange de ces personnages, se contentant de les montrer tels qu'ils sont, l'auteur construit, en un chapitre, une exposition dans les règles de l'art. Le lecteur note les répliques décalées, quasi humoristiques, et les traits de caractère un peu fous (par exemple Paulat, dit "le roi des animaux") qui font de chacun des employés une figure particulière.

 

A cette exposition masculine, la présentation des deux personnages féminins du roman fait un pendant pertinent. Comme s'il s'agissait d'un motif récurrent, la fenêtre revient chez Angèle. Fenêtre qui donne sur le cimetière, comme si cette perspective annonçait ce que "Croquignole" peut avoir de funèbre, de tragique - un tragique tempéré ici par une sorte de déni du réel: pour Angèle (qui porte un nom d'ange... ce qui nous rapproche à nouveau du thème de la mort), la fenêtre donne sur la machine à coudre. Figure féminine importante mais discrète, Angèle est le pendant de Fernande, qui deviendra la copine dépensière d'un Croquignole fort généreux.

 

L'irruption de femmes dans le monde bien réglé des hommes du bureau (et vice versa) est en effet le noeud de l'intrigue, longuement préparé: on ne se mélange qu'en deuxième partie du roman, la première partie, descriptive, presque statique, tenant les hommes à part des femmes et se contentant de peindre les forces en présence. Deux femmes, quatre hommes: l'auteur poursuit deux histoires d'amour diverses, voire opposées, dont deux hommes, Croquignole et Claude Buy, seront les protagonistes actifs.

 

Côté Angèle, en effet, on se trouve dans la figure classique, bourgeoise et morale, du ménage à trois: Angèle a un amant, un autre homme profite de son absence pour pousser ses pions, et la fille se suicide, ne pouvant supporter d'avoir ainsi été utilisée, pour ne pas dire abusée. Le lecteur se souviendra de cette fille discrète, dont le nom de famille n'est même pas bien défini aux yeux de son chef: Leneveu, Lanièce, Latante, l'auteur s'amuse, soulignant le caractère à la fois laborieux et insignifiant de ce personnage présenté comme insignifiant (mais par cela même mémorable), qui se résume à son travail de chemisière.

 

En face, côté Fernande, on sort le grand jeu. Fernande est d'emblée présentée comme l'élément majeur du duo de femmes. Son amant sera Croquignole, et l'auteur fait de ce dernier une figure romantique flamboyante. Il souligne dans le détail les dépenses qu'il consent pour Fernande, en grand seigneur, et évoque une complicité fondée sur la chimère anatomique des foies blancs et noirs - comme si chacun avait plus qu'un foie. Faisant écho au suicide d'Angèle, figure mineure du roman, celui de Croquignole apparaît à l'autre extrême; il est causé par un prétexte futile, celui de la perspective du manque d'argent. Question, dès lors: pour échapper à une fille vénale avec élégance face à ses pairs, le suicide est-il la seule issue?

 

Si morne et tragique qu'en soit l'issue, "Croquignole" demeure un roman narré sur un ton familier et sympathique, observateur fin des petites gens, des figures qui ne sont pas sans rappeler les employés de bureau d'un Georges Courteline. Cela, dans un esprit naturaliste après l'heure, débarrassé de toute dramatisation excessive. "Croquignole" est ainsi un roman mesuré qui dessine, finement et avec empathie, le rapprochement d'une demi-douzaine de personnages attachants, parfois gouailleurs, que la vie finit par broyer.

 

Charles-Louis Philippe, Croquignole, Paris, L'Imaginaire/Gallimard, 2011 (réédition).

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3 avril 2016 7 03 /04 /avril /2016 17:46

GagetLe blog de l'auteur, le site de l'éditeur.

Défi Premier roman.

 

Il y a comme ça des livres qu'on lâche difficilement et qu'on quitte à regret. "Les bonnes moeurs", premier roman de Timothée Gaget, est de ceux-ci. Au travers de personnages hauts en couleur, il dépeint avec une ironie mordante, voire furieuse, les modes de vie de Français différents mais obligés de se frotter - quitte à ce que cela fasse des étincelles.

