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4 janvier 2015 7 04 /01 /janvier /2015 19:53

partage photo gratuit"J'aime raconter les histoires de gens qui n'existent pas", confie Arnaud Dudek en fin de son nouveau roman "Une plage au Pôle Nord", à paraître ce mois-ci. Ce bonheur de confronter les êtres, si ordinaires et (ir)réels qu'ils soient, est palpable dans ce nouveau roman, paru aux éditions Alma - merci à elles et à l'auteur pour l'envoi. Et l'on s'en délecte, au fil d'un roman qui se présente comme une tranche de vie à la fin ouverte, comme peut l'être une balade qui aboutit au sommet d'une côte.

 

"Une plage au Pôle Nord", c'est d'abord un titre construit comme un oxymore: s'il y a de la mer au Pôle Nord, il n'y a pas vraiment de plage, les plus proches se trouvant au nord du Canada et de la Russie - ce qui ne les rend pas très amènes. C'est avec cette image choc que l'auteur illustre la relation improbable qu'il installe entre deux de ses personnages: un jeune photographe et une vieille dame qui se trouve avoir retrouvé l'appareil photo de l'autre. L'informatique va les rapprocher: plantages involontaires, errances sur les sites de rencontre et impondérables au moment de la rencontre "pour de vrai", tout est très bien vu.

 

Cela permet à Françoise Vitelli, la vieille dame, de prendre ses distances avec un passé pas forcément glorieux: son mari, ouvrier modèle, a succombé à la tentation du vol. Cet aspect fait l'objet de chapitres insérés comme des flash-back à suspens, qui donnent un supplément de profondeur à l'univers que l'auteur dépeint. Suspens? La livraison de l'arme du crime, bel exemple de rétention de l'information de la part de l'auteur, crée un joli contraste avec une histoire présente fort commune. Le lecteur se demande ce qui se passe... tout en le devinant.

 

C'est que l'auteur aime jouer avec son lecteur, en lui indiquant régulièrement ce qu'il fait - ce qui n'interdit jamais la surprise. Il souligne à traits marqués les évidences du roman actuel, et rappelle qu'en creusant le passé de ses personnages, il n'invente pas grand-chose - et que toute sa créativité réside dans la teneur de ce passé (le lecteur est mis en présence de prestidigitateurs, entre autres). De manière plus subtile, il glisse quelques tableaux Excel qui théorisent ce qui se passe et forment un récapitulatif intéressant et un point de départ vers, peut-être, de nouvelles péripéties.

 

Enfin, le lecteur percevra une pointe de vécu à travers le personnage de Pierre Lacaze. Celui-ci est présenté comme un auteur de bandes dessinées méconnu, reçu dans une librairie qui ne l'attendait pas vraiment pour une séance de dédicaces et joue malgré lui un rôle de passeur entre Mme Vitelli et le photographe. Le lecteur peut y voir sans peine l'image de l'auteur lui-même, auquel incombe la mission pas toujours évidente de transmettre au lecteur une histoire particulière. Mise en abyme? Il y a de ça - ou en tout cas, il est permis d'y croire.

 

Des personnages qui n'existent pas mais qui sonnent vrai, des actions imaginaires et bien construites, et un petit grain de folie. Il n'en faut pas plus pour donner corps à "Une plage au Pôle Nord". Un roman qui n'a rien à voir, ou si peu, avec le réchauffement climatique, mais tout à voir avec le réchauffement relationnel entre personnages qui, le plus souvent, n'ont pas grand chose à faire entre eux et que seuls les aléas de la vie rapprochent. Le tout est souligné par une prise de distance ironique de la part de l'auteur. Celle-ci s'exprime dès les premiers mots d'un incipit qui inscrit le livre dans le cadre d'une fiction qui renonce à se prétendre vraie pour être, en définitive, plus réaliste: "Au début de l'histoire,...".

 

Arnaud Dudek, Une plage au Pôle Nord, Paris, Alma, 2014.

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4 octobre 2013 5 04 /10 /octobre /2013 19:22

hebergeur imageLu par Antigone, Blablablamia, Bouquinovore, Cathulu, Clara, Cunéipage, Des mots sur des pages, Emmanuel Gedouin, Fanny Bleichner, Jostein, Kathel, Ménagère trentenaire, Rana Toad, Saefiel, Serendipity, Sophie (qui tient le défi de la rentrée littéraire, auquel ce livre s'intègre).

