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20 mars 2015 5 20 /03 /mars /2015 07:30

hebergement d'imageC'est un ouvrage atypique que le linguiste Camille Martinez propose à ses lecteurs, et il est tout indiqué d'en parler aujourd'hui, en cette journée mondiale de la francophonie. Son titre? "Petit dico des changements orthographiques récents". L'auteur part d'un constat: si les dictionnaires communiquent volontiers sur les nouveaux mots qu'ils intègrent, ils sont plus discrets sur les retouches et changements apportés à des articles de leur corpus. Dès lors, l'auteur est allé y voir de près... cela lui a permis de rédiger une thèse de doctorat, de partager ses recherches en ligne et enfin d'offrir ce court "Petit dico" paru aux éditions Zeugmo - proches du site Orthodidacte.

 

Le résultat est étonnant, puisqu'il compile plus de 4500 changements. L'auteur classe ceux-ci en quatre catégories majeures: disparition de traits d'union (entre-temps ou entretemps?), francisation de mots étrangers (pizzeria ou pizzéria?), féminisations (auteur, auteure, autrice?), ponctuation des sigles. Suivant la tendance des dictionnaires qui se sont mis à les intégrer ces dernières années, ce petit dictionnaire recense aussi les avatars des Rectifications orthographiques de 1990, les signalant comme tels. C'est que l'auteur a mis au point un système signalétique simple et astucieux pour noter, au fil de son travail, certaines caractéristiques des évolutions inventoriées.

 

"Petit dico des changements orthographiques récents" recèle des choses insoupçonnées qui pourraient bien titiller la curiosité des auteurs de dictées désireux de bien caler leurs textes. Les définitions sont rares dans cet ouvrage pointu, certes, même si elles ne sont pas totalement absentes - ne serait-ce que pour rappeler le sens de mots un peu oubliés. Faut-il le regretter? Certes non: si l'auteur recense des évolutions, il invite aussi ses lecteurs à renouer avec le vrai bonheur des dictionnaires: "Les dictionnaires sont un beau terrain d'investigation. Surtout quand on ne sait pas ce qu'on va y trouver!"

 

Et vous, savez-vous quelles surprises vos dictionnaires vous réservent?

 

Camille Martinez, Petit dico des changements orthographiques récents, Meylan, Zeugmo, 2015.

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31 juillet 2014 4 31 /07 /juillet /2014 18:54

hebergeur imageFin juillet. Vous en avez marre du cagnard, du soleil qui cogne, des atmosphères moites. Vous aimez l'exotisme, le vrai, les climats difficiles, le vent, les amplitudes thermiques faibles (genre de -10°C à +16°C, gentil, hein...) et les destinations exclusives, difficilement accessibles. Alors sans doute aimerez-vous le petit voyage que l'ethnologue Alexandra Marois propose dans son étude "Les Iles Kerguelen, Un monde exotique sans indigène". Paru en 2003 aux éditions L'Harmattan, c'est un ouvrage bref, aux ambitions qu'on devine universitaires même si le contexte de sa rédaction (étude de commande, papier de recherche, mémoire de maîtrise, fondement d'une thèse de doctorat) n'est pas précisé. Il a ses limites, mais permet quand même au grand public d'avoir une première idée de ce qui se passe dans ces territoires reculés - qui appartiennent, rappelons-le, à la France.

 

Limites? L'auteure en est elle-même consciente, et l'annonce d'emblée dans sa préface: elle n'a pas pu se rendre aux îles Kerguelen pour constater de visu, dans le cadre d'un travail de terrain de quelques mois, la vie dans un contexte humain dont elle a su cerner toute la particularité. Cela a imposé une méthode de recherche fondée essentiellement sur les documents (en témoigne l'intéressante et abondante bibliographie) et les entretiens - on devine en particulier les personnalités de deux personnes passées par Kerguelen, Alexandre Céalis et et Patrick Polker. Reste que la préface souligne aussi l'importance d'une telle étude, reconnue par celles et ceux qui ont vécu aux Kerguelen l'espace d'une mission.

 

Environnement spécifique, sans indigènes? L'auteur cerne bien cette spécificité des lieux, peuplés d'habitants temporaires uniquement (pas plus de 16 mois) et s'efforce d'identifier ce que cela peut impliquer en termes d'organisation, d'émergence d'une culture commune et de modalités de vivre-ensemble.

 

La description de la population s'avère détaillée, et dessine les contours des clivages sociaux qui naissent dans l'archipel: même si la population est peu nombreuse, elle est suffisamment segmentée pour des cultures diverses se fassent jour et se frottent. Il y a là des militaires, des chercheurs présents par choix (hivernants et campagnards d'été, avec une hiérarchie), des Réunionnais venus pour nourrir leur famille malgré les conditions difficiles, des techniciens... Sans plonger aux racines du fait, renvoyant partiellement à ses sources théoriques (notion de "consensus formel", formulée par l'ethnologue Maurice Duval), l'auteure identifie et décrit ce qu'elle appelle "l'esprit de mission", qui est un sens de la mission indispensable lorsqu'on se trouve en des lieux très, très reculés. L'existence d'un humour spécifique est également évoquée par l'auteur; les documents utilisés et reproduits la confirment.