 

Roman d'apprentissage, entre autres...

C'est autour du personnage de Tristan que se cristallisent les contradictions de notre monde. Il s'agit en effet d'une figure écartelée entre le monde des affaires et du travail à la parisienne, où les salaires sont bons, mais où l'on travaille énormément. Un peu de sexe, beaucoup d'alcool, encore plus d'argent, et ça passe. Mais une mission en Sologne, accueillie comme un punition, permet au narrateur, Tristan donc, de trouver d'autres voies, d'autres raisons d'être à son existence. Des raisons plus proches de ses racines, peut-être, au contact de son grand-père, au château de Valbrun.

 

Avons-nous donc affaire à un roman d'apprentissage? Il y a de ça, tant il est vrai que le narrateur, nihiliste convaincu, finit par se trouver une cause à défendre en Sologne: lutter contre l'amputation du domaine qui entoure le château de Valbrun. Alors certes, Tristan boit tout autant en début qu'en fin de roman. Mais par ailleurs, l'impression demeure qu'il a quand même mûri, qu'il a su dépasser certains préjugés sur ce qui est, quand même, sa famille et son terreau natals. Un univers que tout le monde n'apprécie pas: la vieille noblesse, catholique, sans doute lectrice de sites Internet de "réinformation" bien marqués à droite. L'appel de la forêt sera finalement le plus fort...

 

La peinture exacte d'un microcosme

Sous ce prétexte d'apprentissage, l'auteur offre un portrait exact, lucide aussi, d'un certain monde. Disons-le d'emblée: entre chasses homériques aux tableaux appétissants et châteaux impossibles à entretenir si ce n'est au prix de chimères, impossible de ne pas penser aux "Aristocrates", roman de Michel de Saint-Pierre (1954, Grand Prix du roman de l'Académie française en 1955) - ne serait-ce que par le nom de la propriété: du Maubrun des "Aristocrates" au Valbrun des "Bonnes moeurs", il n'y a qu'un pas! Du coup, les parties de tennis disputées entre amis résonnent elles aussi comme un écho lointain à telle nouvelle que Michel de Saint-Pierre a consacrée à ce sport, par exemple dans "Dieu vous garde des femmes".

 

Les convictions du microcosme à l'ancienne cerné par l'écrivain sont dessinées avec précision, dans le souci de montrer ses faiblesses mais aussi ses forces, comme le démontre le débat entre le châtelain, Bon-Papa, et Bouvier, figure d'autorité politique chargée de l'expropriation - et de l'amputation d'un territoire de chasse. Le camp de Bouvier est du reste dépeint avec tout autant de mordant; l'auteur excelle à faire de ce personnage un manipulateur, capable de faire appel aux grands sentiments pour imposer un projet pas forcément populaire de centre de rééducation pour les gens en délicatesse avec la justice - quitte à désinformer. Point de manichéisme donc... mais en nommant "Bouvier" le principal champion de ce projet de centre, l'auteur ne suggère-t-il pas que ceux qui le suivent son des boeufs?

 

Exact, l'auteur sait aussi l'être lorsqu'il s'agit d'illustrer les chasses à courre. Par-delà les arguments favorables ou non à ce type d'activité (tous sont là), l'auteur réserve à cette activité l'une des plus belles scènes de son roman. Beauté qui doit à l'humanité tourmentée de Tristan, qui se demande un peu ce qu'il fait là mais finit par apprécier, mais aussi à l'exactitude quasi naturaliste des termes utilisés: qu'on le veuille ou non, on s'y croit, et peut-être même que l'on s'y plaît.

