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25 avril 2016 1 25 /04 /avril /2016 21:32

hebergement d'image... nouvelle participation au Défi Premier roman, avec un titre de l'an dernier: Martine propose un billet sur un roman réussi, paru aux éditions Glyphe. Voici:

 

Maryline Martin, L'horizon de Blanche.

 

Merci pour cette nouvelle participation! Il va de soi qu'il est possible de participer au Défi Premier roman avec des ouvrages qui n'ont pas paru dans l'année - voire avec des classiques ou de véritables antiquités! Ce qui compte, c'est que le roman proposé soit le premier dans l'oeuvre d'un écrivain. Et naturellement, que vous, chères participantes, chers participants, preniez plaisir à découvrir ces textes et à partager vos impressions.

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24 avril 2016 7 24 /04 /avril /2016 05:00

Idée de Celsmoon.

Avec: Abeille, Anjelica, Ankya, Azilis, Bénédicte, Bookworm, Caro[line],Chrys, Emma, Fleur, George, Herisson08, Hilde, Katell, L'or des chambres, La plume et la page, Lystig, Maggie, Mango, MyrtilleD, Séverine, Violette.

 

4.

 

Ta voix n'est que musique, et musique te gêne;

La joie aime la joie, en paix sont les douceurs:

Pourquoi te faut-il prendre avec plaisir ta peine,

Ou te faut-il aimer ce que tu prends sans heur?

 

Si le parfait accord des sons qui se marient

Offense ton oreille en sa juste union,

Il te fait doux grief de fondre les parties

Que tu devrais tenir, en ta seule unisson.

 

Vois comme chaque corde à sa compagne unie

En accord mutuel à l'autre joint son chant;

De même, tous en un, font plaisante harmonie

 

Le père avec la mère heureuse et leur enfant:

Et leur chant sans parole, unique paraissant

Quoique nombreux, te dit: "Seul, tu seras néant."

 

William Shakespeare (1564-1616), Sonnets, Paris, Gallimard/La Pléiade, 1959. Traduction de Jean Fruzier.

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23 avril 2016 6 23 /04 /avril /2016 15:40

Tatzber RondesLu par Jean-Marc Theytaz.

 

Une pile à lire, c'est un univers! Je m'y suis replongé, et j'en ai tiré le recueil de nouvelles "Rondes" de l'écrivaine française et berbère Leyla Tatzber. Excellent moment, du coup, que la lecture de cet ouvrage à l'écriture exigeante et fine.

 

On pourra gloser sans fin sur la pertinence du titres, qui n'est pas évidente. Le recueil ne met pas en scène des femmes particulièrement bien en chair, comme on pourrait l'imaginer. Tout au plus acceptera-t-on que ce mot, "Rondes", fait référence à un certain horaire, mentionné dans l'une des nouvelles. Ou que chaque nouvelle est un univers "rond", qui se suffit à lui-même.

 

Car il est question, dans "Rondes", de création artistique. L'auteure sait interroger celle-ci, par exemple en démystifiant les oeuvres d'art présentées à la Biennale de Venise ("Contre toute attente"). Le dispositif littéraire est simple: le lecteur suit une femme en visite, captivée presque davantage par son téléphone portable qui pourrait sonner que par les oeuvres exposées, présentées comme peu parlantes. Simple, le dispositif l'est du reste un peu partout comme ici: l'auteure n'a besoin que de peu de chose pour monter une histoire, reflet d'un éclat de vie.

 

Le thème de la création est omniprésent dans "Rondes", volontiers sur le mode de l'interrogation. Le lecteur appréciera la figure de l'écrivain dont l'appartement brûle, dans "L'Incendie", nouvelle amenée par touches lentes. Il goûtera aussi l'évocation de la plaine de Plainpalais à Genève dans "Ici-bas", une évocation qui ouvre la nouvelle et se réclame du Nicolas Gogol des "Nouvelles de Saint-Pétersbourg".

 

En pointillés, le thème de la mythologie est également présent. C'est dans "Laïos, roi de Thèbes, père d'Oedipe" qu'il prend le plus de place: cette nouvelle revisite le mythe d'Oedipe à la manière moderne. Le lecteur sera donc surpris de voir Jocaste se balader en scooter - et avorter, chez un gynécologie bien d'aujourd'hui. Ce faisant, elle fait capoter un mythe connu, celui d'Oedipe. Cette mythologie antique fait écho aux mythes d'aujourd'hui, tel celui de Georges Brassens, qui irrigue "En ce temps-là...", nouvelle qui clôt lumineusement le recueil.