 

L'auteure met aussi en évidence tout ce qui permet de construire une identité commune, considérée comme un ciment nécessaire. Outre l'humour, il y a les rituels tels que la Mid Winter, carnaval qui a lieu aux environs du 21 juin, jour le plus court de l'année dans les terres australes. L'auteure note en revanche que Noël est à peine fêté, attribuant cette omission au fait qu'il ne vaut pas la peine de célébrer une fête familiale loin des siens.

 

Il y a aussi le développement d'un langage spécifique. Celui-ci relève certes du jargon professionnel, mais le dépasse aussi, allant jusqu'à désigner des choses du quotidien, ou à dévoyer des mots du français standard afin de les adapter aux réalités du terrain. Cela, non sans un certain humour: ainsi, le responsable administratif des lieux s'appelle le Disker (et non disquaire... responsable du district de Kerguelen); sa femme (ou la femme qui occupe cette fonction le cas échéant) sera tout naturellement la Diskette, et leur logement est volontiers surnommé la Discothèque. L'auteure pose aussi que l'inventivité verbale touche les surnoms donnés aux habitants de l'île, des surnoms fondés sur les caractéristiques des personnes - un peu comme le vulgo donné aux membres d'une société d'étudiants suisse. Le lecteur aurait aimé, sur cet aspect, avoir quelques exemples...

 

En quelques regards rapides qui sont autant de pistes de recherche, l'auteure donne un aperçu de ce que peut être la vie aux îles Kerguelen. Celui-ci passe aussi par l'évocation de l'histoire particulière des lieux. Quelques aspects sont brièvement effleurés, par exemple la gestion des conflits, qui passe par le "daubage" - variante locale de la langue de vipère... Pour une première approche du sujet, "Les îles Kerguelen, un monde exotique sans indigène" s'avère excellent, d'autant plus que pour un ouvrage universitaire, son écriture est simple et que la structure de l'ouvrage est clairement construite. Le propos est, enfin, complété par deux lexiques du langage "taafien" (des TAAF, Terres australes et antarctiques françaises), reflets de deux visions du monde des îles Kerguelen: si celui d'Alexandre Céalis est sérieux et factuel, celui de Patrick Polker accorde une belle place à l'humour et aux impressions personnelles face aux mots.

 

Alexandra Marois, Les îles Kerguelen, un monde exotique sans indigène, Paris, L'Harmattan, 2003.

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5 août 2013 1 05 /08 /août /2013 19:51

hebergeur imageLu par 319 signes, André Bonet, Blog 75, Francis Richard, La Plume, La Voix du Peuple, Thierry Savatier.

 

Ce qu'on aime retrouver, lorsqu'on ouvre un livre de Claude Hagège, c'est son immense érudition, assortie d'un engagement prononcé en faveur de la langue française en particulier, et de l'écologie linguistique en général. Une alchimie parfaitement réalisée dans "Halte à la mort des langues", ouvrage dominé par une tonalité scientifique. Avec "Contre la pensée unique", son dernier opus, paru en 2012, l'auteur, professeur au Collège de France, répond avec brio à ce qu'on attend de lui, dans une réflexion construite qui touche à la fois à l'histoire et à l'actualité des langues dans le monde, et prend des allures assumées de manifeste.

 

Le postulat qui fonde cet ouvrage relève, à mon humble avis, de l'évidence: une langue est le reflet de la vision du monde et de la culture, forcément riche à sa manière, de ceux qui la parlent. Il convient dès lors d'accepter qu'il existe au moins autant de pensées que de langues dans le monde - cela, sans parler des individus. Dès lors, l'auteur postule que la diversité linguistique, éventuellement cloisonnée, est une source de richesse et d'émulation.

 

Très vite, le lecteur est invité à rapprocher l'idée que la pensée unique est le fruit d'une langue unique - l'anglais. L'auteur aborde cet élément par un biais historique pour commencer, afin de concéder que l'anglais doit beaucoup - plus même que les quelques anglicismes dont le locuteur francophone actuel s'offusque au quotidien - au français et aux langues latines. C'est reculer pour mieux sauter, cependant: l'auteur affirme aussi que l'intégration non contrôlée de mots anglais à la langue française biaise le mode de pensée francophone actuel, depuis un certain nombre d'années - et influe sur de nombreuses cultures d'ici et d'ailleurs, même si des signes de résistance à un tel impérialisme linguistique se font jour dans le monde, ce que l'auteur se fait un plaisir de révéler.

 

Poussant son argumentation plus loin, Claude Hagège va jusqu'à opposer langue de culture et langue de service, simple "langue communicante" comme dirait Etienne Barilier, cette dernière étant une version utilitaire présentée comme appauvrie d'une langue donnée. Le lecteur qui a appris plusieurs langues comprendra facilement ce que l'auteur de "Contre la pensée unique" veut dire: la langue maternelle véhicule une culture dont le locuteur n'a pas forcément conscience mais dont il est fort, alors que la langue apprise se ressentira peut-être d'une culture essentiellement utilitariste, qui obligera en tout cas à réfléchir à ce que l'on veut vraiment dire. Reste que la langue de culture sera toujours la plus forte... et que si celle-ci est l'anglais, cette langue continuera à imposer au monde la vision qu'elle sous-tend - et que Claude Hagège décrit comme néolibérale, un point de vue qu'il développe du reste plus avant dans un autre de ses ouvrages, "Combat pour le français". Une vision certes séduisante a priori: une seule langue, c'est plus pratique que plusieurs, qu'il faut apprendre. L'auteur la rejette cependant, parce qu'elle conduit à un monde standardisé, uniforme et appauvri - bref, à une pensée unique.

