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1 mai 2013 3 01 /05 /mai /2013 20:45

hebergeur imageNé en 1949, Jean Tabi-Manga est un linguiste et universitaire camerounais, ancien recteur de l'université de Yaoundé I. C'est à ce titre qu'il a signé en 2000 l'important ouvrage "Les politiques linguistiques du Cameroun, essai d'aménagement linguistique", qui explore dans le détail, sous ses aspects les plus divers, le complexe contexte linguistique camerounais.

 

Ce contexte a été marqué par la présence successive des Allemands, des Français et des Anglais, qui ont tous laissé en héritage un peu de leur langue et de leur culture au moment de l'indépendance, après avoir tenté, successivement, de comprendre et d'agencer la situation linguistique au Cameroun, caractérisée par une "diversité incomparable des langues". Dans les trois premiers chapitres, l'auteur adopte une méthode historique qui décrit les évolutions successives: rôles de la Baptist Missionary Society, de la mission de Bâle et des Pallotins, émergence du pidgin-english, conflits linguistiques dus à la prééminence accordée à la langue duala. Documents à l'appui, l'auteur rappelle également les divers modèles d'aménagement linguistique tentés par les Français et les Anglais, soucieux de donner sa place à chaque langue, que ce soit dans les contacts avec l'administration, la scolarisation, etc. Cela, tout en soulignant la demande, de la part des indigènes au temps des Anglais et des Français, d'apprendre la langue de ceux-ci, perçue comme un instrument d'émancipation.

 

Dans les chapitres 4 et suivants, l'auteur se concentre sur la situation qui prévaut depuis l'indépendance. Le lecteur sera intéressé par la cartographie linguistique détaillée proposée par le chapitre 4, qui décrit de manière détaillée et structurée, région par région, les langues nationales camerounaises, sur la base des travaux de l'Atlas linguistique du Cameroun (ALCAM). Quant aux situations d'utilisation de ces langues, elles sont décrites plus loin. Le chapitre 5 identifie une forme originale de bilinguisme institutionnel camerounais où le français et l'anglais coexistent comme langues officielles. L'avantage revient ici au français, qui n'est pas concurrencé par le pidgin-english dans son usage véhiculaire. Quelques exemples frappants sont évoqués, telle l'université bilingue de Yaoundé ou les efforts menés en vue d'un bilinguisme scolaire (projet officiel "Opération Bilinguisme").

 

En particulier, il est savoureux de parcourir la description que l'auteur fait du "camfranglais", ce mélange typique d'anglais, de français et de langues nationales qui vit depuis les années 1990 chez certaines populations camerounaises. Un langage présenté comme vivace, sans cesse mouvants, avant tout oral même s'il s'écrit parfois, dans une certaine presse ou pour le théâtre. L'auteur relève également le lexique et les procédés de formations de mots français typiques du Cameroun. Loin de toute ambition de pittoresque, cette démarche débouche sur la notion de "langue seconde" qu'il confère au français: pour le locuteur camerounais, elle coexiste avec la langue nationale (qui est la langue maternelle) et se caractérise par une convivialité certaine et par une réappropriation - contrairement à ce que serait le français langue étrangère, privilégiée ou non.

 

Ainsi, de l'école à la radio et à la télévision, des différentes strates de la société aux relations entretenues avec l'Etat, l'auteur brosse de manière détaillée, tantôt descriptive, tantôt analytique voire critique, un tableau captivant de la situation linguistique au Cameroun. A la fois bilan, manuel et travail de recherche, "Les politiques linguistiques du Cameroun" émet enfin quelques propositions en vue d'endiguer un libéralisme linguistique qui ne lui paraît pas satisfaisant. Il développe des modèles de compétences linguistiques quadrilingues qui font appel aux principales langues nationales et véhiculaires usitées au Cameroun, en plus des langues officielles.

 

Jean Tabi-Manga, Les politiques linguistiques du Cameroun, essai d'aménagement linguistique, Paris, Karthala, 2000.


Pour en savoir plus, voir également la recension de Sénamin Amédégnato, ici.

 

 

 

 

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commentaires

N
Hi! Honestly, it is by chance that I came across this book. But it was perfect. I was happy to learn about the different music notes. Anyway, kindly update more details regarding the talk requirements. That would be really beneficial.
G
C'est très intéressant, cher Daniel, le caractère simultanné de nos articles. En effet, Patrice Nganang est surement des auteurs camerounais reconnus à l'étranger, celui qui introduit le plus cet héritage linguistique dans ces textes. Dans La saison des prunes, on retrouve cette variété. Je note cette référence. Une question. Pourquoi le choix du Cameroun, pour analyser un traité de linguistique?
D
C'est un peu par hasard que je suis tombé sur ce livre - cela aurait pu être un autre ouvrage... c'est un peu en marge de mon travail de mastère en administration publique que je l'ai trouvé. Il s'agit d'une lecture fort instructive, bien construite et détaillée, donc exemplaire pour ce qui concerne la description d'un contexte linguistique national. C'est donc fort recommandable!

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