 

Les nouvelles de "Rondes" donnent parfois une impression ambivalente de distance, entretenue par une écriture travaillée, délicate et allusive, empreinte de poésie. Impossible d'agir de loin dans "L'Incendie", par exemple, et la narratrice l'accepte presque sereinement; et la distance détestable (on a envie d'agir!) est soulignée par la paire de jumelles à travers laquelle elle voit l'action. Parfois, au contraire, l'écriture rapproche le lecteur de ce qui est dit: une femme qui vit ce qui pourrait être une expérience proche de la mort dans "Ici-bas", laissant entendre que l'âme demeure un moment consciente après la mort. D'une manière générale, du reste, l'utilisation du "Je" implique le lecteur en rapprochant le narrateur.

 

Il faut peu de choses à l'écrivaine Leyla Tatzber pour faire une nouvelle, et le lecteur goûte la sobriété allusive de chaque texte. Une sobriété qui laisse toute la place à l'expression intérieure des personnages: une épouse qui considère son mari, une femme qui meurt noyée, une autre qui découvre une tombe d'une personne proche. L'impression laissée est celle d'un recueil empreint de culture, écrit tout en exigeante délicatesse.

 

Leyla Tatzber, Rondes, Charmey, L'Hèbe. 2011.

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22 avril 2016 5 22 /04 /avril /2016 20:40

Cuba DiazLu par Françoise Bachelet.

Le site de l'éditeur.

 

Comment vivre quand on est un Cubain ordinaire, vivant au temps de Fidel Castro et exerçant humblement le métier de dentiste? Et quel regard porter sur des États-Unis présentés comme un Eldorado? Il y a quelque chose d'à la fois épique et doucement amusant dans "Parle-moi un peu de Cuba", roman de Jesús Díaz (1941-2002).

 

On s'amuse avant tout face à l'onomastique, énormément caricaturale. Staline Martínez, personnage principal de ce roman, est ainsi baptisé du nom d'un célèbre dictateur. L'auteur pousse ce jeu à l'extrême, en l'affublant d'un frère prénommé Lénine... et d'une soeur prénommé Stalina. Chacun se débrouille avec des prénoms si lourds à porter, en fonction de son destin, quitte à en changer... ou pas. Staline Martínez n'aime certes pas son prénom; mais il est le seul à ne pas savoir vraiment le gérer - alors que son aîné a jeté aux orties son prénom encombrant et que sa petit soeur, pour l'instant, assume le fait de s'appeler Stalina.

 

Staline Martínez est donc le personnage principal de "Parle-moi un peu de Cuba". Ni aîné ni cadet, il s'installe dans une zone grise qui le rend humain, voire attachant. C'est pourtant à ses défauts que l'on pense d'abord: il se montre veule, lâche, égoïste parfois, timoré toujours. En particulier, dans le couple qu'il forme avec la danseuse de cabaret Idalys, c'est bien elle qui porte la culotte. L'auteur excelle d'ailleurs à dessiner, pince-sans-rire, la relation tourmentée dominant/dominé installée entre Staline et Idalys.

 

Et que fait-il, notre Staline Martínez? Il hésite, de page en page. Il pendule entre Cuba et les États-Unis, en fonction de ses étroites habitudes, de son confort, et fait appel à la bienveillance de son frère installé à Miami. Ces allers et retours donnent à l'auteur l'occasion de décrire une aventure homérique où le personnage principal a facilement le dessous. L'écrivain joue, et c'est important, le jeu des allers et retours entre le présent et le passé: l'histoire est en effet celle d'un Staline Martínez coincé sur une terrasse à l'abri des regards et qui se souvient de ce qui l'a mené ici. Tout en nuances, le jeu des allers et retours entre le présent et le passé est parfait; l'évocation du passé de Martínez est même une respiration bienvenue dans ce qui aurait pu être un difficile huis clos baigné d'introspection.

 

Humour féroce et vitalité? Je n'irai pas jusque-là, et ne suivrai donc pas Raphaëlle Rérolle, qui a évoqué ce roman dans "Le Monde" à sa parution. Certes, les situations dans lesquelles Staline Martínez est plongé sont rocambolesques et mettent à l'épreuve un citoyen normal qui n'a rien demandé à personne. Mais le lecteur ne rit guère; il sourit plutôt, pas forcément de plaisir, en voyant Staline Martínez, looser notoire, "presque idiot tant il était bon", "un grand enfant" (ce sont les mots de Stalina, rapportés en fin de roman par l'auteur, pour les lecteurs qui n'auraient pas compris sans ça...), évoluer face à des situations qui le dépassent. Ces situations sont décrites de manière exacte, avec une pointe d'inquiétude parfois.

