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4 janvier 2009 7 04 /01 /janvier /2009 20:25

... une question qui est loin d'être innocente dès qu'il s'agit de Jacqueline de Romilly, helléniste distinguée et membre de l'Académie française, qui signa il y a quelques années "Pourquoi la Grèce". En 2008, elle collabore avec Monique Trédé afin de faire paraître, chez Stock, le petit ouvrage indispensable "Petites leçons sur le grec ancien" - dont le titre aurait aussi bien pu être, justement, "Pourquoi le grec?".

Pourquoi le grec, justement, alors? En collaboration avec Monique Trédé, Jacqueline de Romilly répond ici à une question d'emblée présentée comme essentielle, que ce soit par une exergue d'André Chénier ("Un langage sonore aux douceurs souveraines. Le plus beau qui soit né sur des lèvres humaines.") ou par les premières phrases du chapitre 1: "Ceux qui s'emploient à écarter de l'enseignement, en France ou ailleurs, l'étude de la langue grecque, s'imaginent volontiers qu'il s'agit simplement de la langue employée dans un tout petit pays qui avait perdu son indépendance dès avant l'ère chrétienne et que cette langue n'eut d'existence que dans un passé lointain." Le petit ouvrage "Petites leçons sur le grec ancien", vous l'avez deviné, s'attachera avec talent à démontrer qu'évincer le grec ancien est une grave erreur...

... et les auteurs vont convaincre leur lectorat. Leur langue est accessible et loin de toute technicité aride; elle se met au service d'une excellente vulgarisation, ce qui est la marque de ceux (et celles!) qui maîtrisent réellement leur sujet. Le style est à la fois limpi de, accessible et vivant. Pour Jacqueline de Romilly et Monique Trédé, le grec ancien est une langue universelle et intemporelle dans laquelle l'Europe actuelle puise ses racines culturelles et littéraires.

Tout cela, les auteurs l'exposent en abordant plusieurs aspects au fil de chapitres clairement structurés. Il y a d'abord l'histoire et l'expansion de la langue, puis les mécanismes de son enrichissement et de la constitution de son vocabulaire, sans oublier ses beautés intrinsèques - ce qui, au fond, constitue le génie propre de la langue - à travers ses constituants: noms, verbes, particules. La démonstration frappe grâce à de nombreux exemples tirés de ce que le grec nous a légué de mieux: sa littérature. Celle-ci, justement, est aussi évoquée dans ses spécificités; ses mécanismes pourraient inspirer certains auteurs d'aujourd'hui.

Un bon moment de lecture et de réflexion, donc! Toute personne intéressée par les langues anciennes lira cet ouvrage avec profit; et en particulier, sa langue particulièrement accessible (sans toutefois tomber dans l'infantilisme) le rendra sans doute pertinent et motivant pour des lycéens désireux d'approfondir leurs connaissances des langues anciennes.

Ouvrage commenté dans le cadre de l'opération "Masse critique", orchestrée par le site Babelio.

Jacqueline de Romilly/Monique Trédé, Petites leçons sur le grec ancien, Paris, Stock. 2008.

Photo:
http://www.canalacademie.com

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27 décembre 2008 6 27 /12 /décembre /2008 21:38

Ceux qui tiennent à en savoir un peu plus sur les coulisses de la tourmente économique que nous connaissons actuellement seront bien inspirés de jeter un coup d'oeil à l'ouvrage de Myret Zaki, "UBS, les dessous d'un scandale", paru chez Favre en 2008. Subprimes, bulles spéculatives, cadres (et surtout traders) (trop) bien payés, vous saurez tout. Et que mes visiteurs français ne se formalisent pas de l'aspect apparemment helvético-centré de cet ouvrage: l'exemple de l'UBS est présenté comme emblématique de toute une dégringolade.

