Lu dans le cadre des défis Premier roman et Rentrée littéraire.
Il n'a l'air de rien, ce petit livre: "Les heures pâles" est le premier roman de Gabriel Robinson et, mine de rien, il aborde un certain nombre de thématiques au gré d'une intrigue simple à résumer, mais dépeinte avec force détails et une sensibilité émouvante: un policier modèle avoue à sa famille sans histoire qu'il mène une double vie et a une fille cachée, devenue majeure.
La manière d'attaquer le roman n'a rien de neuf. En guise de prologue (chapitre 0), l'auteur relate la scène capitale de son roman: un voyage de deux parents au Mali, afin de vivre un rituel supposé les rendre fertiles. Un propos qui appelle un ton incantatoire - et de fait, l'auteur sait y faire, notamment en faisant disparaître les virgules dans ses énumérations. Et puis, il y a un zeste de légende là-dessous: le mystérieux renard pâle auquel il est fait allusion est tout droit sorti des légendes du pays dogon.
Cet exotisme mystérieux tranche avec la suite, où l'auteur s'efforce, avec succès, de présenter l'existence bien réglée d'un ménage au-dessus de tout soupçon, tout à fait conventionnel, avec pour père un agent de police aux excellents états de service, placardisé pour insuffisance cardiaque. C'est là qu'apparaissent deux thèmes qui vont sous-tendre ce roman: la quête de soi et les relations père-fils.
La quête de soi est, métaphoriquement, suggérée dès le début, par des éléments concrets: le choix d'un blouson de cuir pour "faire comme papa", par exemple. Il y a aussi le choix d'un métier: le métier de policier du père fait écho à celui du fils, qui admet mener un métier "périphérique" à celui de son père. Leur point commun, lieu de résonance? Tous deux mènent l'enquête. Quant à la relation père-fils, elle se décline à travers les activités en commun: rallyes auxquels le fils ne prend pas tout à fait part, rencontre sur le lieu de travail. Autre métaphore, enfin: l'insuffisance cardiaque du père n'est-elle pas l'image d'un amour familial distordu par une double vie adroitement masquée, et fêlé définitivement par sa révélation?
Quant à la langue utilisée, si elle paraît sobre par moments, elle sait aussi s'émerveiller d'elle-même, par exemple en soulignant les connotations et impressions que suscite telle ou telle expression: "ça fait flic" se rapproche de "ça fait chier", et l'auteur dégage joliment l'idée que dans l'adverbe "vraiment", il y a "vrai" et "ment". Bien vu, dans un roman situé entre vérité et mensonge. Enfin, la peinture de la fureur, de la folie même, de l'épouse trompée, passage clé de ce qui se présente comme une "implosion parentale", occupe l'un des plus longs chapitres du livre, soulignant l'importance de ce ressenti - que le lecteur partage: écrites en paragraphes longs et compacts d'où le dialogue est presque absent, elles suscitent immanquablement un sentiment d'oppression.
Un premier roman réussi, donc, signé d'un journaliste et chroniqueur littéraire. Une fort belle entrée en littérature, tantôt conventionnelle, tantôt envoûtante, tantôt simplement emportée sur le rythme d'une chanson d'Eddy Mitchell.
Gabriel Robinson, Les Heures pâles, Paris, Intervalles, 2013.
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