 

On ne s'y trompera donc pas: ce n'est pas au nom d'une simple opposition entre anglais et français que l'auteur se bat, même si l'auteur donne à comprendre que les deux langues, certes parentes, sont un peu comme l'eau et l'huile. Au contraire, il s'engage en faveur d'un plurilinguisme bien compris, vecteur d'autant de modes de pensées et de visions du monde qu'il y a de langues. Et à l'heure où la Chine, l'Allemagne et l'Espagne développent tous azimuts leur offre mondiale de formation linguistique et culturelle, l'auteur somme le gouvernement français de jouer sa partition. Elle doit être celle d'un vecteur responsable d'une grande culture mondiale: à l'instar de l'anglais, rappelons-le avec Claude Hagège, le français est la seule langue à être parlée sur tous les continents. Nicolas Sarkozy était encore président de la République française, et à ce titre responsable, un tant soit peu, d'une langue parlée par plus de 200 millions de personnes dans le monde, lorsque "Contre la pensée unique" a paru. François Hollande, son successeur, a-t-il su rectifier le tir là où c'était nécessaire? Affaire à suivre... hors des livres, mais dans le monde réel.

 

Claude Hagège, Contre la pensée unique, Paris, Odile Jacob, 2012.

 

Autres ouvrages mentionnés:

Claude Hagège, Halte à la mort des langues, Paris, Odile Jacob, 2000/2006.

Claude Hagège, Combat pour le français, Paris, Odile Jacob, 2006. 

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1 mai 2013 3 01 /05 /mai /2013 20:45

hebergeur imageNé en 1949, Jean Tabi-Manga est un linguiste et universitaire camerounais, ancien recteur de l'université de Yaoundé I. C'est à ce titre qu'il a signé en 2000 l'important ouvrage "Les politiques linguistiques du Cameroun, essai d'aménagement linguistique", qui explore dans le détail, sous ses aspects les plus divers, le complexe contexte linguistique camerounais.

 

Ce contexte a été marqué par la présence successive des Allemands, des Français et des Anglais, qui ont tous laissé en héritage un peu de leur langue et de leur culture au moment de l'indépendance, après avoir tenté, successivement, de comprendre et d'agencer la situation linguistique au Cameroun, caractérisée par une "diversité incomparable des langues". Dans les trois premiers chapitres, l'auteur adopte une méthode historique qui décrit les évolutions successives: rôles de la Baptist Missionary Society, de la mission de Bâle et des Pallotins, émergence du pidgin-english, conflits linguistiques dus à la prééminence accordée à la langue duala. Documents à l'appui, l'auteur rappelle également les divers modèles d'aménagement linguistique tentés par les Français et les Anglais, soucieux de donner sa place à chaque langue, que ce soit dans les contacts avec l'administration, la scolarisation, etc. Cela, tout en soulignant la demande, de la part des indigènes au temps des Anglais et des Français, d'apprendre la langue de ceux-ci, perçue comme un instrument d'émancipation.

 

Dans les chapitres 4 et suivants, l'auteur se concentre sur la situation qui prévaut depuis l'indépendance. Le lecteur sera intéressé par la cartographie linguistique détaillée proposée par le chapitre 4, qui décrit de manière détaillée et structurée, région par région, les langues nationales camerounaises, sur la base des travaux de l'Atlas linguistique du Cameroun (ALCAM). Quant aux situations d'utilisation de ces langues, elles sont décrites plus loin. Le chapitre 5 identifie une forme originale de bilinguisme institutionnel camerounais où le français et l'anglais coexistent comme langues officielles. L'avantage revient ici au français, qui n'est pas concurrencé par le pidgin-english dans son usage véhiculaire. Quelques exemples frappants sont évoqués, telle l'université bilingue de Yaoundé ou les efforts menés en vue d'un bilinguisme scolaire (projet officiel "Opération Bilinguisme").

 

En particulier, il est savoureux de parcourir la description que l'auteur fait du "camfranglais", ce mélange typique d'anglais, de français et de langues nationales qui vit depuis les années 1990 chez certaines populations camerounaises. Un langage présenté comme vivace, sans cesse mouvants, avant tout oral même s'il s'écrit parfois, dans une certaine presse ou pour le théâtre. L'auteur relève également le lexique et les procédés de formations de mots français typiques du Cameroun. Loin de toute ambition de pittoresque, cette démarche débouche sur la notion de "langue seconde" qu'il confère au français: pour le locuteur camerounais, elle coexiste avec la langue nationale (qui est la langue maternelle) et se caractérise par une convivialité certaine et par une réappropriation - contrairement à ce que serait le français langue étrangère, privilégiée ou non.