 

Une vivante galerie de personnages

Enfin, tout cela serait fort édifiant mais un peu froid s'il n'y avait les personnages... Autour de Tristan, gravite une belle brochette de cinglés. Difficile de ne pas penser à Gaston Lagaffe, par exemple, en voyant l'ami Evariste, l'éternel optimiste anglais qui bricole ses mécaniques dans un château proche de Valbrun. Par ailleurs, des figures comme Tancrède figurent un univers de jeunes gens riches, avec des problèmes de riches volontiers caricaturés, avec délices. Cela, sans oublier les filles, comme cette avocate qui aime qu'on lui urine dessus, l'inoubliable Margaux qui joue du violoncelle ou Bathilde, la cousine sage aux penchants lesbiens inavoués, obsession impossible de Tristan. Avec des figures comme cela, force est de s'attendre à ce que le roman va parfois prendre des allures dantesques. Eh bien oui... l'auteur ne déçoit pas!

 

"Les bonnes moeurs" est un titre qui fait figure d'antithèse, tant il est vrai que la visite des coulisses d'une certaine noblesse en compagnie de cet écrivain, loin d'être uniquement édifiante, recèle ses gloires comme ses zones d'ombre. Ce roman ironique est aussi celui d'une jeunesse qui vit à cent à l'heure, orgiaque ou conventionnelle, pressée de cramer sa jeunesse dans les psychotropes, légaux ou non, ou les mariages trop vite conclus. Et également d'une classe sociale qui fiche le camp, dont le mode de vie est menacé, tout comme celui du scarabée pique-prune, bestiole clé du roman. Sauf qu'au contraire de ce coléoptère précieux, les derniers représentants de la noblesse française n'ont pas l'Union européenne pour les défendre...

 

Timothée Gaget, Les bonnes moeurs, Paris, Intervalles, 2016.

Photo par votre serviteur. A chacun son - ou sa - Margaux! A noter aussi que le dessin de couverture, signé Paul Cottard, me fait irrésistiblement penser aux gravures de l'ami Jean-Pierre Humbert, qui marient elles aussi, dans une manière proche, le surréalisme et le bande dessinée.

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30 mars 2016 3 30 /03 /mars /2016 21:18

Fouassier DeuxLu par Goliath.

 

Les tâches décrites dans chaque nouvelle de ce recueil sont difficiles, évoque la quatrième de couverture. Et il faut aller jusqu'au bout, comme pour une course de fond. L'écrivain Luc-Michel Fouassier offre dans "Deux ans de vacances et plus" un bouquet de textes dont les personnages sont invités à aller au bout d'eux-mêmes. Il sera même question, dans "Rétroviseur", de refaire le voyage de noces de ses parents, un peu comme dans "Comme une perle en son écrin..." d'Alba Kertz!

 

À chaque fois, l'auteur, habile magicien des mots, est tout à fait capable de donner un sens nouveau à cette quête d'aboutissement déclinée sur sept nouvelles.

 

Témoin en est la première nouvelle du recueil, le remarquable texte "L'Accompagnateur". L'auteur invite son lecteur à une balade d'exception: une course d'ultra-fond, rien de moins. Comme narrateur, il propose celui qui fait le soutien moral et logistique d'un coureur - un fils qui suit son père, un second rôle par excellence. Les efforts de chacun sont décrits dans un esprit qui rappelle certaines pages de "Le cimetière de pianos" de José Luis Peixoto: chaque poignée de kilomètres a sa difficulté qu'il faut gérer, et l'auteur de "L'Accompagnateur" ne manque jamais de la dessiner avec précision. Cela, à la nuance près que "L'Accompagnateur" dessine les doutes de l'accompagnateur, soutien extérieur. Et son auteur, en un dernier retournement, donne à la figure du père toute sa grandeur: ce "Tu vois,... tu vaux quelque chose..." est une superbe manière de rendre hommage au suiveur, et un hommage infini à l'humble fils, dont l'effort est ainsi reconnu et magnifié.