 

Dudek, ça veut dire "vingt" en espéranto. Sachant cela, ça fait un certain temps que j'avais repéré Arnaud Dudek, cet écrivain qui, par son nom de famille, m'a fait penser à ma tentative d'apprendre cette langue universelle, il y a vingt ans de cela. Mieux que de l'innovation linguistique de Ludwig Zamenhof, je me souviens des deux fort bonnes nouvelles qu'Arnaud Dudek a publiées naguère aux éditions du Fil à plomb. Je me souviens aussi, mais c'est plus gênant puisque je ne l'ai pas encore lu, d'un de ses ouvrages, reçu en pdf... Du coup, lorsque Babelio s'est présenté avec "Les Fuyants" pour un nouveau partenariat "Masse critique" (merci à ce site et aux éditions Alma pour l'envoi!), je l'ai choisi. Histoire de découvrir enfin l'Arnaud Dudek romancier, après avoir fait connaissance de l'Arnaud Dudek nouvelliste.

 

"Les Fuyants" est donc un roman sur la fuite. D'emblée, l'auteur évoque la fuite suprême, à travers le suicide de David Hintel: autant frapper fort dès le début. Comme c'est une affaire de famille, ce roman met avant tout en scène quatre personnages, tous masculins, qui donnent l'impression de fuir quelque chose: un jeune homme s'évade dans les jeux vidéo et le hacking, un homme d'âge mûr cherche à échapper à la responsabilité amoureuse. Enfin, le sport n'est-il pas une forme d'évasion? Dès lors, ce personnage de marcheur de fond paraît lui aussi fuir quelque chose, au rythme de foulées conformes au règlement. A croire que les hommes sont lâches, entre autres face à des femmes qui, comme la jeune Marie, ne demandent qu'à s'engager! A force pourtant, on se retrouve - et l'auteur parvient à renouer, en fin de roman, les liens qui rapprochent ces "fuyants". Ses adjuvants? Un carnet de notes retrouvé, par exemple.

 

La fuite? Qui, parmi vous, lectrices et lecteurs, n'y a jamais songé, n'y a jamais succombé? En nommant "Hintel" la famille dont il décrit les vicissitudes, l'auteur se montre habile dans l'art des noms à sens multiples. Associé à des prénoms tels que Jacob ou Esther, ce nom de famille fait penser à la judéité; mais cette piste, jamais exploitée dans le roman, est un leurre. Un sens est mieux exploité, et c'est celui de l'homonymie avec Intel, marque de processeurs. Il est vrai que l'un des personnages fait commerce d'ordinateurs, et que le rapprochement constitue un gag. Enfin et surtout, Hintel, pour de nombreux locuteurs francophones, se lit comme Untel. Une manière comme une autre de mettre l'accent sur le caractère très ordinaire des gens mis en scène, et donc de les rapprocher du lectorat. Cela, jusqu'à un certain point: on peut aller jusqu'à dire que cette "ordinarité" elle-même rend la famille Hintel fuyante aux yeux du lecteur, et confirme le caractère d'anti-héros de ses membres masculins.

 

Et puis il y a aussi, dans toute la première partie de ce court roman, un procédé très séduisant qui signale un talent certain pour les transitions douces: chaque début de chapitre rappelle la fin du chapitre précédent par l'utilisation d'un mot identique ou, à tout le moins, d'un mot d'un champ lexical connexe. Le lecteur a ainsi une impression de fondu enchaîné. Celle-ci disparaît dans la deuxième partie, qui s'avère moins onctueuse: l'auteur y cite des courriers électroniques, les chapitres se succèdent de manière plus abrupte - dans les 27 dernières pages de ce roman, on est ailleurs. C'est paradoxal, d'ailleurs, dans la mesure où ce sont des pages où l'on tend à se rapprocher.

 

Tout cela pour relater un peu des heurs et malheurs d'une famille et de quelques personnes proches. On pourrait réfléchir encore au sens que peut avoir le rappel régulier des lèvres de quelques personnages féminins: sans lèvres comme Marie, sont-elles sans paroles? Pas sûr. Sur une bonne centaine de pages, Arnaud Dudek fait ici la preuve qu'il sait construire un roman fort riche sous les dehors anodins, voire communs, de la relation de vies (infra-)ordinaires - celles d'un agent technique, d'un marchand d'ordinateurs, d'un jeune hacker. Le tout, dans des lieux si ordinaires qu'il ne vaut pas la peine de les nommer. Alors... vingt sur vingt!

 

Arnaud Dudek, Les Fuyants, Paris, Alma, 2013.

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