Lu par Au détour d'un livre, Goliath.
Puissant pavé que "L'Or des Malatesta"! Le romancier Laurent Ladouari y poursuit l'ample récit de la destinée des personnages qui hantaient "Cosplay". Joie d'abord: l'esprit baroque de ce premier ouvrage est maintenu dans "L'Or des Malatesta". Visuellement d'abord, avec des jeux sur les polices de caractères. Et au niveau du récit lui-même, qui met en scène des personnages hénaurmes.
... et c'est le mot: "L'Or des Malatesta" donne au lecteur l'impression d'assister à des combats entre humains augmentés aux airs de demi-dieux déguisés. Ils sont souvent très forts, volontiers très intelligents (à l'exemple des "Polymathes" et de ceux qui sortent de l'école bien nommée de "Nonpareil") et, pour certains d'entre eux, aussi riches qu'un pays. Cela, quitte à ce que cela paraisse un peu too much au lecteur, qui doit accepter le principe de cette confrontation entre titans d'essence humaine, gens de pouvoir respectés ou honnis.
De ce point de vue, c'est Tancrède Malatesta, flambeur et fantasque, qui occupe le devant de la scène, éclipsant son frère jumeau Julien qui, malgré son talent de maître d'armes, paraît bien discret. L'auteur excelle à faire de Tancrède un richard qui ne sait que faire de son argent, et crée avec brio un personnage aux mille ruses, Ulysse d'un monde post-apocalyptique où tant de choses sont à reconstruire.
La générosité de l'auteur s'exprime aussi dans la vastitude des thèmes abordés. Il dessine les travers d'un monde profondément inégalitaire, où les privilégiés qui vivent en ville sont riches et puissants alors que les exclus, ceux qui vivent dans la zone, doivent se contenter de peu et s'inventer une vie d'expédients, pas toujours triste d'ailleurs. Passant d'un monde à l'autre, l'auteur crée ici un contraste net. Et, illustrant les rivalités qui s'installent entre les deux mondes, suggère une réflexion sur l'égoïsme plus ou moins avoué des privilégiés.
Il est aussi question, mine de rien, de l'intrusion de l'information, partout, et c'est là un sujet d'une brûlante actualité. Dans "L'Or des Malatesta", cet aspect prend la forme de nombreux paragraphes intercalaires citant des extraits d'interviews ou des dépêches de presse. Plus encore, il y a toujours un journaliste pour parler de ce qui se passe, même si c'est insignifiant, ou pour commenter - on pense à la belle Livie Holström. Cela, sans oublier les orientations de médias qui diffusent partout, officiellement plus ou moins indépendants mais officieusement aux ordres de la main qui les nourrit.
Cette générosité a cependant ses limites, l'impression étant que le roman, fort long, se perd parfois dans des détails dont l'utilité narrative ne saute pas aux yeux. On peut penser aux cadeaux que tel personnage va acheter dans une énigmatique boutique japonaise: certes, cet épisode a quelque chose de pittoresque qui peut rappeler le début de "La Peau de Chagrin" d'Honoré de Balzac; mais les cadeaux achetés ne resservent guère dans "L'Or des Malatesta". A moins que l'auteur ne s'ouvre d'ores et déjà des portes pour une suite? Quant au lecteur, il pourra facilement se perdre dans la grande quantité de personnages qui se côtoient dans ce roman. Fort heureusement, celui-ci inclut un récapitulatif en annexe.
Le lecteur sort donc repu de "L'Or des Malatesta", un ouvrage certes solide et généreux, mais qui cède facilement au plaisir de l'errance. La suite? On l'attend quand même, ne serait-ce que pour savoir où l'auteur entend conduire les personnages qu'il a créés, et qui semblent manipulés par quelques entités énigmatiques, quasi divines, qui jouent au go dans un jardin japonais.
Laurent Ladouari, L'Or des Malatesta, Paris, HC Editions, 2016.
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