Lu par Delire Girl, Fraizochocolat, Francesca, Frédéric Fontès, Gazelle, Hannibal, La Livrophile, Marco, Thomas Clément.
Lu dans le cadre des défis Thriller et Premier roman.
Le site de l'auteur: Cody McFadyen.
Avouez que pour convoquer le descendant direct de Jack l'Eventreur, un écrivain doit être assez gonflé. Surtout si c'est son premier roman! C'est pourtant ce qu'a osé faire l'auteur américain Cody McFadyen. Publié aux Etats-Unis en 2006, son premier roman "Shadowman" a été traduit en français par Nathalie Gouyé-Guilbert, et publié par Robert Laffont en 2008. Une bonne pioche, assurément, pour un thriller qui a quelques côtés atypiques qui le font sortir du lot.
Première surprise, l'auteur ramasse son lecteur avec la relation des rêves de la narratrice, l'agent du FBI Smoky Barrett. C'est une phase d'introspection nécessaire, qui offre une manière originale de faire connaissance avec la narratrice, mais qu'il faut surmonter si l'on apprécie les romans où l'on entre directement dans l'action! Cela dit, les rêves vont jouer un rôle de leitmotiv tout au long d'un roman dont tous les personnages "gentils" sont confrontés à l'horreur. Quitte à ce qu'il soient prémonitoires, ou constituent un vecteur d'information. Le fantastique n'est pas loin...
Autour d'un mystérieux Jack Junior
Très vite, le lecteur est confronté à des moments abominables, et les amateurs de frissons en auront pour leur argent. Qui est Shadowman, au fond, alias Jack Junior, ce "Jack des Ombres" qui n'a rien à voir avec l'écrivain Jacques Guyonnet? Se présentant comme le descendant de Jack l'Eventreur, il a à coeur de tuer des prostituées. Mais puisqu'il faut être au goût du jour, le criminel tue, dans des conditions atroces (il est coutumier des mutilations et dissections, en particulier de l'ablation d'utérus post-mortem...), des femmes qui animent des sites Internet de pornographie amateur où elles publient des photos d'elles, dévêtues. Cela, en s'appuyant sur toute une philosophie présentée comme délirante, prônant la supériorité de la race des chasseurs.
Autre lien, et c'est original: alors qu'un roman policier ou un thriller classique met en scène un policier qui traque un criminel qui le fuit, la logique fonctionne différemment ici: Jack Junior recherche lui aussi son Abberline, c'est-à-dire le policier qui va le coffrer, comme l'inspecteur londonien Frederick Abberline coffra Jack l'Eventreur en son temps. L'auteur met ainsi en évidence, de manière patente et délibérée, l'aspect "rencontre" qui sous-tend toute intrigue policière, en suggérant que le criminel va au policier comme le policier va au criminel. Résultat: le criminel provoque le policier, qui se sent frontalement attaqué. Les ambiances sont donc celles d'un duel psychologique, quand il n'est pas potentiellement mortel.
Mais naturellement, on reste dans une intrigue policière qui se respecte: l'identité réelle de Jack Junior ne sera dévoilée qu'en fin de roman!
Style et didactique
Le style? On reste certes ici dans ce style coutumier des thrillers qui se lisent facilement et accrochent immanquablement leurs lecteurs en réussissant une alchimie qui convoque la solidité des dialogues, une certaine profondeur de personnages qui explorent à fond leurs caractéristiques et leur personnalité (forces et faiblesses, ces dernières étant utilisées comme cibles privilégiées pour Jack Junior) sans paraître caricaturaux. L'auteur sait cependant rehausser cette base sobre, pour ne pas dire standard, en jouant régulièrement sur les répétitions afin de donner du relief à certaines expressions. Une astuce fort littéraire, qu'on voit trop peu dans le genre du thriller. Cela, sans compter quelques images telles que le dragon qui sommeille en Smoky Barrett, métaphore poétique aisée de sa fureur.
Et puis, il y a les pages didactiques de ce roman. En particulier, on retiendra les descriptions des méthodes d'interrogatoire, ainsi que l'évocation de la programmation neurolinguistique. Est-ce de trop? L'auteur aurait pu être moins didactique et mettre davantage en scène certaines théories: c'est rebutant pour les amateurs d'action pure, qui pourront regretter ces coups de frein dans le rythme du roman. En revanche, les curieux, désireux d'en savoir plus sur les méthodes policières, seront servis, l'auteur faisant montre d'une capacité descriptive certaine.
"Shadowman" est donc un premier roman audacieux, et une première incursion globalement réussie dans le genre du thriller. Réussie parce qu'audacieuse, en ce sens que l'auteur a osé donner un rôle à l'introspection et au rêve dans un roman par ailleurs bien construit. Qui sait? Il pourrait même vous donner des cauchemars...
Cody McFadyen, Shadowman, Paris, Robert Laffont/Best-Sellers, 2008.
commenter cet article …