 

Ainsi, de l'école à la radio et à la télévision, des différentes strates de la société aux relations entretenues avec l'Etat, l'auteur brosse de manière détaillée, tantôt descriptive, tantôt analytique voire critique, un tableau captivant de la situation linguistique au Cameroun. A la fois bilan, manuel et travail de recherche, "Les politiques linguistiques du Cameroun" émet enfin quelques propositions en vue d'endiguer un libéralisme linguistique qui ne lui paraît pas satisfaisant. Il développe des modèles de compétences linguistiques quadrilingues qui font appel aux principales langues nationales et véhiculaires usitées au Cameroun, en plus des langues officielles.

 

Jean Tabi-Manga, Les politiques linguistiques du Cameroun, essai d'aménagement linguistique, Paris, Karthala, 2000.


Pour en savoir plus, voir également la recension de Sénamin Amédégnato, ici.

 

 

 

 

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5 janvier 2012 4 05 /01 /janvier /2012 21:28

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Sauver la France par la culture: tel est, de manière très simplifiée, le postulat de départ du livre "Culture, état d'urgence" d'Olivier Poivre d'Arvor. Directeur de la chaîne de radio France Culture, frère de Patrick Poivre d'Arvor, l'auteur lance, dans ce petit essai sorti aujourd'hui même, quelques idées pour permettre à l'Etat de rendre à la France une certaine place, pour ne pas parler d'une place certaine, au sein du concert des nations. L'idée a pour fondement l'idée d'un "New Deal" à la française.

 

New Deal? Comparaison étonnante, a priori! L'auteur rappelle un élément peu connu: ce programme étatique de relance ambitieux, lancé par Franklin Delano Roosevelt à la suite de la crise de 1929 aux Etats-Unis, comportait un volet culturel de grande envergure, dont les effets se font sentir aujourd'hui encore dans le monde entier. Pourquoi la France n'en ferait-elle pas autant, en mettant le paquet dans ce domaine qui, vu de loin, est encore considéré comme l'un de ses pôles d'excellence? Cela, d'autant plus que dans un contexte globalisé et uniformisé, la France n'aura plus que cette carte à jouer pour affirmer sa différence - et, plus largement, pour rappeler au monde entier qu'elle a quelque chose d'intéressant à lui dire.

 

L'état des lieux élaboré par l'auteur est pessimiste, certes, mais il comporte sa lumière d'espoir. L'auteur pointe du doigt le fait que l'on sait trop peu que la culture sera un élément clé de distinction à l'avenir. On l'ignore tellement que les budgets culturels sont en chute libre - cela, alors que les Français sont l'un des peuples du monde les plus disposés à (s')investir dans des biens et services culturels. Enfin, le politique privilégie, et l'auteur le regrette, un certain passéisme qui donne l'impression que "ça ronronne", sur la base d'un héritage perçu comme immarcescible. Or, la révolution du numérique a, selon l'auteur, largement échappé à la France, au profit de la puissance américaine, qui tient dès lors la main en matière de culture et, plus particulièrement, de véhicules et de supports culturels. Cela, alors que la France a été aux avant-postes en matière de photographie et de cinéma... entre autres révolutions culturelles passées.  

 

L'auteur se montre cependant optimiste parce qu'il a foi dans un peuple français qu'il présente comme avide de culture et créatif depuis toujours. Il rappelle par ailleurs que la France est en tête dans certains domaines, et qu'elle pourra, si elle s'en donne les moyens, s'affirmer à long terme comme une puissance culturelle mondiale de premier plan - à tout le moins. Parmi les forces de la France, l'auteur rappelle aussi la capacité historique de la culture française à intégrer aisément tout ce qui vient d'ailleurs, au profit de sa richesse culturelle. Fustigeant au passage un identitarisme étriqué parce qu'obsédé par une pureté de mauvais aloi, rappelant de manière cinglante le débat sur "l'identité nationale" lancé ces dernières années dans tout l'Hexagone, il considère que l'identité française ne peut être riche que de ses différences.

 

Dès lors, il expose une vision extensive de la culture, emboîtant le pas à François Mitterrand et citant volontiers Jack Lang. Cela, quitte à se montrer provocateur: est-on prêt à le suivre en admettant que les arts urbains, voire le tag et les graffs, sont des expressions culturelles? L'auteur va jusqu'à proposer une refonte des institutions et des budgets alloués à la culture, quitte à ce que Paris partage un peu avec la province, quitte à ce que les milieux associatifs artistiques (on peut penser aux chorales, mais aussi à la blogosphère, milieu bouillonnant et internationalisé d'amateurs passionnés...) soient mieux lotis et mieux considérés, comme un nécessaire complément aux expressions artistiques professionnelles, plutôt que comme le produit d'un amateurisme somme toute anecdotique. La question de la langue française elle-même est abordée: la France joue-t-elle vraiment le rôle moteur que toute la francophonie attend d'elle en la matière, ou préfère-t-elle se tenir en retrait, en se servant comme d'une excuse du refus du néocolonialisme linguistique? De manière intrigante, l'auteur rappelle que si aujourd'hui, la francophonie représente 200 millions de locuteurs répartis à parts égales entre l'hémisphère nord et l'hémisphère sud, il se pourrait que dès le milieu du XXIe siècle, l'écrasante majorité des francophones se trouve hors du Nord industrialisé...

