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26 mars 2014 3 26 /03 /mars /2014 22:38

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Lu par Eric Bonnargent

Le blog et le site de l'auteur.

 

Séquoïa ou aérodrome? Le titre résonne comme un néologisme: le ton est donné dès la page de couverture. "Séquoïadrome" est un roman au parfum expérimental signé Émilie Notéris. C'est un ouvrage court, sa couverture est sobre pour ne pas dire austère... le lecteur va s'attendre à du spécial. Et s'il recherche un livre qui sort des sentiers battus, il ne sera pas déçu.

 

Est-ce un roman? La question mérite d'être posée. Il y a certes une intrigue, si minime qu'il est possible de la résumer en quelques mots: un Cessna s'écrase au sommet d'une forêt de séquoïas, à 80 mètres du sol. A son bord, deux personnes: Robinson, le pilote, et Miss Hélium, la passagère. Dès lors, la vie s'organise, et l'on se nourrit de psilocybes pour survivre.

 

Cela dit, on n'en saura pas grand-chose de plus sur les modalités de cette robinsonnade moderne, si ce n'est l'évocation des tensions entre les deux personnages. Il n'y a même pas de vrai dénouement, au sens classique et romanesque du terme. Sans parler d'une véritable évolution fondée sur des interactions quelconques entre les humains et la nature. 

 

Une version moderne de l'île déserte

Robinson... le nom est facilement trouvé, vu la situation. Il guide le lecteur vers l'idée d'une version moderne, revisitée, du roman de Daniel Defoe. Quelques éléments tendent à confirmer ce rapprochement, en particulier la situation insulaire des personnages et la situation de crash de l'avion, forme moderne du naufrage.

 

Cela dit, il faut concéder que cette île se trouve au sommet d'un arbre, et non au niveau de la mer. L'auteure confirme cette piste en soufflant, quelque part, l'idée d'une inversion qui veut que les racines - celles des champignons hallucinogènes, tiens - sont au ciel. Ce qui nous amène aux psilocybes...

 

Des champignons pour ouvrir les portes de la perception

... ceux-ci sont un leitmotiv de "Séquoïadrome" - un parmi d'autres. Leur importance est soulignée par le fait que l'un des personnages s'appelle Miss Hélium - alias Mycélium, ce qui suggère qu'elle racine (de champignon) en plus d'être gaz rare. Onomastique simple... mais il fallait y penser! 

 

Surtout, l'idée des champignons hallucinogènes est stupéfiante, si j'ose dire: l'auteur les exploite pour ouvrir les portes de la perception (mangez-moi, mangez-moi, mangez-moi!) du lecteur. Dès lors, cet ouvrage à l'intrigue minimale admet de se faire parasiter par tout un tas d'éléments peu propices à faire avancer l'intrigue, mais instructifs.

 

Un parasitage à nuancer

Parasiter? Un terme qu'on peut nuancer. L'auteur met en place un dispositif qui rappelle celui qu'exploite Bernard Werber dans sa trilogie des "Fourmis", consistant à intercaler des chapitres qui expliquent des éléments scientifiques. "Séquoïadrome" va cependant plus loin en les illustrant (il y a des dessins dans "Séquoïadrome") et en exposant des curiosités méconnues (le mirage topologique, la destinée des séquoïas remarquables).

 

Parasitage, encore? Le lecteur sera surpris de découvrir que l'incipit de "Séquoïadrome" est en anglais. La langue anglaise est présente dans ce roman. On peut y voir une forme d'hommage récurrent à Daniel Defoe, écrivain d'expression anglaise, mais aussi une manière directe de rappeler par la forme que l'entièreté de ce roman se déroule aux États-Unis.

 

Enfin, la prose de l'auteur est innervée de longues citations de Karl Marx. Cela constitue un hommage appuyé aux utopies anarchistes qui ont vu le jour aux États-Unis - où, pourrait-on penser, Karl Marx n'a guère droit de cité. Nourri par ailleurs par un vaste arrière-plan intellectuel dont la synthèse figure en bibliographie (Jacques Derrida, Peter Sloterdijk, etc.), "Séquoïadrome" se pare d'une certaine couleur politique, entre anarchie et écologie.

 

Joli coup que cet ouvrage, qui est plus une tentative expérimentale réussie, tressant de nombreux éléments littéraires et théoriques, qu'un véritable roman! On aurait pu s'attendre à un livre longuet et prise de tête; l'auteur a cependant su éviter ce double écueil, en ayant la grâce de faire court et en privilégiant une langue fluide et très naturelle.

 

Émilie Notéris, Séquoïadrome, Paris, Joca Seria, 2011.

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