Lu pour le défi "Thriller" de Liliba.
Surprenant ouvrage que le dernier opus de Michaël Perruchoud, romancier et éditeur suisse au long cours! Paru à l'époque du Salon du Livre de Genève, cuvée 2013, "Le garçon qui ne voulait pas sortir du bain" se présente comme un roman noir, pour ne pas parler d'un roman policier, avec ses morts, ses crimes et ses policiers. Mais l'amateur de romans classiques du genre risque d'être désarçonné: pour une fois, les flics échouent et jettent l'éponge, laissant derrière eux un crime (presque) parfait, dans toute son amertume. C'est qu'en amateur de bières, Michaël Perruchoud en connaît un rayon sur l'amertume, fût-elle littéraire.
Sans déflorer l'intrigue, disons brièvement que "Le garçon qui ne voulait pas sortir du bain" relate l'existence d'un homme qui a été abusé sexuellement dans son enfance, qui s'est toujours muré dans le silence le plus total à ce sujet et va chercher à se venger, dans la plus grande discrétion, une fois l'occasion venue. Cela, non sans quelques dommages collatéraux.
Et s'il y en a bien un qui est amer, c'est justement ce personnage principal - tellement principal qu'il occupe toute la place ou presque. L'auteur en brosse un portrait soigné et détaillé, travaillant sa psychologie en profondeu. La description de l'évolution de ce personnage, à partir de la terrible scène originelle de l'abus sexuel (l'enfant est violé sur un établi, la tête coincée dans un étau, quand même!), est magistrale: il y a cette obsession de l'enfermement dans la salle de bains, les bains sans fin, puis les études dans lesquelles le narrateur s'abîme, l'impossibilité de développer une vie sexuelle active sans la béquille de l'alcool - qui joue dans ce récit un rôle ambivalent, presque bénéfique pour le narrateur, mais plutôt supporté par sa conjointe. Une femme qui n'aime pas le sexe, d'ailleurs... alors que celles qui y goûtent finissent par bloquer le narrateur.
En matière de pédophilie, on notera que l'auteur évite le cliché du prêtre abuseur d'enfants, préférant mettre en scène Barrioli, apparemment mécanicien désoeuvré de son état, et le Type, dont on ne sait pas grand-chose - ce qui va mener à des quiproquos. La présence d'un crucifix, toutefois, suffit à introduire un élément religieux. Était-il indispensable à l'action? Ces signes religieux sont-ils arborés par tradition (on a affaire à des Italiens, qui peuvent éventuellement tenir à de tels symboles près d'eux même s'ils n'y croient guère) ou par foi sincère? L'auteur reste dans le vague.
Il y a aussi le style. On reconnaît la patte de l'auteur; surtout, celui-ci arrive, phrase après phrase, à montrer qu'on est en Suisse, sans jamais mentionner expressément le pays. Le lecteur attentif repère quelques helvétismes (encoubler, rappondre). L'un des personnages s'appelle Françoise Territet - un patronyme qui évoque une localité proche de Montreux. Autre détail exploité par l'auteur: les crimes pédophiles ne sont plus prescrits en Suisse, depuis quelques années, le principe en ayant été accepté par référendum à la fin 2008. Enfin, les décors, entre villas proprettes et recoins montagneux, suggèrent le Valais, proche de l'Italie.
On aurait donc tort de considérer que "Le garçon qui ne voulait pas sortir du bain" est un simple roman policier, ou un petit roman noir de 156 petites pages. C'est aussi et surtout un admirable portrait d'un personnage déterminé, qui va réaliser le crime parfait. Ou presque. Alors, est-il victime, coupable, les deux en même temps... ou autre chose encore? Au lecteur de le découvrir!
Michaël Perruchoud, Le garçon qui ne voulait pas sortir du bain, Fribourg/Genève, Faim de Siècle/Cousu Mouche, 2013.
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