Promenons-nous un instant dans les pages de ce livre. Dès le départ, le lecteur sera informé en détail de ce que l'on appelle les "subprimes": des produits dérivés fondés sur des hypothèques de particuliers américains... particulièrement peu solvables puisque dans certains cas, il est possible, là-bas, d'acheter sa maison avec zéro pour cent de fonds propres. Le paradis du propriétaire, mais sans filet! Ces produits bancaires sont mauvais, mais personne n'en saura rien: à lire Myret Zaki, qui critique certaines méthodes de cotation, on a l'impression que ceux-ci ont été repeints, à la manière d'une mauvaise voiture qu'on repeint rapidement afin de la faire paraître plus alléchante à un acheteur potentiel. L'approche peut paraître assez technique au lecteur; mais jamais elle n'est jargonnante, ou illisible: l'auteur, titulaire d'un MBA, se montre exigeant envers son lecteur, et cela est sage.

Et c'est sur la base de ces vrais-faux bons placements que l'auteur parvient à greffer l'histoire de l'UBS, première banque de Suisse, désireuse de s'implanter sur le marché américain, dans le domaine de la banque d'affaires - un domaine qui, paraît-il, ne supporte pas la médiocrité. Défi délicat pour un établissement peu expérimenté dans le secteur, nouvellement installé aux Etats-Unis, désireux de s'imposer face à des mastodontes! On aborde alors le problème de l'embauche de traders grassement payés (plus même que le patron de la banque!), peu scrupuleux dans leurs investissements, pourvu que ça rapporte à court terme. Et effectivement, ça a marché... à part que l'UBS, selon l'enquête proposée par ce livre, n'a pas su retirer ses billes du jeu à temps - contrairement à Credit Suisse, banque concurrente, souvent utilisée à des fins de comparaison. 

Les mécanismes menant à la catastrophe sont ensuite exposés. Catastrophe totale? Non. L'auteur précise en permanence que c'est bien le secteur "banque d'affaires" américain qui a souffert de la crise des subprimes, mais que le fleuron de ses activités, à savoir la gestion de fortune, se porte bien - même s'il est menacé par la banque d'affaires. Alors, quoi? Liquider cette dernière? Myret Zaki se penche également sur cette question, dans une perspective d'étude de l'avenir qui voit large. Car si l'avenir de l'UBS est bien évoqué, c'est aussi celui du monde économique et de ses enjeux qui est analysé: déclin du dollar comme monnaie internationale au profit de l'euro, déplacement de la puissance économique absolue des Etats-Unis vers l'Asie du Sud-Est, etc. 

Accrochez-vous donc: avec ce livre, vous allez comprendre...  en partant des faits, sans effets de manche ni promesse fallacieuse.

Myret Zaki, UBS, les dessous d'un scandale, Lausanne, Favre, 2008.  

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28 octobre 2008 2 28 /10 /octobre /2008 23:14

Donald Rumsfeld, vous connaissez? Un homme dont le nom de famille sonne comme un coup de tonnerre, et dont le prénom laisse imaginer quelqu'un d'aussi colérique qu'un certain canard... Le journaliste et écrivain américain Andrew Cockburn lui a consacré un ouvrage extrêmement fouillé, portrait à charge accablant, que les éditions Xenia ont publié dans une traduction française.

Dans quel domaine Rumsfeld s'est-il illustré? Son secteur d'activités le plus connu est sans doute la guerre d'Irak, précédée par de nombreux projets de réarmement organisés depuis la tête du Pentagone. Bureaucrate éloigné des préoccupations du terrain, il fait montre, selon l'auteur, d'une incompétence notoire, faisant acheter du matériel à la fois onéreux et inopérationnel.

Mais ce n'est pas dans l'armement que Donald Rumsfeld fait, si j'ose dire, ses premières armes, mais dans un produit que vous consommez peut-être tous les jours: l'aspartame. L'homme s'est en effet sucré avec cela, et Andrew Cockburn consacre tout un chapitre magistralement fouillé sur ce sujet. Donald Rumsfeld avait tout intérêt à pousser ce produit, dont les propriétés sont plus qu'intéressantes pour le commerce: ça sucre 200 fois mieux que le sucre, donc les possibilités, comme disait l'autre, sont inouïes. Mais voilà: les enquêtes officielles laissent entendre que l'entreprise productrice, Searle (dont la survie dépendait alors de la commercialisation de l'aspartame), a bâclé ses tests, faisant "ressusciter" des cobayes. Les essais officiels révèlent même que le produit est cancérigène... A force d'intrigues, cependant, l'aspartame sera commercialisée, entre autres sous les noms de Nutrasweet et de E951.

