Lu dans le cadre du défi Nouvelles.
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De la forme longue à la forme courte: après une saga fantastique pour adolescents, "Mécaille", publiée chez Edilivre, l'écrivain Jey Are se lance dans le genre court de la nouvelle. Du haut de ses vingt-trois ans, il offre à son lectorat un ouvrage intitulé "Parapluie & calculatrice", qui se présente comme une nouvelle. L'exercice n'a rien d'évident, et force est de constater qu'ici, le lecteur a l'impression que l'auteur a chaussé des souliers trop petits pour avancer, même s'ils ont l'air pas mal...
Au terme de sa lecture, en effet, le lecteur se demande si l'auteur n'aurait pas dû prendre le temps et l'espace de mieux planter son décor. Malheureusement, par exemple, on ne saura pas grand-chose de cet "Empire Novafricain" qu'il évoque, si ce n'est qu'il s'agit d'une dictature xénophobe dirigé par un dictateur qui passe essentiellement à la télévision. Dans le même esprit, il n'est pas évident de comprendre quel est le lien qui lie ce pays et les deux Camille qui constituent les moteurs de cette nouvelle.
Deux Camille? Là, l'auteur se montre astucieux. L'un est un quadragénaire, professeur de physique, et l'autre, qui a plus ou moins l'âge de l'auteur, est une étudiante en droit. Si elle est dûment montrée et trouve une certaine expression dans l'action, l'arrogance de cette dernière eût mérité d'être mieux exploitée; de l'autre côté, on se satisfait volontiers du Camille homme, qui aime surfer sur les sites Internet de rencontres. Son goût du football trouve quelques échos au cours du récit, par exemple sous forme de posters. Et la conjonction des deux homonymes, au prénom androgyne, permet de créer une scène d'intimité pour le moins intéressante, du point de vue de la technique d'écriture.
Football, ai-je dit? Le lecteur sera accroché par les noms des footballeurs dépeints, de loin: l'auteur utilise systématiquement, pour eux, des noms qui font référence aux cheveux: Libreroux, Bobrun, etc. Jolie trouvaille pour un élément d'arrière-plan! De même, le parapluie et la calculatrice cités en titre d'ouvrage sont les accessoires fétiches des deux Camille; le lecteur aurait aimé savoir pourquoi ils sont si importants, voire les voir jouer un rôle actif dans cette nouvelle. Hélas, il n'en sera rien.
Enfin, la vision du futur qu'offre Jey Are manque d'épaisseur et d'audace. Tout se passe dans les années 2050, soit. Peut-on, veut-on croire qu'à cette époque, on surfe encore sur des sites de rencontre à l'ancienne? La cigarette électronique, qui fait actuellement un malheur en France, sera-t-elle encore d'actualité à la moitié du vingt et unième siècle? Enfin, n'a-t-on donc pas encore inventé, à cette époque, la téléportation, qui remplacerait avantageusement le métro, moyen de transport peu sûr après une certaine heure? Que font les ingénieurs, bordel? Dans un registre mieux inspiré, le lecteur, enfin, est invité à imaginer ce que peuvent être ces "objets dématérialisés" (écrans, tableaux,...) qui, sous une forme ou sous une autre, parsèment cette nouvelle.
"Parapluie & calculatrice" est une nouvelle pleine de bonnes intentions, écrite de manière fluide, c'est indéniable. Mais en refermant ce livre de soixante-six pages, le lecteur va sans doute se demander, un brin frustré, si l'auteur est vraiment allé au fond de son sujet, au-delà de quelques scènes sensuelles (oui Messieurs, vous verrez la Camille femme à poil, et si c'est un poil convenu, c'est quand même assez agréable...). Et poser la question, c'est y répondre avant d'en poser une autre: n'y a-t-il pas là matière pour faire un bel et bon roman... au moins?
Jey Are, Parapluie & Calculatrice, Aubagne, Mauvaises Nouvelles, 2013.