Lu par Keisha, Natacha Polony.
Merci aux éditions L'Editeur et à Marianne Ferron pour l'envoi!
Le voyage auquel Marie-Estelle Pech, journaliste au Figaro, invite ses lecteurs, présente la fascination presque malsaine que l'on peut ressentir dès qu'on s'intéresse à quelque chose de sulfureux. "L'Ecole de la triche" aborde en effet les mille facettes de la fraude en milieu scolaire, de l'école primaire jusqu'au doctorat, en passant par les prépas et les formations spécialisées. Son ouvrage fait le tour de son sujet, c'est le moins qu'on puisse dire, à la façon d'un reportage agencé en un habile crescendo.
Après une introduction synthétique, le lecteur est en effet convié à découvrir que la triche en milieu scolaire ne date pas d'hier; l'auteur détaille les méthodes qui avaient cours au Moyen Age puis au dix-neuvième siècle, en dévoilant en particulier la figure du "versionneur" ou du "passeur", chargé de passer les examens à la place d'un étudiant défaillant: certains en ont fait leur métier.
Enseignant, étudiant ou observateur intéressé, le lecteur sourira volontiers à l'exposé des astuces exposées ensuite. Il y a évidemment les grands classiques (antisèches, regards en coulisses, échange de copies), mais l'auteur détaille aussi les systèmes qui ont pu voir le jour à la faveur du développement des nouvelles technologies: téléphones portables avec des cours en mémoire, smartphones - il existe même des sites Internet offrant des auxiliaires pratiques aux tricheurs et plagiaires - on le conçoit facilement, Wikipedia est également identifiée comme source facile de thèses auxquelles il manque quelques guillemets.
L'auteur développe également, au fil de chapitres abordant successivement divers points de vue, toute une sociologie du tricheur. Elle identifie les motivations des tricheurs, leur profil (les cancres, mais aussi les premiers de classe qui veulent des notes meilleures encore), leur sexe même (les filles trichent moins que les garçons). La question du regard porté par les différentes cultures et nations sur la tricherie est également abordée; on découvre ainsi que les nations scandinaves sont les plus intransigeantes en la matière, alors qu'en Chine, selon un témoin cité par l'auteur, "le plagiat, [...], est perçu comme une expression de respect de l'autorité des experts; la triche est vue comme effort de solidarité collective" (p. 196). Cela dit, ce petit livre s'intéresse avant tout au système français et à ses failles, explorant les coulisses du bac et interrogeant des acteurs, enseignants, surveillants, recteurs, parfois pris entre le marteau et l'enclume.
Le business de la triche est également abordé, qu'il s'agisse de la rédaction de dissertations par des tiers contre rétribution (certains en vivent très bien) ou du trafic de diplômes universitaires. Cela, sans oublier le phénomène des universités qui décernent des diplômes sans qu'il soit nécessaire d'en suivre les cours. Ces "moulins à diplômes" font l'objet d'un chapitre montrant que le travail est souvent bien fait: les faux diplômes de véritables universités peuvent être à l'épreuve d'une vérification.
L'ouvrage s'achève sur la question de la faillite morale de notre société. Une conclusion annoncée au fil des pages: certains agissements ne sont d'ores et déjà plus perçus comme de la triche (pomper sur Wikipedia ou recopier un exercice pour un devoir, par exemple), et certains tricheurs en arrivent à justifier leur pratique par le développement de compétences telles que la débrouillardise, fort utiles dans la vie qui s'ouvre au terme des années d'études. L'auteur n'oublie pas de suggérer que la tricherie en milieu scolaire peut être le prélude à la fraude dans la vie. Et l'ultime chapitre interroge chacun d'entre nous: en présentant en permanence, avec complaisance ou d'un air faussement scandaleux, des modèles de succès trop faciles pour être honnêtes, notre société n'incite-t-elle pas à la triche? Et sa moralité n'est-elle pas en train de se déliter?
C'est donc un voyage passionnant à travers la galaxie de la triche qu'offre "L'Ecole de la triche". Ecrit dans un style journalistique plein d'aisance, ce petit livre se dévore avec bonheur. Peut-être rappellera-t-il des souvenirs à certains lecteurs nostalgiques des épopées de leurs années d'école?
Marie-Estelle Pech, L'Ecole de la triche, Paris, L'Editeur, 2011.