 

Ainsi l'auteur installe un système habile à trois pôles: il est question du vécu de Staline Martínez coincé sur une terrasse, de ses souvenirs et de ce que ceux-ci font ressentir au Staline Martínez d'aujourd'hui, parqué sur une terrasse où il prend douloureusement le soleil. Le présent est un masque, en effet: le personnage est tenu d'adopter le profil du "balsero" en restant au soleil jusqu'à n'en plus pouvoir, afin d'entrer aux États-Unis de façon crédible afin d'y vivre. Cela, à l'insu de la famille de Leo, alias Lénine, qui veut bien l'héberger.

 

On notera d'ailleurs que si l'auteur n'est pas tendre pour Cuba, il n'observe pas les États-Unis avec davantage de bienveillance: son regard outrancier dénonce la débauche d'informations et de journalistes débarquant quand ça les arrange, ainsi que les supermarchés américains où tout semble avantageux et abondant, mais où il faut bien finir par faire son choix. Autant dire que l'auteur parle beaucoup des États-Unis, ce pays fantasmé mais pas si chouette que ça (Lénine, l'avocat, y exerce le métier de clown - belle perspective professionnelle, en vérité!), mais aussi pas mal de Cuba, ce pays réel et difficile, mais rêvé également, par exemple par la figure angélique, presque irréelle, de Miriam - qui n'a jamais vécu sur les terres de Fidel Castro. Y être ou ne pas y être? En somme, telle est la question...

 

Jesús Díaz, Parle-moi un peu de Cuba, Paris, Métailié, 2011.

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21 avril 2016 4 21 /04 /avril /2016 20:16

hebergement d'imageOn y revient, à ce défi! Martine est de retour avec un nouveau titre. Voici le lien direct vers son billet:

 

Garance Meillon, Une famille normale.

 

Merci pour cette nouvelle participation!

 

 

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21 avril 2016 4 21 /04 /avril /2016 20:03

hebergement d'imageUn tout grand merci (je vais l'écrire sur mille pages, tiens!) à Frankie, qui fait fidèlement vivre le Défi des Mille avec une nouvelle chronique d'une lecture au long cours (plus de mille pages! Les règles sont ici). Il s'agit d'un élément d'une vaste saga intitulée "Outlander"! Je vous invite à la découvrir ici:

 

Diana Gabaldon, The Fiery Cross (La Croix de feu).

 

Et qui a suffisamment de souffle pour participer au Défi des Mille? Celui-ci vit toujours, et toute participation est la bienvenue. Pour accéder aux règles, cliquez sur le logo.

 

 

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18 avril 2016 1 18 /04 /avril /2016 21:33

AimantAprès Mykonos hors saison, l'écrivain et homme de radio Richard Gaitet revient avec un beau voyage, encore plus agité que le tour des les îles grecques désertées. "L'Aimant" est un beau livre, habillé d'une couverture cartonnée qui n'est pas sans rappeler les fameuses éditions Hetzel de Jules Verne et servi par une typographie qui a de quoi surprendre. La lecture, enfin, ne déçoit pas: c'est un brillant hommage à la littérature d'aventures, imprégné du récit des aventures d'Arthur Gordon Pym, relatées en leur temps par Edgar Allan Poe. Du mystère, de l'action, de l'insolite, et même du sexe: voilà de quoi séduire le lecteur contemporain!

 

Mêlant le vrai et le faux, l'auteur se fonde sur quelques aspects non élucidés des aventures d'Arthur Gordon Pym, et cherche à les éclairer à sa manière. Tout commence tranquillement, certes, avec un Belge de vingt ans, Gabriel Chanteloup, qui s'embarque comme mousse à bord du Sirius. La narration annonce la couleur: le ton est joueur, familier ou canaille, annonçant d'emblée un roman éclairé par un gros, gros grain de folie. On pourrait croire à un joli récit de voyage s'il n'y avait quelques aspects étranges pour le troubler. En particulier la mystérieuse disparition des pièces de monnaie du monde entier - sauf des Açores, allez savoir pourquoi... Toutes ces pièces envolées ont un côté pile ou face, tout comme "L'Aimant" se compose en deux parties, l'une lumineuse, l'autre sombre. Au lecteur de juger, toutefois, tant il est vrai que chaque partie a ses zones d'ombre et de lumière.