 

Il y a, on l'a compris, un côté provocateur dans les propos de l'auteur - qui assume pleinement une position d'ouverture tous azimuts. La culture française peut-elle tout assimiler, tout intégrer? La France est-elle encore une puissance culturelle? Entend-t-elle se donner les moyens de le rester, alors que son statut de puissance est remis en question dans d'autres domaines (économique, technologique, militaire) (1)? Certes, l'auteur cède parfois au plaisir de faire du style pour le style et de filer la métaphore un peu trop loin; mais cela n'occulte pas la pertinence d'un propos qui, par-delà une brièveté qui implique la simplification et, parfois, le raccourci provocateur, devrait avoir le mérite d'ouvrir un débat trop peu présent dans les propos d'un monde politique qui a le tort de le sous-estimer. Car selon l'auteur, il est urgent d'agir!

 

Olivier Poivre d'Arvor, Culture, état d'urgence, Paris, Tchou, 2012.

Lu dans le cadre d'un partenariat avec Les Agents Littéraires et les éditions Tchou, que je remercie ici pour l'envoi.

 

(1) Concernant les quatre éléments constitutifs d'une hyperpuissane, je cite Jean-François Revel, La grande parade (p. 311), qui cite lui-même Le grand échiquier de Zbigniew Brzezinski.

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29 août 2011 1 29 /08 /août /2011 20:50

hebergeur image"Espéranto, désespéranto" est un bref ouvrage publié chez Gallimard par Anna Moï en 2006. Sur 66 pages, c'est aussi un témoignage dense, éminemment personnel, sur le rapport que cette écrivain vietnamienne entretient avec les six langues qu'elle maîtrise, et en particulier avec le vietnamien, sa langue maternelle, et le français, une de ses langues d'écriture.

 

Un néologisme en plein titre? Jouant de son plurilinguisme, l'auteur s'autorise un tel jeu: "Etranger et écrivain, on transgressera les frontières sans outrecuidance, en emêlera les pinceaux - voire, le pinceau et la plume - sans être soupçonné d'iconoclastie.", dit-elle en p. 26. C'est que pour l'auteur, la langue n'est qu'un outil, un matériau au service d'une expression. Anna Moï relève du reste avec pertinence les connotations très différentes que peuvent couvrir, par-delà leur sens premier, des mots de sens voisin dans deux langues distinctes - cela, à l'exemple du verbe "déambuler", du foisonnement d'idées particulières qu'il évoque en vietnamien et de sa sobriété conceptuelle en français. De tels décalages pourraient inciter l'auteur à choisir sa langue d'écriture en fonction du message qu'elle veut faire passer.

 

Il y a cependant, pour elle, une langue plus universelle que les six qu'elle pratique: celle de la musique et, singulièrement, du chant. Ayant compris le formidable véhicule émotionnel qu'elle constitue, elle s'est mise à travailler sa voix et à faire pleurer son auditoire en chantant. Tel est le sens qu'elle donne au mot "espéranto" - un espéranto plus universel que la langue créée par Ludwig Zamenhof ou que l'anglais qu'on baragouine partout, si universel qu'il n'est pas nécessaire de comprendre les paroles pour être ému en tant qu'auditeur.

 

Universel, cet espéranto s'oppose au désespéranto, que l'auteur présente, au terme de sa réflexion, comme une langue qui serait excluante, argot créé à l'usage d'un groupe qui entend ne pas être compris des tiers non autorisés. Elle mentionne ici, à titre d'exemple, le langage des cités, dépeint comme une langue clivante de non-communication et de repli.

 

Le propos est émaillé d'éléments tirés de l'histoire du Viêt-Nam, des éléments qui dictent l'évolution d'une langue; elle mentionne les trois formes du vietnamien et retrace de manière succincte les grands moments de l'histoire littéraire du pays et de son rejet progressif d'un confucianisme et d'une influence chinoise qui ont modelé les conditions de vie et les mentalités du Viêt-Nam. Cela, sans parler de l'évolution des noms des personnes au cours d'une vie, voire du jeu des pseudonymes, auquel l'auteur elle-même se prête! Le statut du français au Viêt-Nam est lui-même abordé. En parlant de français, ce n'est qu'assez tard que l'auteur en vient au sous-titre de son livre: "La francophonie sans les Français", donnant à voir, par cette idée, un clivage entre la France et les Autres - et suggérant une forme de hiérarchisation, les francophones non français étant par exemple, selon l'auteur, peu présents dans les manuels de littérature. Reste que le portrait qu'elle dresse de cette francophonie hors de France est enviable: "A l'étranger, la francophonie sans les Français est non pas un mythe, mais une réalité jubilatoire, généreuse, vivante." (p. 63)

 

La francophonie est ainsi perçue par une actrice du monde littéraire, qui a pris l'habitude de dire le monde en français. Ce n'est pas sa langue maternelle? Peu importe: "On écrit toujours dans une langue étrangère, fût-elle sa langue maternelle.", dit-elle, formulant une idée récurrente de ce volume. L'écrivain saura se souvenir de ce message lorsqu'il prendra la plume et réinventera, phrase après phrase, son propre langage pour dire un monde qui lui appartient et qu'il entend partager.

 

Anna Moï, Espéranto, désespéranto, Paris, Gallimard. 2006.