 

L'auteur ne peut s'empêcher d'installer un personnage homologue d'écrivain dans son recueil. Est-ce un peu de lui-même qu'il a mis là? L'utilisation de la première personne du singulier et la description de difficultés indissociables du métier d'écrire paraissent des pistes qui vont dans cette direction. Techniquement, il est question d'un personnage à renommer ou d'une fin à refondre. Pour finir, intervient un retour au réel: l'épouse du narrateur va jouer son rôle pour mettre fin à "Une hésitation", avec pragmatisme.

 

Le lecteur goûtera aussi "Quatre vides, deux entamés", narration désabusée d'un repas de famille particulièrement ennuyeux dont il faut bien venir à bout. Le narrateur est bien campé, et l'on imagine sans peine une figure blasée, observatrice désabusée, éventuellement nourrie à l'alcool. Pour accrocher son lectorat, l'auteur choisit de jouer avec les noms d'animaux, en un exercice de style bref mais réussi: une noce, c'est, après tout, quelques dizaines de personnes qui s'observent, prêtes à se sauter dessus comme  des fauves.

 

Enfin, ce sont encore des solennités qui concluent un recueil qui emprunte son titre à Jules Verne. Cet écrivain est la figure directrice d'une nouvelle qui rend hommage aux dessins animés d'autrefois dans un style tout de connivence. Mais je m'égare: pour conclure le recueil, "Condoléances, escalator et nems" s'ouvre sur un office de funérailles, vu par l'ami du défunt. Celui-ci essaie, avec un succès particulier, de redonner vie à son ami Pascal.

 

L'écriture est classique et sans éclat, certes. Cela dit, dans cette manière discrète, l'auteur dessine les virages de vies humaines, accrochées par un événement ou un grain de sable qu'il saisit à la perfection. Ce peut être un décès, une fille qui ressemble à Isabelle Adjani, ou tout autre chose. Ce sont autant de destins d'aujourd'hui, précisément observés et bien rendus.

 

Luc-Michel Fouassier, Deux ans de vacances et plus, Louvain-la-Neuve, Quadrature, 2016.

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26 mars 2016 6 26 /03 /mars /2016 18:14

Fargues RoleLu par Abracadabook, Cathy Raynal, Guerdine.

 

Exercice périlleux que celui auquel Nicolas Fargues se livre dans "Beau rôle": alors qu'on est un auteur blanc, se glisser dans la peau d'un métis et rendre compte d'une certaine difficulté de vivre. Il n'y a pas que ça, certes, et cet aspect éclate même assez tard dans le roman, intégré dans une situation humaine plus vaste. Antoine Mac Pola est un acteur de cinéma moyen, trentenaire, homme d'un succès, qui cherche un second souffle pour rebondir.

 

C'est justement sur l'aspect "trentenaire" que l'auteur démarre. Son observation d'une génération qui se situe dans un entre-deux et tire ses premiers bilans est précise et sans complaisance. Antoine n'est pas jeune (il a des cheveux gris, déjà), mais pas vieux non plus (il peut toujours espérer un rôle au cinéma, ou mettre une fille dans son lit sans payer). Ce statut intermédiaire fait écho à son statut d'acteur, ni franchement inconnu, ni célèbre, mais qui se voit presque supérieur à un ancien collègue d'école, devenu enseignant et vivant une existence étriquée, quasi estudiantine, mais stable. Enfin, pour souligner cet entre-deux de carrière, Antoine est un métis - ni blanc ni noir, en proie à plusieurs questions d'identité qui vont traverser "Beau rôle".

 

Identité intermédiaire, toujours à la recherche d'elle-même, acteur en permanence même hors du champ des caméras, Antoine rappelle par moments la figure de Zelig créée par Woody Allen: ce personnage qui finit par ressembler à ses interlocuteurs à force de leur dire ce qu'ils attendent. Antoine joue ce jeu, d'ailleurs - et assume une certaine hypocrisie, vue comme un reflet de l'hypocrisie de la société dans laquelle il évolue et s'exprime. Ecrit à la première personne, ce roman autorise Antoine à se justifier, à dire qui il est - bref, à faire son introspection sur le fond d'une identité complexe, marquée aussi par l'impuissance sexuelle occasionnelle, symbole d'une identité en demi-teinte pas évidente à assumer.

