Lu par Alfred Eibel.
Le site de l'auteur: Marc Villard.
Les écrivains sont des personnes comme les autres, un peu crabes, un peu sympas, un peu dragueurs, un peu bêtes et un peu géniaux. L'exercice de démystification est dès lors tentant pour n'importe quel auteur, et Marc Villard s'y est collé l'espace des 95 pages de son petit roman "Avoir les boules à Istanbul". Un titre qui n'annonce pas grand-chose, puisque le narrateur est un auteur de romans policiers qui travaille dans une résidence creusoise, à Blainville plus précisément, où transitent plusieurs écrivains.
Paradoxes et pertinence du journal
L'auteur choisit la forme d'un journal, plus par convention que pour faire vrai, même si l'ouvrage est sous-titré "Journal d'un écrivain en résidence": si le découpage du roman respecte les jours et en donne à chaque fois un flash marquant, la transcription des dialogues et des épisodes a tout du roman. L'accent mis sur l'action plutôt que sur l'introspection peut paraître paradoxale dans un journal; elle est cependant acceptable pour le lecteur, s'il considère que celui qui tient son journal est un auteur de romans policiers, dont l'oeuvre est forcément portée sur l'action.
La mise en scène du récit dans un faux journal peut aussi être vue comme un écho aux mises en scènes téléphoniques auxquelles s'adonne le narrateur, qui se fait appeler régulièrement par son éditeur pour avoir avec lui des conversations factices qui lui donnent de l'importance.
Enfin, la forme du journal est apte à restituer de manière crédible une histoire où il ne se passe pas grand-chose. C'est un choix de l'auteur; il est regrettable, cependant, qu'il n'ait pas exploité de manière plus approfondie ou plus suivie certains éléments de départ, tel le personnage de Cynthia, l'épouse délaissée de l'écrivain, qui réclame sa part des lingots d'or qu'il cache chez lui. C'est un regret: quelques pages de plus auraient été fort appréciées!
La brièveté d'une esquisse
L'ouvrage est bref, je l'ai dit; il a tout de l'esquisse, également. Le narrateur est doté de quelques défauts sommaires: c'est un dragueur impénitent, résolu à défaut d'être toujours fin, et cynique. Ces traits traversent l'ouvrage comme une constante. Ils font contrepoint à la transcription des dialogues entre les autres écrivains, souvent plus préoccupés par d'hypothétiques subventions que par l'accomplissement de leur oeuvre. Les petites manies de chacun sont aussi évoquées: écriture à l'extérieur, pipelettage, etc. Cela, sans oublier les tirages minables et la vente de livres dans les kermesses - dont on se console en se disant que le vrai public est là. Autant de petits travers qui, mis bout à bout, donnent à voir des écrivains finalement fort humains.
Enfin, avec un personnage aussi cynique que le narrateur, le lecteur va s'amuser à plus d'une reprise face à l'ironie féroce qui éclate à plus d'un coin de page. Quant au style, il adopte la décontraction et la rapidité d'un roman policier, ce qui va de soi; il est aussi très agréable, dynamique et sans fioritures excessives. Enfin, tout paraît inventé, à part le département de la Creuse (cadre du livre - mais s'il y a un Blainville au Québec, il n'y en a pas dans le département de Georges Nigremont) et quelques noms d'écrivains (tel Patrice Delbourg). Mais qui sait si, pour créer les divers personnages d'écrivains (poètes, romanciers, etc.) qui se côtoient ici, l'auteur n'a pas pensé à des personnes existantes? L'auteur ne donne pas de clé, mais il n'est sans doute pas interdit de conjecturer...
Marc Villard, Avoir les boules à Istanbul, Nantes, L'Atalante, 2012.
commenter cet article …