L'auteur présente donc un Donald Rumsfeld actif à la fois dans la politique et dans le privé, et n'hésite pas à mettre en évidence les liens que le notable américain tisse entre ces deux mondes, au risque de mélanger les genres - et l'aspartame n'en est qu'un exemple. Côté armements, Donald Rumsfeld est peint comme un personnage têtu, qui tient à ses idées même quand elles sont mauvaise, qui n'écoute guère la base... et paraît, au final, antipathique. Seuls les attentats du 11 septembre lui permettent de tenir un peu plus longtemps, et de se faire remarquer sur la scène internationale - à défaut d'avoir décroché la présidence des Etats-Unis, poste qu'il convoitait dans les années 1970 et dont il a dû faire son deuil. Dans ses errements, le "faucon" Donald Rumsfeld croisera à deux ou trois reprises un certain John McCain - qui, plus pragmatique, ne sera jamais son allié.   

Enquête à charge, donc, et - on en a l'impression - uniquement à charge? Peu d'éléments trouvent grâce aux yeux d'Andrew Cockburn, en effet - pour ne pas dire aucun. Sa force est cependant de s'en tenir aux faits, des faits dont il a connaissance grâce à la presse, à des documents puisés aux sources de la communication militaire américaine, voire auprès de témoins: homme de bureaux rigide qui aime à montrer qu'il est le chef, Donald Rumsfeld s'est fait peu d'amis au sein des militaires en uniforme, et l'auteur n'hésite pas à en écouter certains. Et le lecteur qui veut s'aventurer dans cet ouvrage devra s'attendre à arpenter les couloirs du Pentagone, voire à suivre des discours parfois fort techniques, toujours très détaillés, entre plans foireux et chers et intrigues de palais.

Andrew Cockburn, Caligula au Pentagone, Vevey, Xenia, 2006.

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23 octobre 2008 4 23 /10 /octobre /2008 21:16

Le vele par PiE81... découvrir la camorra: c'est ce que propose le best-seller "Gomorra", signé Roberto Saviano. Best-seller? Il s'en est vendu 1,2 million d'exemplaires, dans 43 langues. Un sort enviable pour un ouvrage, un peu moins pour l'auteur, qui vit sous protection policière depuis la publication de la version originale de son vaste reportage et envisage de s'expatrier. Salman Rushdie, dont la tête est également mise à prix, conseille à Roberto Saviano de bien choisir son exil...

Alors, "Gomorra", de quoi s'agit-il? Avec ce livre extrêmement dense où les révélations se succèdent à une vitesse effrénée, l'auteur réalise un double tour de force: donner un aperçu complet des activités de la camorra, ou mafia napolitaine, et dresser un tableau sociologique des populations des lieux. Les faits, les hommes, donc.

Les faits? Roberto Saviano ne fait pas dans la dentelle, si j'ose dire, et balance d'emblée au lecteur que la moindre chemise Valentino qui traîne dans ses placards peut le rendre complice. A ce titre, la visite guidée des ateliers de petites mains des quartiers populaires de Naples est édifiante. Les plus friands de potins sauront également, en lisant ces pages, d'où vient certain habit blanc porté par Angelina Jolie. Complicité également dans la description du traitement des déchets par la camorra, qui importe les poubelles de l'Europe entière pour les enterrer en Campanie - une Campanie qui, du coup, ne sait plus où mettre les siens.