 

Le lecteur est agréablement frappé par une constante: ses personnages adorent se raconter des histoires. L'auteur ouvre ainsi autant de fenêtres vers un univers à tiroirs qui démultiplie la profondeur de son roman. Souvent, ces histoires sont insolites, voire incroyables; mais plus d'une fois, elles sont dûment sourcées et, si bizarres qu'elles paraissent, elles ont un fond de vérité. Il n'est qu'à penser à ces amateurs de karaoké philippins qui, un brin extrémistes, tuent ceux qui osent massacrer "My Way" de Frank Sinatra lorsqu'ils prennent le micro. Et puis, gageons que l'écrivain a mis un peu de lui-même dans Gabriel Chanteloup qui, face au micro de la radio du bord du navire, se trouve astreint à parler sans cesse, à raconter des légendes hénaurmes pour ne pas laisser le silence s'installer sur les ondes.

 

Sexe? Voilà un élément devenu bien présent dans les romans d'aventures d'aujourd'hui. L'auteur dose admirablement cet aspect, en mettant en scène une figure féminine de professeure d'université nymphomane, Alizea, qui apparaît de façon épisodique. L'auteur lui place un tatouage "au sud de son corps", annonciateur du lieu où "L'Aimant" va trouver son dénouement: l'Antarctique. Femme chaude pour dénouement glacial... mais la jonction finira par se faire, et gageons qu'elle ne sera pas tiède! Alizea est une figure féminine forte du roman, de même que l'est, à sa manière, la mère de Gabriel - qui, comme toutes les bonnes mères du monde, est capable d'aller littéralement au bout du monde pour retrouver son fils. La mère contre la putain? Il est permis de penser à cette opposition classique, qui tiraille Gabriel Chanteloup entre les deux figures féminines antagonistes qui marquent sa jeune vie.

 

Et le titre? L'auteur a l'audace de mettre en scène un "sud magnétique" capable d'affoler les boussoles. Il le dessine peu à peu, par allusions mystérieuses, au gré d'une navigation hauturière où tout ne se passe pas comme prévu. L'auteur se plaît d'ailleurs à reconstituer certaines légendes liées à la haute mer, ainsi que des rituels, tel celui du passage de l'Equateur.

 

"L'Aimant" est donc un roman d'aventures amusant, dynamique et brindezingue, qui va crescendo et dont le terrain de jeu est le monde entier. Il est porté par une écriture vivace qui donne au lecteur l'impression délicieuse d'avoir en face de lui un copain un brin mythomane qui lui raconte des histoires, un verre d'alcool à la main. Et il constitue aussi un hommage épatant aux romanciers d'aventures d'autrefois. Jules Verne et Edgar Allan Poe sont les premiers d'entre eux; mais l'auteur sait étendre les références culturelles qu'il cite, allant au-delà de la littérature et laissant à l'auteur le soin de deviner, page après page, à qui il fait allusion.

 

Richard Gaitet, L'Aimant, Paris, Intervalles, 2016. Ouvrage enrichi de superbes illustrations de Riff Reb's.

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18 avril 2016 1 18 /04 /avril /2016 21:18

hebergement d'imageLe Défi Premier roman se poursuit avec une participation de Martine et une autre de Virginie! Martine propose des reflets de lectures en italien, rien de moins! Quant à Virginie, elle propose un roman aux allures jeunes. Je vous invite chaudement à découvrir leurs billets et leurs lectures:

 

Anne Lanoë, Le ciel est la iimite (chez Virginie)

Federico Maria Sardelli, L'Affare Vivaldi (chez Martine)

 

Naturellement, le Défi Premier roman est ouvert aux romans en langues étrangères et aux romans jeunes, au sens le plus large! Merci pour ces deux participations.

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17 avril 2016 7 17 /04 /avril /2016 05:00

Idée de Celsmoon.

Avec: Abeille, Anjelica, Ankya, Azilis, Bénédicte, Bookworm, Caro[line],Chrys, Emma, Fleur, George, Herisson08, Hilde, Katell, L'or des chambres, La plume et la page, Lystig, Maggie, Mango, MyrtilleD, Séverine, Violette.

 

J'ai flâné le long du canal

À la recherche du bien nommé poète.

 

Sur les quais de granit

Des larmes de sang

          S'effacent peu à peu.

Sérénité retrouvée pour une rose éternelle.

 

Un cavalier sans visage,

                      Solitaire

Traverse le crépuscule sans me voir.

 

Noblesse et fastes d'autrefois

La féerie des nuits blanches

               Court sur la crête du temps.

 

Enchantement pur

                    Saint-Pétersbourg.

 

Danielle Risse (1951- ), Si près des étoiles Saint-Pétersbourg, Vevey, L'Aire, 2016.

