Lu par Cynthia.
Lu dans le cadre du défi "Rentrée littéraire 2013" (2/6).
Merci à Mikaël Hirsch et aux éditions Intervalles pour l'envoi.
Une histoire dans un récit, un récit qui sert de prétexte à raconter une histoire enchâssée: la technique est assez classique. Mikaël Hirsch la revisite avec bonheur dans son roman "Avec les hommes", à paraître le 22 août 2013 dans le cadre de la rentrée littéraire qui démarre ces jours-ci. Citant et paraphrasant Emmanuel Bove, la dédicace que l'auteur m'a faite (merci!) donne une piste de lecture: "On ne raconte pas son bonheur à un homme malheureux; mais peut-on raconter son malheur à un homme heureux?".
C'est que toute l'histoire est observée du point de vue d'un écrivain à succès qui boit un verre avec un ami d'enfance, quelque part à Brest - cela pourrait être presque partout ailleurs, même si l'exceptionnelle rue de Siam est dûment mentionnée. Le personnage de l'écrivain à succès recèle un paradoxe intrinsèque qu'il convient de creuser: alors que la posture d'un écrivain est quand même de se mettre un tant soit peu en avant (son nom est partout, ses ouvrages aussi, il se montre pour dédicacer), le narrateur de "Avec les hommes" fait preuve d'une grande discrétion: il a l'humilité de s'effacer afin d'offrir toute la place à son vis-à-vis. En positionnant ainsi son narrateur, l'auteur interpelle l'écrivain qui sommeille dans le lecteur: s'il décide de prendre la plume, sa première qualité devra être de savoir s'effacer afin de donner toute la place à ses personnages.
Venons-en à l'existence de Paul Rubinstein, ce bonhomme à l'existence atypique qui vient se confier à son ami d'enfance devenu écrivain. L'auteur parvient à lui créer une destinée certes tortueuse, mais captivante. Et si elle paraît captivante, c'est que l'auteur accorde une grande place à l'anecdote, aux histoires étranges et distordues qui interpellent par leur humour discret: une tentative d'installation dans un kibboutz israélien qui s'avérera semblable à un séjour au bagne, une période de vie en trouple, etc. Se succédant à un rythme soutenu, elles maintiennent l'intérêt du lecteur et assurent la qualité de la "surface" du roman. Une surface dont les éléments pointent tous dans la même direction: celle du désenchantement d'un homme brillant à l'école, mais qui a pris un temps fou avant de trouver sa place "avec les hommes", dans la société humaine.
Autre profondeur de ce roman: le lecteur, au terme de sa lecture, peut se dire qu'il est face à deux hommes qui, ensemble, pourraient en faire un seul, parfaitement heureux et équilibré. Dès lors, chacun fait un pas vers l'autre: Paul Rubinstein, présenté (en plus!) comme un écrivain ayant renié sa vocation, va vers l'écrivain confirmé et, implicitement, l'invite à descendre vers lui, à endosser le rôle ingrat de nègre pour écrire son histoire. Cette convergence peut s'exprimer par les mots de l'auteur: "J'étais devenu celui qu'il n'était pas". Le jeu est-il pour autant égal? Non. Le narrateur, l'écrivain donc, si humble qu'il ne se nomme même pas dans le roman, reste maître du jeu: c'est lui, ou sa mémoire, qui décide de ce qui sera raconté. Belle métaphore de la force de l'homme de plume - qu'il soit écrivain, ou journaliste responsable de la révélation (ou non) et de la hiérarchisation des informations dont il dispose.
Et par ce jeu du tri des informations, l'écrivain, homme créatif par excellence, si humble qu'il soit, est en mesure de construire un personnage à partir de la confession d'un être humain bien réel, tel que vous et moi. Ce faisant, il fait oeuvre de recréation du réel, de poésie. Il rappelle aussi les paradoxes que recèle le métier d'écrire. Et enfin, il indique qu'après tout, la recette d'une oeuvre artistique réussie réside dans la rencontre féconde entre un sujet et un poète. Tel est sans doute le message que Mikaël Hirsch a voulu faire passer à travers ce court roman.
Mikaël Hirsch, Avec les hommes, Paris, Intervalles, 2013.
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