 

 

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18 août 2011 4 18 /08 /août /2011 19:00

hebergeur imageFaire la synthèse d'une question en cent vingt pages environ: tel est le défi que la collection Que sais-je? relève, livre après livre, en abordant l'un après l'autre les grands et les petits thèmes du savoir humain. Signé Xavier Deniau, l'opuscule consacré à la francophonie (n° 2111) ne déroge pas à la règle. ll fait intelligemment le tour de la question, de manière d'abord descriptive puis en glissant peu à peu vers les défis qui attendent la francophonie - qu'elle soit institutionnelle ou qu'on la considère comme un fait établi, constitutif du monde où nous vivons.

 

Précisons d'abord les choses: j'ai lu la deuxième édition de cet ouvrage, sortie de presse en 1992. A certains égards, elle date donc un peu, en particulier en ce qui concerne les institutions liées à la francophonie. Ainsi, par la force des choses, on n'y parlera pas de l'Organisation internationale de la francophonie sous sa forme actuelle; les défis inhérents à cette organisation, en particulier la question de sa visibilité, ne se posent pas dans les mêmes termes aujourd'hui qu'à l'époque. Reste que cette lecture a été instructive.

 

L'auteur reste en effet conscient de la nuance à faire entre la francophonie vue comme un fait à décrire et la francophonie institutionnelle et son cortège d'organes et d'associations, d'ordre national ou supranational. Il parvient cependant à lier les deux éléments et à identifier dans la langue française un rôle de médiateur; une francophonie bien comprise n'est pas, pour lui, synonyme de néocolonialisme - et c'est aussi ainsi qu'il explique le relatif retrait de la France, ancienne puissance coloniale, dès lors qu'il s'agit de francophonie institutionnelle. Une position qui pourrait paraître paradoxale, puisque certains Etats attendent justement de la France qu'elle assume davantage son rôle de leader en la matière.

 

La première partie de ce livre commence par retracer l'histoire de la notion de francophonie, en rappelant l'inventeur du mot, Onésime Reclus, puis en rappelant la fameuse revue Esprit où il a été relancé, dans son numéro de novembre 1962. L'auteur dessine ensuite l'aire de répartition de la langue française dans le monde entier, en distinguant les pays et régions où le français est installé depuis toujours et ceux où il s'est imposé dans le cadre des colonies - cela, sans oublier les circonstances historiques qui ont favorisé, dans certains coins du monde, une francophilie indéniable (Roumanie, Moldavie).

 

La question de la francophonie institutionnelle est abordée dans ce livre sous divers aspects, le plus souvent descriptifs. Ainsi sont rappelés les sommets de la francophonie, la genèse des organisations de coopération entre pays ayant le français en partage - mais aussi le rôle joué par les associations, en France et dans le monde, pour concourir aux objectifs de l'organisation (défense d'intérêts, coopération, aide au développement, défense du français, etc.). Les défis sont également abordés: comment faire fonctionner un groupe de pays majoritairement pauvres? N'y a-t-il pas, de la part de certains pays francophones censés donner l'exemple, une complaisance coupable envers l'anglais? Comment faire connaître cette organisation, afin d'en améliorer l'acceptation au sein du public et des groupes d'intérêts concernés? Qu'en est-il des réactions hostiles? Le chapitre 3 de la deuxième partie est, à ce titre, particulièrement éclairant.

 

Certes, un "Que sais-je?" se veut avant tout une synthèse et un point de départ vers une réflexion plus large sur un thème donné. Ici, l'auteur a fort judicieusement joint, en fin de volume, une bibliographie succincte qui permettra au lecteur intéressé d'aller plus loin dans son exploration du sujet. A tous leségards, c'est donc une excellente initiation au sujet que l'auteur de cet opus propose.

 

Xavier Deniau, La francophonie, Paris, PUF/Que sais-je?, 1992.

 

L'article de Léopold Sédar Senghor où apparaît le terme de "francophonie" est accessible librement sur le site de la revue Esprit, dans la rubrique prévue à cet effet.  

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8 août 2011 1 08 /08 /août /2011 19:05

hebergeur imageLe politologue Florent Parmentier ne cache pas être tombé sous le charme de la Moldavie et de ses habitants lorsqu'il y est allé pour la première fois, pour des raisons professionnelles. Dès lors, la passion est très présente dans son petit livre "Moldavie: les atouts de la francophonie". Paru aux éditions Non-Lieu en 2010, ce petit livre se veut aussi une porte d'entrée vers un pays méconnu et un espace de découverte d'un lieu francophile insoupçonné.

 

Méconnue, la Moldavie l'est en effet si, d'après l'auteur, l'on considère l'image qu'il renvoie dans la presse occidentale, voire dans les esprits du grand public, entre crime organisé et régime politique instable. Cela, sans parler de l'image du "pays le plus pauvre d'Europe" qu'elle fait naître dans certains esprits. L'auteur nuance tout cela, préférant montrer plusieurs exemples méconnus mais positifs - qui se présentent selon lui par grappes, ce qui lui permet de relever la très forte culture viti-vinicole du pays et de rappeler que les caves du producteur de mousseux Cricova sont classées au patrimoine mondial de l'Unesco.