Du côté des hommes, le lecteur sera épaté par tout ce que l'auteur est parvenu à voir, à entendre même. Sans doute a-t-il recouru à des méthodes similaires à celles de Günter Wallraff, auteur de "Tête de Turc", pour s'infiltrer dans des milieux normalement assez fermés, pour manger des pizzas avec de jeunes mafieux. Moyennant l'achat du MP3 d'un de ces jeunes caïds, il a même pu découvrir ce que l'on écoute quand on tue un rival ou un suspect. Plus attendu, le chapitre consacré à la faida de Secondigliano relate les règlements de compte entre le clan des Espagnols et celui des Casalesi; il permet de visiter le quartier défavorisé de Secondigliano, et tout ce qui peut se passer à l'ombre des "Vele", ces grands ensembles massifs et fascinants signés de l'architecte Franz di Salvo, emblèmes du bétonnage du territoire encouragé par le système, où vit une faune humaine des plus interlopes.

Il ventre par SuPerDraSMais, si fouillé soit-il, l'ouvrage de Roberto Saviano ne saurait être qu'une histoire de gangsters. Pourquoi tout le monde lui en veut-il à présent, les gentils comme les méchants? L'auteur parvient également à dégager un élément très important du "système": tout le monde en profite. Rappel des faits: le taux de chômage atteint 25% à Naples, et les emplois honnêtes ne rapportent que des clopinettes. D'emblée, Roberto Saviano relève donc que les emplois, honnêtes ou non, relatifs à la camorra sont certes plus exigeants, mais rapportent bien davantage. Trafiquant de drogue à Scampia est par exemple plus lucratif que traducteur à Pontoise... même si c'est plus risqué. Plus valorisant aussi, puisque la camorra sait récompenser son personnel (armes, mobylettes, etc.) Autant dire qu'en s'attaquant à la camorra, Roberto Saviano s'attaque au fonctionnement de toute une société. Certains camorristes n'hésitent pas, même, à avancer que c'est grâce à eux que l'Italie est à présent dans la zone euro...

A lire de toute urgence, donc, et à recommander même aux allergiques aux best-sellers. Mais je préviens: c'est du lourd.

Roberto Saviano, Gomorra, Paris, Gallimard, 2007.
Günter Wallraff, Tête de Turc, Paris, La Découverte, 1986.

Photo: les "Vele" de Scampìa. Flickr/PiE81/SuPerDraS

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7 septembre 2008 7 07 /09 /septembre /2008 20:30
Qu'on le sache: depuis plus de quinze ans, je résiste à toutes les pressions tendant à me faire acheter un téléphone portable - je ne suis pas copain avec Mobilou, et c'est un doux euphémisme. Autant dire que je n'ai pu qu'être attiré par l'ouvrage "Le Dossier noir du portable", signé de l'avocat Richard Forget et paru en 2006.

Avec un titre pareil, l'auteur annonce clairement la couleur: son ouvrage est une enquête à charge, ambitionnant de présenter à ses lecteurs tout ce que le téléphone portable peut avoir de dangereux. Certaines pages sont assez virulentes, ce qui tranche avec la présentation très sérieuse et modérée que l'auteur en a faite chez Ruquier au moment de sa parution.

Tout cela commence comme un roman - une option sympathique de la part de l'auteur, mais malheureusement peu suivie au fil des pages: l'avocat reçoit la visite de deux représentants de l'association Priartem, critique face au téléphone portable et aux antennes. Il choisit de les défendre face aux juges et, béotien en matière de technique, décide de se renseigner. Sa compagne devient peu à peu aussi convaincue que lui, voire plus, ce qui donne de jolies pages de recherches à deux voix.

Donner la forme d'un roman au début du livre est une bonne idée: l'auteur choisit d'aborder en premier les questions techniques. Il démontre ainsi que les ondes des téléphones portables et celles de votre four micro-ondes sont parentes, et que les technologies utilisées ont été abandonnées par les armées... parce qu'elles étaient malsaines pour les militaires de carrière. Les cas des antennes sont abordés, et illustrés par l'affaire Nadine Jeanjon (agricultrice qui voit tous ses poussins crever dans l'oeuf depuis qu'on a installé une antenne près de chez elle) et l'affaire de Saint-Cyr-l'Ecole (cancers chez des enfants).

