Lu dans le cadre du défi "Nouvelles".
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Jean-Louis Ruffel est un artiste-peintre et écrivain français. C'est à ce dernier titre qu'il a écrit et publié, en 2007, une nouvelle intitulée "Florence". Un texte court et sobre, qu'on lira en une petite demi-heure - mais aussi un texte qui intrigue: qui est Florence, au fond? Une prostituée... ou quelqu'un d'autre? Et qui est l'homme qui la suit jusqu'à l'hôtel?
L'intrigue est minimale, jusqu'à un final surprenant; elle est rendue par une prose très, très sobre, voire minimaliste, misérabiliste même. Des lieux, on ne sait pas grand-chose, si ce n'est quelques éléments de décor qui soulignent le caractère sordide d'une partie du récit. Des personnages, rien de plus que ce qui est indispensable. L'auteur esquisse donc l'essentiel du personnage de l'homme, notamment en exploitant la figure du flash-back afin d'expliquer qu'il n'est pas attiré par les prostituées. On n'en saura guère plus, pas même son nom.
En revanche, on connaît celui de la fille, Florence - et finalement peu de chose de plus. Peut-être une métaphore de l'éternel mystère féminin, face auquel l'homme ne pourrait que rêver et conjecturer? Dans "Florence", c'est un peu ce qui se passe, avec des nuances: le début baigne dans un enchantement qui est soudain brisé par la phrase qui tue: "C'est combien?" (p. 6).
La lecture qui suggère que Florence est une professionnelle ne convient pas, et l'auteur l'indique discrètement, entre les lignes ou en elles. Il y a un geste qui n'est pas forcément celui d'une prostituée: "Un court instant il la vit tendre la main et agripper la manche d'un homme qui passait". Et puis, l'homme est présenté comme peu attiré par les prostituées, avec lesquelles il a eu des expériences déprimantes; dès lors, pourquoi accepterait-t-il de lâcher cent euros pour une passe, plus vingt pour une chambre d'hôtel miteuse? D'autres signes encore, en fin de roman, suggéreront avec discrétion une autre réalité, par un retournement de situation quand même assez magistral.
Je ne dévoilerai pas ici le fin mot de l'affaire, cependant. Cette nouvelle est donc fort dépouillée dans son écriture, quitte à paraître un peu simple (l'auteur abuse un peu du "il" en début de phrase pour parler de l'homme). Là-derrière, cependant, se cache une véritable efficacité et une volonté de dépeindre certaines misères humaines, avec une rouerie certaine qui invite à réfléchir au-delà des apparences et à trouver l'histoire (vraie) derrière l'histoire (apparente).
Jean-Louis Ruffel, Florence, Toulouse, Filaplomb, 2007.