 

Au fil des pages, l'auteur resserre sa focale sur la question de la condition de métis, jamais sûr d'être accepté par le camp des Blancs, ni par celui des Noirs. Les liens familiaux interviennent ici, complexes: leur maintien est nécessaire, mais ils n'ont rien de facile pour un bonhomme qui a fait toute sa vie de son côté, loin des Concordines, ce lieu où l'on parle créole et qui pourrait être un coin de la France d'outre-mer. L'auteur sait cerner ce qu'un tel lieu peut avoir d'unique et d'agréable. On regrettera cependant, comme lecteur, que la description des états d'âme d'Antoine Mac Pola finisse par emplir les dialogues et prendre une place excessive.

 

C'est qu'Antoine Mac Pola est bavard et s'installe volontiers dans la conversation... un défaut qui gangrène un roman par ailleurs finement observé. Le lecteur doit vivre avec des théories sur le cinéma (apologie de Stephen Soderbergh, entre autres) et des confrontations sur la politique d'un outre-mer recréé. C'est dommage: "Beau rôle" est par ailleurs le roman pertinent d'un observateur aigu qui ne recule pas devant un sujet peu évident.

 

Nicolas Fargues, Beau rôle, Paris, P. O. L., 2008.

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25 mars 2016 5 25 /03 /mars /2016 21:01

Kertz PerleLu par Angélita Manchado.

 

Un beau voyage à travers la France des souvenirs pour un quatre-vingtième anniversaire? C'est un rêve un peu fou, celui de Gilberte, figure dominante de "Comme une perle en son écrin...", dernier roman d'Alba Kertz. Autour d'elle, gravite toute une famille, et tout un petit monde d'une façon plus générale. Mais n'est-ce pas un peu pareil, en définitive?

 

"Comme une perle en son écrin...", c'est un roman des gens ordinaires, des personnes de la classe moyenne, qui ont des qualités de coeur, qui se débrouillent lorsqu'elles sont fragilisées et se réjouissent lorsqu'elles connaissent le succès. Dès lors, le lecteur ne trouvera pas ici de méchant clairement identifié - au contraire, tous les personnages sont attachants à leur manière, si l'on excepte la lointaine figure du père, à la fois résistant au-dessus de tout soupçon et rude paterfamilias.

 

S'il faut chercher une adversité, c'est dans la destinée qu'il faut la chercher, cette destinée qui envoie les uns à l'hôpital, et fait souffrir ou mourir les autres. Mais la destinée apporte aussi ses bons coups, qui ouvrent de nouvelles portes. Du coup, l'une des questions qui traversent "Comme une perle en son écrin..." est la suivante: le voyage des 80 ans de Gilberte va-t-il se faire? Le roman est bien réglé, et l'on imagine vite que tout finira par se passer au mieux. En revanche, le déroulement du voyage proprement dit importe moins que son organisation, et l'auteure, avec une sage pudeur, liquide rapidement sa narration en se concentrant sur le ressenti de Gilberte, l'octogénaire nostalgique.

 

Sacré personnage que cette Gilberte, cela dit! Sa personnalité illumine le roman, et la romancière a à coeur de peaufiner cette figure pivot. Le lecteur découvre ses certitudes inamovibles, mais aussi une certaine modestie. Il fait connaissance avec une personne qui a bon pied bon oeil, en dépit de quelques soucis de santé bien ciblés. Et naturellement, il y a un mystère enfoui au fond d'elle, un secret de famille. C'est un ressort romanesque classique, qui suffit cependant à accrocher.

