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15 mars 2014 6 15 /03 /mars /2014 20:05

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Lu par Christophe Bouillaud, Egalité et réconciliation, Fahrenheit 451, Jean Glavany, Josselin Noire, Olivier Kempf, Jean-Yves Le Goff, La Lettre volée, Laurent Pinsolle, L'Espoir, Malakine, Perspectives géopolitiques, Scriptoblog, Serge Chaudourne, Vieux Singe.

 

La liste des blogs et sites qui en ont parlé est éloquente: de gauche à droite de l'échiquier politique français, "Après la démocratie" ne laisse pas indifférent. Le titre de ce livre d'Emmanuel Todd fait écho à un précédent opus de sa main, "Après l'Empire", qui a valu à son auteur une certaine réputation de visionnaire. C'est un peu pour cela que j'ai acquis cet ouvrage, paru en 2008, espérant y trouver le prolongement d'un autre livre parlant des vicissitudes de la démocratie en ce début de vingt et unième siècle: "L'hiver de la démocratie", de Guy Hermet.

 

Nicolas Sarkozy, le portrait-charge

La déception est au rendez-vous, force m'est de le constater: m'attendant à un ouvrage assez universel, je me retrouve avec un essai franco-centré, débutant, de manière fort correcte pour accrocher le lecteur, par la personnalisation du propos. Celle-ci passe à travers l'exemple de Nicolas Sarkozy, président de la république française de 2007 à 2012 comme on le sait. Un an à peine après son élection, l'auteur brosse un portrait peu flatteur de son action.

 

Un portrait qui fait étrangement écho au bilan de son successeur à l'Elysée: après tout, tous deux ont en commun l'étalage d'une vie sentimentale pas très orthodoxe - et ce n'est que le moindre exemple, même si Emmanuel Todd se complaît, à plus d'une reprise, à évoquer la figure de Carla Bruni. Le portrait-charge qui ouvre "Après la démocratie" a peut-être pu braquer contre Emmanuel Todd les lecteurs de la première heure; ceux qui s'y mettent à présent ne peut que tirer des parallèles avec l'actuel président français.

 

On peut aller jusqu'à se demander si Nicolas Sarkozy et le sarkozysme, auxquels l'auteur ne trouve aucune qualité (non, mais VRAIMENT aucune), n'est pas son bouc émissaire. Une question pertinente, dans la mesure où l'auteur, rappelant un certain Carl Schmitt, rappelle que la désignation de l'ennemi (l'islam aujourd'hui, le Juif naguère - ces éléments sont cités et exploités dans "Après la démocratie") peut être un principe politique.

 

Un épisode anthropologique intéressant et original

La suite est plus intéressante, en ce sens qu'elle adopte une perspective anthropologique et historique pour expliquer certains traits caractéristiques des Français d'aujourd'hui. L'auteur parvient par exemple à exposer de façon convaincante la carte électorale française: pourquoi telle région, plutôt qu'une autre, vote-t-elle à droite, à gauche? Pour ce faire, il fait appel à l'histoire du catholicisme en France, et en particulier à certains éléments de l'épisode de la Révolution française.

 

Ce n'est qu'un élément: plus original, l'auteur montre aussi les habitudes parfois divergentes des Français d'autrefois en matière d'héritage afin d'analyser l'intégration de la notion d'égalité dans la mentalité de ce peuple. Une notion qui ne va pas de soi: par des comparaisons, Emmanuel Todd démontre par exemple que la notion d'égalité n'a pas la même importance dans le monde anglo-saxon, ou ne se pose pas dans les mêmes termes en Russie, en raison des modalités traditionnelles d'héritage dans le monde rural.

 

Il est aussi question d'instruction publique, celle-ci tendant selon l'auteur à une progression tendancielle, profitable à l'émergence d'une société démocratique, mais aussi d'un certain individualisme - l'auteur parle volontiers de narcissisme. Tous ces éléments mettent en évidence une certaine crise de la société française, oscillant entre lutte des classes, lutte contre des élites en lesquelles elle n'a plus confiance (elles peuvent être aussi médiocres que le peuple selon l'auteur - et l'auteur ne manque pas de rappeler le bilan scolaire de Nicolas Sarkozy à l'appui de ses dires) et tentation du repli ethnique - donc d'une égalité limitée à l'"entre nous".

