Défi Premier roman.
Un premier roman qui parle d'un écrivain qui peine à concrétiser sa vocation: c'est un classique. On pense par exemple à "Parcours dans un miroir", premier roman de Roger-Louis Junod, ou, plus près de nous, au succulent "Vertige des auteurs" de Georges Flipo. A l'échelle d'une oeuvre, de tels ouvrages peuvent indiquer une volonté, de la part de l'écrivain, de conjurer l'échec littéraire.
Avec "La Tentation du roman", l'auteur français Didier Garcia exploite ce sujet d'une manière différente de ces deux écrivains, en choisissant d'explorer de l'intérieur, à la façon d'un journal, les affres et questionnements d'un auteur désireux de devenir romancier.
Nous avons un narrateur, essentiellement producteur d'incipits sans lendemain, qui recherche des recettes miracles pour réaliser l'inaccessible rêve d'un roman, et les évalue successivement, les teste, les analyse. Ainsi s'installe le patronage de quelques très grands auteurs que le narrateur a côtoyés, que ce soit en les lisant ou en les rencontrant brièvement. Il y a un penchant pour les latino-américains; certains Suisses sont également présents, à l'instar de Paul Nizon ou de Friedrich Dürrenmatt. Ce compagnonnage ne mène pas loin, toutefois: ce qu'il faut en retenir, c'est que chaque écrivain forge son propre outil de travail, et que la transmission d'un tel art est difficile, voire impossible. On note aussi que le cheminement équivaut à l'objectif: "Raconter comment on fait un roman, c'est faire le roman" (p. 211, citant Miguel de Unamuno). Dès lors, un romancier velléitaire réussit à rédiger un roman, de manière certes fortuite, en alignant les essais et les pages de journal.
Parce que si roman il y a, ce n'est pas celui que le narrateur voudrait... Celui-ci ambitionne en effet de marcher dans les traces de Flaubert en osant un roman sans intrigue. Est-ce seulement possible? "La Tentation du roman" a certes des apparences d'inertie; mais force est de constater qu'il y a bien une intrigue, un problème qu'un personnage cherche à résoudre au travers de péripéties diverses, qu'il affronte avec des alliés (les autres écrivains) avant de trouver sa solution et que tout se dénoue. On comprend dès lors que refuser l'idée d'une intrigue, c'est encore l'accepter.
"La Tentation du roman" est riche en références littéraires. On pense aussi, au fil des pages, à des figures comme Bartleby (dûment cité), fuyant le devoir tout en cherchant le moyen de l'accomplir. L'auteur réussit à créer un intéressant contraste entre la "parole" du narrateur et le style de ses écrits: si la parole se caractérise par une fluidité agréable pour le lecteur, les écrits s'avèrent artificiels et compliqués. Deux musiques coexistent dès lors, en un contraste bienvenu.
Un tel ouvrage constitue en définitive une réflexion stimulante pour tout écrivain, apprenti ou chevronné, qui reconnaîtra tour à tour la fuite devant le travail d'écriture, l'impossibilité d'avancer, les sursauts d'inspiration - en un mot, les difficultés de la création.
Didier Garcia, La Tentation du roman, Paris, Leo Scheer, 2011.