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13 avril 2016 3 13 /04 /avril /2016 20:44

CroquignoleOuvrez la fenêtre. Observez ce qui se passe dans le bureau où travaillent quatre garçons. C'est sur ce genre d'image en plan rapproché que s'ouvre le roman "Croquignole" de Charles-Louis Philippe, récemment réédité: paru en 1906, ce livre a été pressenti pour le prix Goncourt avant d'être écarté en dépit du soutien d'Octave Mirbeau. Il porte un regard à la fois tragique et empathique sur le petit monde terne des burelains de son temps.

 

Tragique et empathique, mais aussi rapproché. Il y a chez cet auteur un travail intéressant de la focale, qui se traduit par une forme de travelling avant l'heure qui constitue la structure du premier chapitre. Les descriptions y sont travaillées en plans rapprochés, dans un grand souci du détail. Tout commence en effet par une longue description de la fenêtre du bureau, vue à hauteur humaine. Puis le regard se balade tour à tour sur les quatre hommes qui, dans ce bureau, exécutent un travail mal défini.

 

Sans insister sur le côté étrange de ces personnages, se contentant de les montrer tels qu'ils sont, l'auteur construit, en un chapitre, une exposition dans les règles de l'art. Le lecteur note les répliques décalées, quasi humoristiques, et les traits de caractère un peu fous (par exemple Paulat, dit "le roi des animaux") qui font de chacun des employés une figure particulière.

 

A cette exposition masculine, la présentation des deux personnages féminins du roman fait un pendant pertinent. Comme s'il s'agissait d'un motif récurrent, la fenêtre revient chez Angèle. Fenêtre qui donne sur le cimetière, comme si cette perspective annonçait ce que "Croquignole" peut avoir de funèbre, de tragique - un tragique tempéré ici par une sorte de déni du réel: pour Angèle (qui porte un nom d'ange... ce qui nous rapproche à nouveau du thème de la mort), la fenêtre donne sur la machine à coudre. Figure féminine importante mais discrète, Angèle est le pendant de Fernande, qui deviendra la copine dépensière d'un Croquignole fort généreux.

 

L'irruption de femmes dans le monde bien réglé des hommes du bureau (et vice versa) est en effet le noeud de l'intrigue, longuement préparé: on ne se mélange qu'en deuxième partie du roman, la première partie, descriptive, presque statique, tenant les hommes à part des femmes et se contentant de peindre les forces en présence. Deux femmes, quatre hommes: l'auteur poursuit deux histoires d'amour diverses, voire opposées, dont deux hommes, Croquignole et Claude Buy, seront les protagonistes actifs.

 

Côté Angèle, en effet, on se trouve dans la figure classique, bourgeoise et morale, du ménage à trois: Angèle a un amant, un autre homme profite de son absence pour pousser ses pions, et la fille se suicide, ne pouvant supporter d'avoir ainsi été utilisée, pour ne pas dire abusée. Le lecteur se souviendra de cette fille discrète, dont le nom de famille n'est même pas bien défini aux yeux de son chef: Leneveu, Lanièce, Latante, l'auteur s'amuse, soulignant le caractère à la fois laborieux et insignifiant de ce personnage présenté comme insignifiant (mais par cela même mémorable), qui se résume à son travail de chemisière.

 

En face, côté Fernande, on sort le grand jeu. Fernande est d'emblée présentée comme l'élément majeur du duo de femmes. Son amant sera Croquignole, et l'auteur fait de ce dernier une figure romantique flamboyante. Il souligne dans le détail les dépenses qu'il consent pour Fernande, en grand seigneur, et évoque une complicité fondée sur la chimère anatomique des foies blancs et noirs - comme si chacun avait plus qu'un foie. Faisant écho au suicide d'Angèle, figure mineure du roman, celui de Croquignole apparaît à l'autre extrême; il est causé par un prétexte futile, celui de la perspective du manque d'argent. Question, dès lors: pour échapper à une fille vénale avec élégance face à ses pairs, le suicide est-il la seule issue?

 

Si morne et tragique qu'en soit l'issue, "Croquignole" demeure un roman narré sur un ton familier et sympathique, observateur fin des petites gens, des figures qui ne sont pas sans rappeler les employés de bureau d'un Georges Courteline. Cela, dans un esprit naturaliste après l'heure, débarrassé de toute dramatisation excessive. "Croquignole" est ainsi un roman mesuré qui dessine, finement et avec empathie, le rapprochement d'une demi-douzaine de personnages attachants, parfois gouailleurs, que la vie finit par broyer.

 

Charles-Louis Philippe, Croquignole, Paris, L'Imaginaire/Gallimard, 2011 (réédition).

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