Sauver la France par la culture: tel est, de manière très simplifiée, le postulat de départ du livre "Culture, état
d'urgence" d'Olivier Poivre d'Arvor. Directeur de la chaîne de radio France Culture, frère de Patrick Poivre d'Arvor, l'auteur lance, dans ce petit essai sorti aujourd'hui même, quelques idées
pour permettre à l'Etat de rendre à la France une certaine place, pour ne pas parler d'une place certaine, au sein du concert des nations. L'idée a pour fondement l'idée d'un "New Deal" à la
française.
New Deal? Comparaison étonnante, a priori! L'auteur rappelle un élément peu connu: ce programme étatique de
relance ambitieux, lancé par Franklin Delano Roosevelt à la suite de la crise de 1929 aux Etats-Unis, comportait un volet culturel de grande envergure, dont les effets se font sentir aujourd'hui
encore dans le monde entier. Pourquoi la France n'en ferait-elle pas autant, en mettant le paquet dans ce domaine qui, vu de loin, est encore considéré comme l'un de ses pôles d'excellence? Cela,
d'autant plus que dans un contexte globalisé et uniformisé, la France n'aura plus que cette carte à jouer pour affirmer sa différence - et, plus largement, pour rappeler au monde entier qu'elle a
quelque chose d'intéressant à lui dire.
L'état des lieux élaboré par l'auteur est pessimiste, certes, mais il comporte sa lumière d'espoir. L'auteur pointe du
doigt le fait que l'on sait trop peu que la culture sera un élément clé de distinction à l'avenir. On l'ignore tellement que les budgets culturels sont en chute libre - cela, alors que les
Français sont l'un des peuples du monde les plus disposés à (s')investir dans des biens et services culturels. Enfin, le politique privilégie, et l'auteur le regrette, un certain passéisme qui
donne l'impression que "ça ronronne", sur la base d'un héritage perçu comme immarcescible. Or, la révolution du numérique a, selon l'auteur, largement échappé à la France, au profit de la
puissance américaine, qui tient dès lors la main en matière de culture et, plus particulièrement, de véhicules et de supports culturels. Cela, alors que la France a été aux avant-postes en
matière de photographie et de cinéma... entre autres révolutions culturelles passées.
L'auteur se montre cependant optimiste parce qu'il a foi dans un peuple français qu'il présente comme avide de
culture et créatif depuis toujours. Il rappelle par ailleurs que la France est en tête dans certains domaines, et qu'elle pourra, si elle s'en donne les moyens, s'affirmer à long terme comme une
puissance culturelle mondiale de premier plan - à tout le moins. Parmi les forces de la France, l'auteur rappelle aussi la capacité historique de la culture française à intégrer aisément tout ce
qui vient d'ailleurs, au profit de sa richesse culturelle. Fustigeant au passage un identitarisme étriqué parce qu'obsédé par une pureté de mauvais aloi, rappelant de manière cinglante le débat
sur "l'identité nationale" lancé ces dernières années dans tout l'Hexagone, il considère que l'identité française ne peut être riche que de ses différences.
Dès lors, il expose une vision extensive de la culture, emboîtant le pas à François Mitterrand et citant volontiers
Jack Lang. Cela, quitte à se montrer provocateur: est-on prêt à le suivre en admettant que les arts urbains, voire le tag et les graffs, sont des expressions culturelles? L'auteur va jusqu'à
proposer une refonte des institutions et des budgets alloués à la culture, quitte à ce que Paris partage un peu avec la province, quitte à ce que les milieux associatifs artistiques (on peut
penser aux chorales, mais aussi à la blogosphère, milieu bouillonnant et internationalisé d'amateurs passionnés...) soient mieux lotis et mieux considérés, comme un nécessaire complément aux
expressions artistiques professionnelles, plutôt que comme le produit d'un amateurisme somme toute anecdotique. La question de la langue française elle-même est abordée: la France joue-t-elle
vraiment le rôle moteur que toute la francophonie attend d'elle en la matière, ou préfère-t-elle se tenir en retrait, en se servant comme d'une excuse du refus du néocolonialisme linguistique? De
manière intrigante, l'auteur rappelle que si aujourd'hui, la francophonie représente 200 millions de locuteurs répartis à parts égales entre l'hémisphère nord et l'hémisphère sud, il se pourrait
que dès le milieu du XXIe siècle, l'écrasante majorité des francophones se trouve hors du Nord industrialisé...
Il y a, on l'a compris, un côté provocateur dans les propos de l'auteur - qui assume pleinement une position
d'ouverture tous azimuts. La culture française peut-elle tout assimiler, tout intégrer? La France est-elle encore une puissance culturelle? Entend-t-elle se donner les moyens de le rester, alors
que son statut de puissance est remis en question dans d'autres domaines (économique, technologique, militaire) (1)? Certes, l'auteur cède parfois au plaisir de faire du style pour le
style et de filer la métaphore un peu trop loin; mais cela n'occulte pas la pertinence d'un propos qui, par-delà une brièveté qui implique la simplification et, parfois, le raccourci provocateur,
devrait avoir le mérite d'ouvrir un débat trop peu présent dans les propos d'un monde politique qui a le tort de le sous-estimer. Car selon l'auteur, il est urgent d'agir!
Olivier Poivre d'Arvor, Culture, état d'urgence, Paris, Tchou, 2012.
Lu dans le cadre d'un partenariat avec Les Agents Littéraires et les
éditions Tchou, que je remercie ici pour l'envoi.
(1) Concernant les quatre éléments constitutifs d'une hyperpuissane, je cite Jean-François Revel, La grande
parade (p. 311), qui cite lui-même Le grand échiquier de Zbigniew Brzezinski.