 

Dans sa démarche, l'auteur déborde parfois du cadre national moldave, que ce soit en parlant de la Roumanie et de la Russie (l'histoire régionale et nationale de ces trois pays s'imbriquant étroitement), ou en évoquant, de manière assez longue pour un si petit ouvrage, les institutions de l'Union européenne - peut-être afin de les faire connaître à un public roumanophone, après traduction?

 

Les traits d'union avec la France et la culture française sont mis en évidence, qu'il s'agisse d'éléments anecdotiques en apparence, telle la présence d'un buste de Dimitrie Cantemir en face du Panthéon de Paris, ou essentiels, telle la présence culturelle persistante du français dans la région. Tel est l'héritage vivace du temps où la Moldavie s'appelait la Bessarabie; le français est encore enseigné comme première langue étrangère dans certaines écoles, des bibliothèques françaises ont vu le jour et l'Alliance française, parmi d'autres organisations francophiles, est présente et active. Réciproquement, l'auteur présente volontiers le mouvement des "Moldaviens", groupe de personnes aimant la Moldavie et se réunissant à intervalles réguliers afin d'agir, dans la mesure de ses moyens, et d'informer (par exemple au moyen du site Moldavie.fr).

 

L'évocation de soutiens français récents à la Moldavie, par exemple au moment de son admission au sein de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), permet à l'auteur d'évoquer quelques défis qui attendent la Moldavie, ainsi que des opportunités que l'OIF recèle pour cet Etat. Cela s'exprime en termes de réseaux, de coopération, de jumelages (les jumelages entre localités de France et de Moldavie sont présentés assez en détail, entre autres à travers l'exemple de Grenoble/Chisinau, particulièrement peu actif - malheureusement, selon l'auteur). Enfin, l'auteur pose la question d'une candidature de Chisinau à l'organisation d'un Sommet de la Francophonie, qui pourrait s'avérer un élément fédérateur et, pour ce pays d'ores et déjà plurilingue (roumain, mais aussi ukrainien, russe, bulgare, gagaouze, etc.), une occasion de se profiler sur la scène internationale afin d'avancer ses pions.

 

C'est donc un ouvrage essentiellement constructif et optimiste que le lecteur découvre ici. Certes, c'est bref; plutôt qu'une analyse approfondie, "Moldavie: les atouts de la francophonie" constitue donc plutôt un recueil de pistes offertes à celle ou celui qui entend mieux connaître ce pays - et, pourquoi pas, l'aimer. Pistes encore enrichies d'une biographie succincte qui permettra à chacun d'aller plus loin.

 

Florent Parmentier, Moldavie: les atouts de la francophonie, Paris, Non-Lieu, 2010.

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18 juillet 2011 1 18 /07 /juillet /2011 21:02

hebergeur image"Une langue en copropriété?" Telle est l'interrogation qui apparaît en sous-titre de l'ouvrage "Histoire du français en Afrique", paru en 2010 chez Ecriture et écrit par Louis-Jean Calvet. Ce linguiste use de plusieurs approches pour relater la vie de la langue française en Afrique, depuis la première école ouverte à Saint-Louis du Sénégal par Jean Dard en 1817 jusqu'à nos jours. Ce faisant, c'est tout un pan d'histoire qu'il retrace, avec ses débats et ses passions.

 

Les premiers chapitres du livre adoptent une démarche historique classique et chronologique, en mettant l'accent sur l'enseignement du français, langue du colonisateur, aux peuples indigènes d'Afrique - cela, dès lors que les puissances occidentales ont choisi de s'installer sur place plutôt que de commercer avec l'Afrique en clients extérieurs, dès le début du dix-neuvième siècle. La question des langues indigènes constitue le serpent de mer des débats. Si Jean Dard s'intéressait aux langues indigènes, d'autres après lui, enseignants militaires ou religieux, ont peu à peu imposé le seul français dans les programmes scolaires des colonies de France, usant de méthodes partiellement inspirées de celles utilisées en métropole (p. ex. "Mamadou et Bineta"). Le Congo belge, en revanche, a été le lieu d'une plus grande ouverture aux langues des indigènes - et Dieu sait qu'elles sont nombreuses (plus de 200).

 

Les finalités de l'enseignement sont également abordées dans ce livre, ainsi que le débat qu'elles suscitent: faut-il enseigner le français uniquement à des fins utilitaires, ou peut-on aller jusqu'à des cours de littérature? S'inscrit, derrière cette question, ce que doivent devenir les populations d'Afrique: personnel subalterne des colonies, prêtres, soldats (cas des tirailleurs sénégalais, dont la langue de travail fut le bambara avant d'être le français)? Cela, sans oublier qu'au fond, les populations indigènes n'ont pas voix au chapitre à ce sujet, de même que lors de la conférence de Berlin (1884), les puissances occidentales se sont réparti les territoires africains sans tenir compte des populations locales, absentes de la table de négociations.

