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29 avril 2015 3 29 /04 /avril /2015 20:56

hebergement d'imageLu par Agathon, Blue Moon, Cécile Baudry, Emily, Emmanuel Almeida, Icath, Miss Leo, Nicole Grundlinger.

Défi Thrillers et polars.

 

L'écrivain irlandais John Banville endosse le pseudonyme de Benjamin Black pour signer des romans policiers. C'est justement sous ce nom qu'il a fait paraître "La Disparition d'April Latimer", un polar aux allures rétro servi par une plume classique bien rendue par la traductrice Michèle Albaret-Maatsch. Le style n'est pas tout, en effet, dans ce roman. Et parce que l'intrigue n'a rien de trépidant, un lecteur distrait pourrait n'y voir qu'un roman gris, qui arbore les couleurs du brouillard. Mais sous des dehors aux apparences mornes, pour ne pas dire rebutantes, l'écrivain fait montre d'une indéniable finesse. Pour la trouver, il suffit de gratter...

 

Il est vrai que l'auteur ne parvient pas tout à fait à intéresser d'emblée son lectorat à la figure d'April Latimer, cette disparue dont le destin sous-tend tout le roman puisque tout le monde est à sa poursuite. C'est une femme libre, qui détonne dans l'Irlande conservatrice des années 1950, certes; elle a de la parenté avec des personnalités haut placées, ayant du pouvoir en politique; et alors? Quelques anecdotes croustillantes auraient suffi, peut-être, à donner de l'épaisseur à cette Arlésienne de Dublin; mais celles-ci font défaut. L'auteur a manqué ici une chance de lui donner chair.

 

De même, on regrettera peut-être que l'époque n'est pas annoncée de manière assez lourde, assez marquée. Cela dit, "La Disparition d'April Latimer" s'inscrit dans une série de romans policiers qui mettent en scène l'épatant médecin légiste Quirke. Et dans ce roman, c'est justement lorsqu'on suit de près ce bonhomme improbable que ça devient intéressant...

 

Figure riche et complexe que Quirke, en effet! Suffisamment pour servir dans plus d'un roman! L'auteur lui trouve plusieurs versants captivants. Il y a d'abord une construction familiale complexe; celle-ci trouvera peut-être ses clefs dans d'autres romans. Le lecteur de "La Disparition d'April Latimer" goûtera en revanche la peinture précise de son profil d'alcoolique pénitent: il y a la vie difficile dans un centre de désintoxication, la sortie, et les petits arrangements d'ivrogne pour se raisonner plus tard: "Le serveur arriva avec le vin. Quirke avait commandé une bouteille de chablis. C'était bien qu'ils aient pris du poisson, car le vin blanc n'était pas vraiment de l'alcool et, du coup, il ne risquait rien." Cela, sans oublier les scènes mémorables de gueule de bois, éventuellement en compagnie d'une femme dont l'ivresse est d'une autre trempe. L'acquisition d'une voiture de luxe par Quirke, enfin, représente un élément d'humour subtil et récurrent: le bonhomme n'a pas son permis de conduire...

 

On aurait aimé que l'auteur montre davantage de la vie de bohème qui entoure les amis d'April Latimer: ce sont des actrices de théâtre, des personnes de formation supérieure, il y a même un Noir venu du Nigeria. Celui-ci donne à l'auteur un prétexte pour montrer les années 1950 en Irlande sous un regard particulier. celui porté par les classes aisées sur les Noirs. Il recrée en détail le paternalisme, ainsi que l'hostilité que pouvait susciter une telle figure, exceptionnelle en Irlande à cette époque.

 

Dès lors, si l'époque n'est pas dépeinte de manière lourde, elle est quand même présente dans la mesure où l'auteur sait dessiner certains éléments caractéristiques. On relèvera qu'on fume encore dans les bistrots en ce temps-là, et que les dispositions légales en matière de circulation routière sont bien laxistes vues de notre époque. Sans que l'auteur ait besoin d'insister, il dépeint aussi un univers où la vision du monde catholique a son poids; en particulier, la question de l'avortement, d'une actualité récurrente aujourd'hui encore en Irlande, fait partie des thèmes de "La Disparition d'April Latimer".

 

On le devine, "La Disparition d'April Latimer" est un roman noir en demi-teintes, qui court après un lièvre d'allure finalement fort ordinaire, baigné d'une épaisse couche de silence. L'essentiel est peut-être à trouver dans les ambiances dépeintes: le lecteur se laissera peut-être surprendre par une issue correcte mais sans originalité. Il préférera cependant goûter les ambiances du roman, bistrots enfumés ou demeures de notables trop corrects pour être honnêtes, et saura apprécier, au détour d'un chapitre ou d'une page, un humour de situation raffiné.

 

Benjamin Black, La Disparition d'April Latimer, Paris, NiL, 2013.

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