Richard Forget présente également des rapports volontiers occultés parce qu'ils mettent en avant le caractère potentiellement dangereux des ondes utilisées pour faire fonctionner les portables. "Le dossier noir du portable" est bien étayé, et met aussi en évidence les collusions d'intérêts touchant certains chercheurs tendant à minimiser les risques. Jouer à se faire peur? De telles recherches, et les pressions exercées sur certains scientifiques, tendent à mon avis à démontrer qu'il y a anguille sous roche.

Je dois dire que j'attendais Richard Forget au tournant en ce qui concerne les aspects sociaux, qu'on oublie volontiers, mais qui ont été abordés par ailleurs dans un bref texte paru dans le livre collectif "La Tyrannie technologique". Eh bien... l'auteur ne les oublie pas! Il rappelle que la recherche du coltan, matériau indispensable à la production de ces appareils, est à l'origine de guerres civiles et de la disparition de gorilles en Afrique; il évoque les sonneries intempestives, les conversations indiscrètes, les possibilités de flicage qu'offre un appareil qu'on peut localiser en permanence même s'il est éteint, etc.

Fort complet donc, l'ouvrage est celui d'un homme étonné par l'étendue de la cause qu'il s'apprête à défendre, et qui est de plus en plus conquis par celle-ci. Avocat, juge, partie? L'homme sait en tout cas intéresser son lectorat grâce à des chapitres brefs. Un regret? L'ouvrage ne présente pas de bibliographie structurée. En revanche, il renvoie notamment au site Internet http://www.next-up.org, très fouillé et spécialisé dans les risques liés à la technologie.

Regards critiques sur le téléphone portable:
Richard Forget, Le dossier noir du portable, Pharos/Jacques-Marie Laffont, 2006.

Collectif, La tyrannie technologique, L'Echappée, 2007.

Versant plus cocasse:
Phil Marso, Tueur de portable sans mobile apparent, Mégacom-Ik, 1999.

Phil Marso est le créateur de la journée mondiale sans portable, fixée au 6 février.

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11 août 2008 1 11 /08 /août /2008 21:46

Gauche, droite? Je ne tiens guère à ce que ce blog soit en quelque manière politisé, même si celles et ceux qui me lisent ont sans doute subodoré de quel côté mon bulletin de vote balance (quoique...). Ce préambule pour annoncer l'ouvrage que j'ai terminé hier soir, "La face cachée de Reporters sans frontières", signé Maxime Vivas.

Reporters sans frontières? C'est cette organisation non gouvernementale qui épingle un peu partout des affiches où l'on voit des anneaux olympiques en forme de menottes. Joli coup, me diront certains - mais l'ouvrage de M. Vivas donne à réfléchir au sujet de l'organisation de Robert Ménard. C'est sans doute son principal mérite.

Quelle est, en effet, la thèse de l'auteur? Reporters sans frontières (RSF) lutte pour la liberté de la presse un peu partout dans le monde... mais dans certains pays plus que d'autres. L'auteur dévoile par exemple que RSF n'agit pas du tout en France, par crainte de se mettre à dos les grands groupes (on pense à Dassault pour Le Figaro, mais aussi à Rothschild pour Libération) propriétaires des non moins grands journaux français... de peur de faire fuir des sponsors potentiels. L'autre grand pan de la démonstration de Maxime Vivas est que l'organisation, financée par la CIA sans oser l'avouer, se montre particulièrement clémente lorsque les intérêts des Etats-Unis sont en jeu. L'auteur a du reste établi que la CIA finançait RSF par sociétés interposées.

La démonstration s'appuie sur les exemples du Venezuela de Hugo Chavez, de Cuba (où règne encore Fidel Castro, au moment où l'ouvrage est écrit), et de la Serbie (qu'on a, c'est vrai, trop vilipendée dans le sillage des guerres de Yougoslavie). L'auteur use de chapitres de longueurs variables, allant de la simple (et pauvre) juxtaposition de deux articles contradictoires (chapitre IX) à l'analyse plus fouillée, s'étendant sur un chapitre bien développé, voire sur plusieurs d'entre eux (cas de  Nestor Baguer). En homme complet, Maxime Vivas conclut son exposé par une critique pointue du classement que RSF établit chaque année des pays les plus (et les moins) respectueux des droits de la presse.