 

La démocratie, c'est fini?

Plus loin, l'auteur se livre à une attaque en règle contre la mondialisation et le libre-échange, coupables selon lui de la contraction des salaires, résultat de la concurrence de la Chine - entre autres. Il est permis de se demander si cette attaque n'est pas un peu vaine: il suffit de se souvenir de "La mondialisation" de Pierre de Senarclens pour savoir que la tendance mondialiste est un fait bien ancré aujourd'hui - et qu'elle ne date en tout cas pas d'hier.

 

L'épisode "anti-mondialiste" de "Après la démocratie" paraît d'ailleurs assez éloigné du propos suggéré par le titre de cet ouvrage, même si l'auteur s'efforce de démontrer que les partis français républicains dominants (UMP, PS), pour lesquels la majorité des électeurs votent, acceptent la mondialisation sans chercher à en éliminer vigoureusement les inconvénients. Vigoureusement, c'est-à-dire selon la manière qu'Emmanuel Todd propose...

 

Quelques scénarios pour terminer

L'auteur rejoint Guy Hermet lorsqu'il décrit une classe politique qui recherche le pouvoir mais paraît finalement plus intéressée par l'idée d'assurer le show pour se faire élire que par la réalisation d'un programme inexistant - plus d'un lecteur pourra être tenté de penser à la valise "UMPS", d'autant plus que l'auteur, s'il étrille la droite française, n'épargne pas la gauche. Pour ne prendre qu'un exemple frappant, il va jusqu'à suggérer que Ségolène Royal, candidate socialiste à l'élection présidentielle en 2007, relève de la "droite loufoque, socialo-traditionaliste" (p. 30)...

 

Il s'inspire également de Guy Hermet lorsqu'il dépeint l'idée de "gouvernance", qu'il rend synonyme de dictature (pouvoir ne reposant pas sur une légitimité démocratique) en n'hésitant pas à faire le parallèle avec le régime politique chinois.

 

Dès lors, après avoir étudié deux pistes lourdes d'inconvénients (la "république ethnique", qui pourrait être la voie privilégiée d'un gouvernement de droite, et la "suppression du suffrage universel", que pourrait souhaiter une gauche qui aime qu'on "vote juste" - cf. les réactions au scrutin suisse du 9 février dernier sur l'immigration de masse), l'auteur arrive à la conclusion que le protectionnisme pourrait être une solution à la crise actuelle de la démocratie, entre autres en freinant la pression sur les salaires et, partant, la fragilisation des classes moyennes.

 

Il faut quand même relever, ici, que l'auteur n'aborde pas vraiment les inconvénients de cette option - par exemple la possibilité d'une hausse des prix à la consommation. En lisant la courte conclusion d'"Après la démocratie", cette solution paraît simple, faite de "y'a qu'à". Mais telle qu'elle est exposée, n'est-elle pas simpliste, en définitive? Elle mériterait au fond un livre à elle toute seule. 

 

Alors quoi?

D'un ouvrage intitulé "Après la démocratie", on aurait pu attendre davantage qu'une étude très franco-centrée, qui évoque certains grands pays du monde mais ne mentionne qu'à peine le modèle suisse, pourtant original même s'il n'est pas exempt de défauts: l'auteur aurait pu l'exploiter, par exemple, pour disséquer les forces et les limites des droits de référendum et d'initiative. 

 

On peut aussi regretter que l'auteur, qui a la plume acide, laisse échapper quelques phrases à l'humour douteux: "La Chine a, comme la Russie, fait une très belle expérience totalitaire communiste." (p. 106) - pour ne citer que ce seul exemple. Un brin de sobriété aurait été de bon ton dans un propos sérieux et qui, en définitive, concerne chaque citoyen. Cette sobriété aurait permis de mieux laisser ressortir l'indéniable esprit d'analyse critique de cet ouvrage. 

 

Sur le même sujet, je préfère recommander "L'hiver de la démocratie" de Guy Hermet, un ouvrage mieux centré sur le coeur de son sujet. Certes, il est d'inspiration plus universitaire et ambitieuse, mais il demeure parfaitement abordable et ne cède pas à la tentation des effets de phrase.

 

Emmanuel Todd, Après la démocratie, Paris, Gallimard, 2008.

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