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25 septembre 2013 3 25 /09 /septembre /2013 19:24

hebergeur imageFrancis Richard l'a lu aussi.

Lu dans le cadre des défis Rentrée littéraire et Premier roman.

 

L'écrivain Sabine Dormond a un scoop: Don Quichotte revient! Il s'est réincarné! Il s'appelle Alonso Kessler, il traîne ses basques du côté de Lausanne, où il a même rencontré sa Dulcinée, une dame au physique "qu'il n'est pas donné à chacun d'apprécier", et dont le nom de famille n'est autre que Bolomey. Avec tout ça, si le court premier roman de Sabine Dormond, "Don Quichotte sur le retour", n'est pas prometteur...

 

... et force est de constater qu'il tient ses promesses, et que c'est un premier roman des plus agréables. Le lecteur est accueilli par un style très écrit, quasi soutenu, qui ne s'interdit pas de jouer avec les mots (c'est quoi, une salade?), ni de créer des néologismes qui tapent à l'oeil, et encore moins d'assumer sa part de suissitude: qui, parmi mes lectrices et lecteurs français, belges, québécois, enfin, non Suisses, sait ce qu'est un "tintébin"? Eh bien, qu'on se le dise, il y en a qui se baladent dans ce roman!

 

Le premier chapitre constitue une jolie trouvaille, qui place haut le statut de l'écrivain. L'auteur, en effet, met en scène Dieu himself ("what else?", comme qui dirait) dans son rôle de maître du monde, et utilise, pour ce faire, le champ lexical de l'écriture. Pour le lecteur, le résultat est évident: l'écrivain est un dieu pour ses personnages. Et il est important de comprendre ici que Dieu et la littérature sont associés. Dans "Don Quichotte sur le retour", en effet, cette dernière ne compte pas pour des prunes.

 

Dès lors, le coeur de l'intrigue réside dans une affaire de couple qui s'approche, se lasse, se perd, se cherche et se retrouve - de manière élastique, comme le suggère d'emblée le saut à l'élastique que Kessler-Quichotte offre à son épouse pour le premier anniversaire de son amour. Ce saut à l'élastique, préfiguration en positif d'un saut suicidaire décrit plus loin, n'est d'ailleurs rien d'autre qu'un avatar d'une constante de ce roman: l'irrésistible attraction vers le haut. Il faut monter pour sauter à l'élastique, le vélomoteur Rossinante (version moderne et évidente de l'équestre coursier imaginé par Cervantès) grimpe difficilement les pentes mais finit par en venir à bout. Même la déclaration de mariage intervient dans un restaurant des hauteurs, le Mirador Kempinski du Mont-Pèlerin (classe, non?).

 

Pour ce qui est de l'intrigue, elle fait allusion à certains contours de la geste de Don Quichotte de Cervantès: le lecteur découvrira Sancho Pahud et sa Harley, reconnaîtra dans les éoliennes les moulins à vent que Don Quichotte combattait. Il regrettera peut-être de ne pas savoir ce qu'il advient de l'arrivée, réelle ou imaginée, d'extraterrestres dans le canton de Vaud, et de se trouver face à quelque chose de flou concernant les amours de Sancho Pahud et de Pauline la bavarde.

 

De même, le lecteur se sentira désarçonné par l'accélération du temps du récit en fin de roman. Cette accélération est cependant délibérée: l'auteur l'utilise même pour surprendre son lecteur, en dévoilant brutalement, par des actes et des faits qui ont tout du coup de théâtre, l'âge réel de la fameuse Pauline. Le basculement vers le troisième âge et l'accélération du temps du récit ont de quoi sidérer... mais trouve son sens dans une impression, sans doute partagée par plus d'un lecteur, que plus la vie va, plus le temps paraît filer rapidement. Elle met en mots, et c'est génialement venu, ce que chacun ressent: un jour, brutalement, on se trouve vieux.

 

Enfin, "Don Quichotte sur le retour" peut se lire en fonction de cet adage qui veut que la lecture est un vice impuni: dans la mesure où Dulcinée cherche à dissuader son amant de lire afin qu'il remette un peu les pieds sur terre, on peut se dire que la lecture est un vice qui se soigne et se sanctionne. Mais l'auteur va plus loin, en mettant en scène un médecin - Dulcinée - qui, dans son plus grand secret d'écrivain, nourrit le vice...

 

Astucieusement troussé, riche en jolies trouvailles, "Don Quichotte sur le retour" devrait séduire pas mal de monde: les lecteurs qui se demandent s'ils sont drogués aux livres, entre autres; mais aussi les amoureux de Don Quichotte et de son univers, qui trouveront sans aucun doute quelques échos à leur passion littéraire dans ce premier roman.

 

Sabine Dormond, Don Quichotte sur le retour, Sainte-Croix, Mon Village, 2013.

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commentaires

A
Je ne veux pas être soignée de mon vice, moi, et toi non plus, je parie ! ;-)
D
Moi non plus! Surtout si ça permet des lectures sympa... et des échanges entre blogueuses et blogueurs!

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