Reste que du début à la fin, on sent que l'auteur n'est pas d'une neutralité au-dessus de tout soupçon, alors qu'on est en droit d'attendre cela (et que Maxime Vivas l'attend effectivement de RSF!) de la part de toute personne faisant oeuvre de journalisme d'information. On le sent en particulier très en froid avec le gouvernement Bush et avec les Etats-Unis (qu'il qualifie volontiers d'Empire, avec un E majuscule), et désireux d'excuser à sa manière les régimes de Fidel Castro et de Hugo Chavez - certes respectueux de la liberté d'expression selon l'auteur... mais de quoi d'autre? Il n'en est pas question - et c'est normal, car cela sortirait du propos. Enfin, le livre ne dit rien de ce que RSF fait ailleurs, avec peut-être des résultats moins discutables.

Que retirer, donc, de cette lecture? "La Face cachée de Reporters sans frontières" ne doit en aucun cas être jeté aux orties, en dépit des faiblesses et partis pris exposés. L'ouvrage de Maxime Vivas a, à mon avis, le mérite d'exister, un mérite essentiel en matière de journalisme: en génral, en effet, qui s'amuse à aller mener l'enquête auprès de ceux qui, par métier, mènent l'enquête? Un ouvrage utile et actuel, donc; reste à produire LE livre "neutre" sur RSF.

Et dans le même genre, je renvoie les amateurs d'histoires de journalistes croustillantes à "La Face cachée du Monde" de Pierre Péan et Philippe Cohen. A part que là, il faudra faire les bouquinistes parce qu'à la suite d'un jugement, ce pavé ne sera pas réédité.

Maxime Vivas, La Face cachée de Reporters sans frontières, Bruxelles, Aden, 2007.
Le site de RSF: http://www.rsf.org

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21 juillet 2008 1 21 /07 /juillet /2008 22:02

Serais-je devenu mystique tout d'un coup? Que nenni. Mais j'aimerais brièvement vous faire part de la découverte que j'ai faite ce week-end, au gré d'une lecture, d'un monde méconnu, celui de l'exorcisme. Oui, comme dans les films - à part que là, c'est pour de vrai. Le film est du reste évoqué par certains praticiens, et reconnu comme assez réaliste...

J'ai en effet terminé hier soir l'ouvrage "Les exorcistes du Vatican", signé Tracy Wilkinson, qui retrace sur 249 pages un panorama assez complet de la profession, ou plutôt du minstère d'exorciste. Un ministère qui fait partie intégrante du catholicisme, et exige de celui qui le pratique suffisamment de sainteté pour faire face au diable ou au démon sans perdre la face. Cela, sans oublier qu'il faut avoir été ordonné prêtre...

L'auteur plonge son lecteur dans cet univers sombre et souvent saisissant à la manière d'une journaliste, certes, avec une approche qui s'efforce de garder la tête froide et de rester rationnelle. Mais elle parvient à dépasser les préjugés qui frappent trop de ses confrères dès qu'il s'agit de religion, et cherche, souvent avec succès, à entrer dans le raisonnement (si j'ose ce mot) propre à la religion - cette ambivalence est patente dans l'historique et l'état des lieux qu'elle propose de l'exorcisme en début de volume. On apprécie également ses portraits d'exorcistes fameux, tels Emmanuel Milingo (un archevêque africain qui s'était par ailleurs distingué en épousant une adepte de la secte Moon, et pratique des exorcismes collectifs en Italie) ou Gabriele Amorth (qui a une approche plus orthodoxe de son ministère), mais aussi de "patients" partiellement ou totalement guéris de l'emprise du Malin - des gens très ordinaires, souvent des femmes (les trois témoignages retenus émanent de femmes), médecins, professeurs de danse, etc.