 

Toute une famille aimante gravite autour de Gilberte. Les liens familiaux et relationnels, comme souvent, exigent une certaine attention de la part du lecteur. Celui-ci ne pourra cependant qu'être séduit par la force des liens ainsi dessinés: les rencontres sont fréquentes, la solidarité est de tous les instants, et la préparation du voyage de Gilberte prouve, page après page, que chaque problème trouve une solution grâce au dévouement de chacune et chacun: temps consacré, coup de pouce financier, soutien moral, etc.

 

Sur 148 pages, "Comme une perle en son écrin..." constitue donc un roman attachant sur les liens familiaux, capables, par leur force, de faire face à ce truc mal défini, à la fois adversaire et complice, que l'on nomme la destinée.

 

Alba Kertz, Comme une perle en son écrin..., Saint-Denis, Mon Petit Editeur, 2015.

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18 mars 2016 5 18 /03 /mars /2016 22:05

Biava MerLe tsunami qui a frappé les rivages de l'Asie du Sud-Est durant les fêtes de fin d'année 2004 ont marqué les esprits, suscitant dans le monde entier une émotion profonde. On s'en souvient. L'écrivaine Laurence Biava, quant à elle, a décidé de tenir durant un mois un cahier de bord à ce sujet. Il vient de paraître aux éditions Ovadia, sous le titre "Mal de mer", un livre qui se présente comme un devoir de mémoire.

 

Formellement, "Mal de mer", un livre court, assume un côté brut de décoffrage, fort d'être intact, allant jusqu'à assumer ses coquilles. Des illustrations, éventuellement en couleurs, et des documents viennent enrichir le texte, donnent à ce journal d'un mois l'allure d'un patchwork où tout ce qui peut rappeler un tsunami a sa place: affiches de théâtre pour "La Tempête" de Shakespeare, collages, citations de poèmes ou de chansons.

 

Le texte de Laurence Biava a quant à lui la force de ces écrits rédigés par une sensibilité à fleur de peau, marquée par une peine immense. Formellement, cette sensibilité se traduit par l'utilisation régulière d'adjectifs forts. Et côté fond, la narratrice donne à voir que l'événement, par son caractère inouï, envahit tous les recoins de sa vie, allant jusqu'à la chambouler, jusqu'à résonner avec ses propres répulsions. Comme l'eau non maîtrisée s'enfile partout.

 

Il sera donc question des enfants de l'auteure, auxquels il paraît impossible à l'auteure de parler d'un tel événement, et qu'elle cherche à protéger à tout prix - alors que d'un autre côté, ses enfants parlent de cette tragédie à l'école. "Mal de mère"? Le jeu de mots est là. L'auteure évoque aussi la question des dons, rejette toute culpabilisation en la matière et applaudit la solidarité lorsqu'elle s'installe dans le monde - et va jusqu'à fustiger la position de certaines personnalités médiatiques face à cette question.

 

Certes, la narratrice se défend d'avoir l'oeil sur le compteur des morts. Mais elle cite régulièrement le nombre de victimes, qui croît sans cesse. Ainsi s'installe une forme de crescendo glaçante du tragique. Rappelant à plus d'une reprise les vidéos amateurs de l'événement, elle installe encore une autre rythmique de l'horreur, celle des médias: c'est celle que l'humain occidental a perçue à travers la lucarne de la télévision.

 

"Mal de mer" constitue un témoignage personnel, celui d'une écrivaine sensible qui confie au papier la moindre de ses vibrations face à un événement d'une terrible importance. Incompréhension, révolte, volonté de faire quelque chose et sentiment d'impuissance, tout est là. Jusqu'au désir d'être en communion avec les lieux touchés par le tsunami: chaque page de journal commence par l'indication de l'heure de Paris et de celle d'un de ces lieux: Sri Lanka, Indonésie, Birmanie, etc. Fruit d'un ressenti personnel, "Mal de mer" saura entrer en résonance avec ce qu'ont perçu tous ceux qui ont suivi de près l'événement, par le biais des médias, et ainsi émouvoir le lectorat.

 

Laurence Biava, Mal de mer, Nice, Ovadia/J'ai envie de vous dire, 2015.

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