Lu par Hop, Livres pour vous, Médiathèque de Fréjus, Palavazouilleux, Stephie.
Lu hors de tout défi. Eh oui!
Un livre qu'on lit vite. Qui conserve cependant une certaine longueur en bouche. Voilà ce qu'est "Nos coeurs vaillants", le roman que Jean-Baptiste Harang a publié au moment de la rentrée littéraire 2010. Distingué par le Prix du Jury Jean Giono la même année, ce roman n'a aucun complexe à se présenter comme un livre de souvenirs. Mais la façon de raconter est telle, avec ses noms qui rappellent vaguement quelque chose au lecteur, ses lieux précisément décrits et son ton nostalgique et faussement bonhomme, qu'on se demande si l'auteur n'égrène pas, mine de rien, ses propres souvenirs en faisant croire qu'il les invente. Bon, d'accord: le jeu de masques entre le réel et le fictif est un vrai sport national chez les écrivains...
La règle du jeu de la mémoire
Avec "Nos coeurs vaillants", l'auteur revisite le leitmotiv rebattu "Je me souviens" de Georges Perec - un mode de narration que lui-même a repris de l'écrivain américain Joe Brainard. Autant dire que Jean-Baptiste Harang s'inscrit ici dans une tradition qui a déjà ses lettres de noblesse. Il y ajoute cependant quelque chose, en intégrant la formule consacrée dans une véritable narration romanesque et en déclinant ses variantes: temps des verbes, négations. Car dire "Je me souviens", c'est accepter de devoir se dire, parfois, "Je ne me souviens pas". Pourtant, ce n'est pas faute de vouloir...
Telle est la règle du jeu, et elle s'installe dans ce qu'on peut considérer comme la première partie de "Nos coeurs vaillants", celle qui précède la lettre anonyme qui va pousser le narrateur à réagir - oh, si peu, mais suffisamment pour que naisse un roman. Celui qui la refuse n'entrera pas dans ce roman, fait de souvenirs finalement anecdotiques pour le lecteur (euh, il est question de colonies de vacances, de scoutisme, de copains et de curés - et même pas d'Agathe, l'absente, dont la seule évocation fait saliver...). Celui qui l'accepte, en revanche, trouvera son bonheur au fil d'un récit qui va juxtaposer, au fil des phrases, l'essentiel et l'accessoire, ceux-ci étant choisis en fonction de ce que la mémoire veut bien retenir. L'expression "L'or de la Loire", prêtée à François Nourissier, est ici emblématique: parfaitement inutile au récit, elle vient cependant le parasiter régulièrement, simplement parce que la mémoire du narrateur a choisi de la retenir, plus que d'autres choses autrement importantes.
On peut aller jusqu'à dire que ce roman est dû à un trou de mémoire, puisque c'est un personnage frustré de n'être pas apparu dans un précédent roman à clés qui a pris l'initiative d'écrire anonymement à l'auteur, son vieil ami d'enfance...
Coeurs et âmes (et corps, aussi)
Et comme l'auteur connaît son métier, il a créé un incipit qui guide le lecteur: "Nos coeurs sont vaillants, c'est la mémoire qui flanche." Le deuxième élément de cet incipit vient d'être explicité; quant aux "Coeurs vaillants", c'est le nom de l'équipe de pas-tout-à-fait-scouts catholards dirigée par l'Abbé T. Ces coeurs ramènent à tout ce que ce roman peut avoir de physique, tout ce qu'il peut receler comme affaires d'attirances et de répulsions corporelles.
L'auteur pose ainsi un poncif, celui du curé aux penchants pédophiles. Il excelle cependant à le creuser, en dépeignant un personnage qui inspecte les douches des garçons et fait asseoir ceux-ci sur ses genoux. L'auteur renonce cependant à suggérer une justice immanente: son personnage de prêtre aux moeurs troubles s'apprête à fêter ses cent ans et à s'éteindre sereinement.
Il y a aussi les amitiés, franches, troubles ou tortueuses. Il y a par exemple le décès d'un ami, des suites d'un accident de mobylette - le coeur perforé par l'un des composants du véhicule. Présenté dès les premières pages du roman, cet épisode fort rappelle que même vaillants, les coeurs ont leurs limites. Et qu'il n'est pas toujours facile de les comprendre. Plus tard, dans les pages où les adolescences se dévoilent, d'autres penchants du coeur, pas forcément acceptés par certains pans de la société, seront également suggérés. Telle est l'ampleur du traitement de ce sujet dans "Les Coeurs vaillants".
Un lien
Reste que la mémoire et le coeur sont intimement liés dans l'esprit de l'auteur, qui fait le lien: "... peut-être en raison de l'expression "mémoire du coeur",..." (p. 46). Cette liaison se fait dans le cadre de la lettre anonyme - qui est justement le coeur de ce roman. Quelle est, dès lors, la meilleure question à se poser par rapport à la mémoire? Se souvient-on mieux de ce qu'on aime? Oublie-t-on facilement ce qu'on aime moins? De quoi donner du grain à moudre au lecteur.
Et après avoir lu ce roman qui met côte à côte la grande histoire, le vécu individuel, les grands axes d'un personnage et les éléments dont tout le monde se fiche, le lecteur se pose, de manière bien verbalisée, une question qu'il a pressentie plus d'une fois: dans la mémoire de chaque être humain, qui fait le tri? Et que retient-on de sa vie lorsqu'il faudra dire, enfin: "Vous jetterez mes cendres dans votre sablier"?
Jean-Baptiste Harang, Nos coeurs vaillants, Paris, Grasset, 2010.
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