Lu par Clara, Cryssilda, Keisha, Pralineries, Sylire.
Lu dans le cadre du défi "Nouvelles" de Lune.
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Imaginez que votre lecture du soir vous soit suggérée comme une posologie: une nouvelle à "lire le soir". Allez-vous en redemander, une fois que la boîte est terminée? Sans doute. Surtout si ces textes sont signés Denis Labayle. Alors ne vous gênez pas. Praticien hospitalier de profession, cet homme tâte aussi de la plume. Après six romans et plusieurs essais dont certains ont fait date, cet auteur est revenu dernièrement avec un recueil de nouvelles intitulé "Nouvelles sur ordonnance".
D'une nouvelle, on attend volontiers quelque chose qui sort de l'ordinaire. Et d'une autre part, l'on apprécie un peu de simplicité de la part d'un médecin. Et surtout, on peut attendre de lui une humanité certaine. Le lecteur qui part dans de telles dispositions se trouvera rapidement dans son élément dans le recueil "Nouvelles sous ordonnance": l'auteur a trouvé un équilibre qui lui permet d'aller loin dans le questionnement du lecteur. "Le Mensonge amoureux", première nouvelle du livre, est à ce titre une belle preuve d'humanité. D'un point de vue littéraire, c'est aussi un bel exercice d'équilibre: il y a le savoir-faire du médecin, sans doute inattaquable en théorie, mais fragilisé par des sentiments et des circonstances qui compliquent tout. Sans se départir d'un naturel certain, l'auteur parvient à dépeindre ses limites face à une situation qui n'a rien d'évident: une jeune femme qui a le cancer, s'avère difficile à vivre... mais dont le médecin devient amoureux.
Il arrive aussi, au fil des pages, que le lecteur se demande qui soigne qui - est-ce l'homme de l'art qu'on vient consulter, ou le bar où le patient a ses habitudes? La nouvelle "Bistrot" pose la question de front; deuxième du recueil, elle jette d'emblée un trouble en demandant qui est le vrai médecin: le cercle d'amis constitué autour d'un bar où l'on boit des verres, ou le docteur qui a fait des études et considère que l'excès d'alcool nuit? L'auteur a le bon sens et la discrétion de ne pas trancher; il laisse ainsi son lecteur réfléchir, sans imposer son point de vue, et lui suggère, mine de rien, que l'art du médecin ne peut pas toujours tout. Au terme de la lecture de cette nouvelle empreinte de tendresse, le lecteur se trouve donc placé face à une grande question: qu'auriez-vous fait à la place du médecin?
Les grandes questions sociales reviennent régulièrement dans les nouvelles du recueil. Partant de cas individuels, elles rappellent à chaque fois qu'il est avant tout question d'êtres humains - et à ce titre, l'auteur paraît faire sienne la maxime "C'est de l'homme qu'il s'agit", énoncée par l'hématologue Jean Bernard. L'auteur le comprend, et prend à chaque fois soin de cerner ses personnages en leur donnant une épaisseur, aimable ou odieuse (voir à ce sujet "L'inquiétant Monsieur Kervert"), mais toujours lisible.
A chaque nouvelle, ce sont ainsi les interrogations d'un médecin qui sont posées au lecteur, par rapport à un cas particulier à chaque fois emblématique. Le lecteur est certes conscient que "Nouvelles sous ordonnance" est un recueil de nouvelles inventées; cependant, la narration à la première personne du singulier et le ton fluide et sans fioritures, qui caractérisent chaque texte, ne manqueront pas de lui donner l'impression que l'auteur vient lui confier ses secrets médicaux et ses souvenirs à l'oreille.
Denis Labayle, Nouvelles sur ordonnance, Brest, Editions Dialogues, 2013.
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