Lu dans le cadre du défi "Thrillers".
Un roman écrit à quinze mains, avouez que ça sort de l'ordinaire. En plus c'est un roman policier irlandais. "Meurtres exquis" est le fruit d'une idée de Joseph O'Connor, concrétisée par une imposante brochette d'auteurs irlandais à la manière d'un cadavre exquis. L'exercice est délirant, mais il laisse aussi voir certaines de ses limites...
"A vrai dire, l'enquête est plutôt chaotique", promet le prière d'insérer de ce livre, publié au profit d'Amnesty International. Et il est vrai que le début de ce roman est pour le moins foutraque, chacun des premiers chapitres faisant figure de prolongement de l'exposition. L'avantage, certes, c'est qu'on se retrouve face à une galerie de personnages hauts en couleur, tous plus pourris et corrompus les uns que les autres (y compris les flics). L'inconvénient, c'est que le lecteur a l'impression peu agréable que ça part dans tous les sens - d'autant plus que tous les personnages mis en scène meurent les uns après les autres. Et au fond, de quoi s'agit-il? Est-il question d'un manuscrit inédit et inestimable de James Joyce? D'une recette de vieillissement artificiel du papier? D'une crème contre le vieillissement? Articulées autour d'une mystérieuse formule (Y8S =+! - comprenne qui peut!), ces pistes sont inégalement exploitées tout au long du roman, qui pourra apparaître comme un brin décousu.
Le lecteur qui surmonte cette impression bizarre aura l'occasion de découvrir de belles trouvailles bourrées d'humour complètement barjot et quelques pages olé olé pour faire bon poids. On ne saura par exemple jamais si l'agent de police Greer a effectivement été défloré par l'imposante ministre de la justice: Greer était bourré et au petit matin, la ministre est morte d'un pet de travers... Ce qu'on sait en revanche, c'est que la même nuit, rouquin minable qui rêvait d'être noir a fini par lui faire subir les ultimes outrages.
Le style est certes celui de la traductrice, Arlette O'Hara, et l'on aurait aimé parfois que les auteurs soient différenciés de façon plus claire; cela dit, son travail ne masque pas complètement les différences d'approche de chaque auteur, ce qui marque agréablement le rythme de lecture: tel chapitre, donc tel auteur, se concentre sur un personnage, tel autre les fait progresser successivement, chacun poussant son bout d'histoire, jusqu'à l'ultime, signé Frank McCourt, qui parvient finalement à relier tous les fils d'une intrigue complexe.
Par-delà l'action, les allusions à la littérature irlandaise sont innombrables, qu'elles passent par l'action ou par les noms des personnages (Bloom, Blixen); celles-ci seront pleinement accessibles aux inconditionnels, dont je ne suis malheureusement pas...
"Meurtres exquis" est, en définitive, un roman policier foutraque et bordélique, joyeusement, quitte à dépasser les limites et à désarçonner le lecteur, mais qui réserve quelques instants de pure hilarité et de délire débridé.
Collectif, Meurtres exquis, Paris, NiL, 2002, traduction d'Arlette O'Hara.
A noter la couverture "à la Magritte" de Bruno Bruni.
commenter cet article …