 

L'auteur touche également à des questions d'aménagement linguistique et étudie la place que le français trouve (ou non) aux côtés des langues africaines, qui restent parlées. Plusieurs aspects sont dès lors analysés par l'auteur. La réappropriation du français par les Africains donne ainsi lieu à un chapitre savoureux sur les particularismes langagiers; au-delà du pittoresque, l'auteur démontre, en recourant aux exemples de la néologie (avec cependant quelques mécanismes universels tels que la création de noms en -isme ou de verbes en -er) ou des surnoms donnés aux billets de banque congolais, que le français s'est acclimaté à ses nouvelles terres, comme une plante qui croît et prospère loin de ses latitudes d'origine. Le jeu des langues véhiculaires au Congo permet aussi à l'auteur de démontrer comment celles-ci servent de pivot entre le français, langue officielle, et les quelque 200 langues locales. Pour cerner le rôle du français, il n'hésite pas à recourir aux "nébuloscopes" d'un certain Jean Véronis, linguiste bien connu dans la blogosphère.

 

Langue officielle, ai-je dit? Dans un de ses derniers chapitres, l'auteur expose la différence qu'on peut faire entre langue "nationale" et "officielle", cette dernière étant celle des autorités, volontiers la langue de l'ancien colon, alors que les langues nationales sont les langues vernaculaires ou, dans certains cas, les langues qui jouent un rôle véhiculaire (kinyarwanda, swahili, etc.). Une explication utile pour des Européens enclins à considérer ces deux termes comme parfaitement synonymes et à ne plus faire cette distinction.

 

Beau voyage à travers l'histoire, donc, que ce livre qui, partant d'une démarche chronologique classique, offre au lecteur plusieurs portes d'entrée pour connaître la manière dont l'Afrique joue son rôle de copropriétaire ou d'héritière de la langue française. Un regret? Il est peu question, ici, du Maghreb; l'auteur s'est concentré sur les territoires d'Afrique noire. Malgré cela, c'est un ouvrage instructif, à mettre entre toutes les mains, tant il est vrai que l'auteur, jouant d'un style agréable, sait rester abordable.

 

Louis-Jean Calvet, Histoire du français en Afrique, Paris, Ecriture/Organisation internationale de la Francophonie, 2010.

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23 mars 2011 3 23 /03 /mars /2011 21:40

hebergeur imageAu départ, il y a une thèse de doctorat, celle de la chercheuse Marine Lefèvre, soutenue à l'université Paris-IV-Sorbonne. Et dès à présent, le lecteur friand d'histoire diplomatique peut découvrir, dans les pages du livre "Le soutien américain à la Francophonie", les arcanes d'un appui inattendu à l'organisation que firent émerger, en son temps, les dirigeants africains Léopold Sédar Senghor, Habib Bourguiba et Hamani Diori.

 

Cette étude se fonde sur les travaux du chercheur américain Jeffrey Rosner, qui a mis au jour la question de l'aide américaine à la Francophonie ainsi que ses enjeux, en particulier dans l'optique de retenir les pays africains dans le giron occidental, dans une perspective mondialiste. Elle recourt également à une vaste bibliographie, constituée d'études du monde entier (livres, articles), mais aussi d'archives diplomatiques et ministérielles des Etats-Unis, de la France et du Canada.

 

L'auteur prend le temps de dépeindre le contexte qui prévaut dans les années 1960/70, sous les présidences successives de John F. Kennedy et de Lyndon B. Johnson. Cela lui permet de dégager progressivement le concept de "désengagement engagé" qui décrit au mieux les modalités de la présence américaine en Afrique durant cette période, une présence qui évolue assez rapidement vers des aides plus réduites et ciblées et se traduit par une volonté globale de jouer le rôle de "junior partner" aux côtés de la France, restée présente à différents degrés dans ses anciennes colonies.

 

L'étude approche ainsi, à partir des cas particuliers et fort différents du Congo, du Sénégal, de la Guinée, de la Tunisie et de la Côte d'Ivoire, les différentes manières d'intervenir ou de se positionner des Etats-Unis, en fonction des enjeux. On pourrait croire que les Etats-Unis sont soucieux de ne pas faire de vagues; mais l'auteur parvient à identifier, au chapitre 6, des sources de tensions et de rivalités entre l'ancien colonisateur et la puissance américaine. Une puissance qui ne trouve pas forcément ses marques en Afrique francophone toutefois, en raison de sa méconnaissance du terrain et des langues qui y sont parlées - y compris le français.

 

Cela n'empêche pas les Américains de s'intéresser à la Francophonie institutionnelle et de suivre son émergence de très près, éventuellement aux côtés du Canada, dont l'intégration à l'ensemble francophone ne va pas sans heurts dans un contexte marqué par l'indépendantisme québécois, mal vu par le gouvernement d'Ottawa. 

 

"Le soutien américain à la Francophonie" se développe ainsi selon une grande diversité de points de vue, faisant alterner études de cas, pages d'histoire diplomatique, portraits de personnages (Hamani Diori), analyse critique d'autres ouvrages, etc. Cette étude ouvre de nouvelles perspectives de recherche, par exemple concernant d'éventuels échecs américains survenus dans le cadre de leur approche de l'Afrique francophone. Consciente du caractère paradoxal de ce soutien, l'auteur parvient cependant à le rendre lisible et compréhensible à tout lecteur intéressé, et à lui présenter les différents points de vue et enjeux qui sous-tendent ce pan de l'aide américaine.

 

Marine Lefèvre, Le soutien américain à la Francophonie, Paris, Sciences Po Les Presses, 2010.

 

 

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