Elle n'oublie pas de donner la voix aux sceptiques, dont l'approche réduit le plus souvent les phénomènes liés aux exorcismes à des attitudes psychologiques. Qui a raison? C'est une question de foi, comme en toute affaire religieuse. L'aspect "maladie mentale" est du reste pris en compte par les exorcistes eux-mêmes, ou devrait au moins l'être, l'exorcisme devant être, du point de vue de l'Eglise, considéré comme une "ultima ratio", à ne pratiquer que quand tout le reste a échoué. A noter du reste que l'approche psychologisante (possession ou schizophrénie?) domine en France, même au sein du clergé et de la corporation des exorcistes - c'est ce que dévoile une partie supplémentaire, spécialement consacrée à la soeur aînée de l'Eglise et rédigée par Anne Mascret et Yvon Bertorello. C'est que Tracy Wilkinson, correspondante du "Los Angeles Times" à Rome, a effectué toute son enquête en Italie - où l'exorcisme jouit du reste d'une vogue sans commune mesure.

Une faiblesse de l'ouvrage? Peut-être son approche des cultes sataniques, qui me paraît un rien réductrice puisqu'elle ramène cela à des actions émanant de jeunes sans repères. Mais c'est là un milieu que j'ignore...

Tracy Wilkinson, Les exorcistes du Vatican, Paris, ViaMedia/Litté, 2007.

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18 mai 2008 7 18 /05 /mai /2008 21:54

Le titre de cet ouvrage, l'un des premiers du tout jeune éditeur veveysan Xenia, pose une excellente question... et son contenu se propose d'y répondre. Dans son analyse de l'arrivée de forces djihadistes en Europe, l'auteur choisit de partir de la Deuxième Guerre mondiale (présence d'unités musulmanes dans la Wehrmacht, personnage d'Ante Pavelic), puis fait un bond jusqu'aux années 1990.

Journaliste d'investigation allemand né en 1957, Jürgen Elsässer tire un portrait assez idéal de la Yougoslavie d'avant son éclatement, pays où les cultures se côtoient de manière pacifique voire festive, loin de tout fondamentalisme.

Puis son analyse des guerres qui ont secoué les Balkans après la chute du Mur de Berlin est pour le moins nuancée : plutôt que de noircir systématiquement les Serbes comme l'a fait une certaine propagande, l'auteur, journaliste allemand, s'attache à démonter les éléments largement diffusés à la charge de ces derniers, et à rétablir la vérité, en rappelant plus d'une atrocité commise par des moudjahidin venus du Moyen-Orient, souvent vétérans de l'Afghanistan (image récurrente de parties de football disputées avec une tête de Serbe en guise de ballon), venus combattre et si possible mourir pour l'islam dans les Balkans.

L'ombre d'Al-Qaida plane aussi sur l'enquête d'Elsässer. Prenant le contre-pied des descriptions usuelles, qui y voient un organisme bien ordonné, il en décrit le fonctionnement comme une simple structure de formation dont sont « membres » ceux qui s'y sont rendus. De même, il analyse le mode d'action des Etats-Unis : sous-traitance, financements, soutien à certains groupes (régulièrement aux extrémistes de l'Islam, dont plusieurs représentants ont reçu une formation militaire ou d'aviation aux Etats-Unis) plutôt qu'à d'autres.

Personne ne sort grandi de cet ouvrage, ni l'Europe, qui laisse faire (mais devrait réagir), ni l'Amérique (sans le soutien financier de laquelle les mouvements extrémistes n'auraient ni l'audience, ni les moyens de s'imposer dont ils disposent), ni les belligérants. Ce portrait du terrorisme de ces vingt dernières années, qui aboutit aux attentats de Londres, captive, et convainc également par la richesse et la qualité de ses sources, parfois tirées de la presse allemande ou orientale, quand il ne s'agit pas du résultat de l'étude détaillée de rapports.

Jürgen Elsässer, Comment le Djihad est arrivé en Europe, Vevey, Xenia, 2006, préface de Jean-Pierre Chevènement.

A propos de l'auteur: http://editions-xenia.com/auteurs/elsaesser/
Pour en savoir plus: http://www.editions-xenia.com/livres/djihad/index.html

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