La fin d'une époque, quelques vies simples qui vont se desséchant au terme des jours, des lieux qu'on habite et qu'on imprègne de son âme avant qu'un beau matin, quelqu'un s'avise de réécrire le territoire à grands coups de bulldozer. Voilà les quelques pistes que l'écrivain Xavier Houssin explore, avec sobriété et pudeur, dans le bref roman "16, rue d'Avelghem", publié en 2004 par Buchet/Chastel et lauréat, la même année, du prix Marguerite-Audoux.
Bref, ce roman l'est assurément, puisqu'il pèse 153 pages tout mouillé. Cette brièveté se retrouve dans la faible longueur des chapitres et dans le choix, de la part de l'auteur, d'écrire en phrases courtes. Tout, dans ces options stylistiques, dit au lecteur la fugacité de choses et des êtres. Au niveau narratif, cela se retrouve dans l'omniprésence des morts, parfois celles d'enfants en bas âge, voire d'un poussin qu'on vient d'acquérir. Les évocations de la guerre sont aussi là pour rappeler la brièveté et l'arbitraire de la vie, de même que le fait que dans la rue d'Avelghem, où se tient l'action, se trouve également un cimetière, avec un carré réservé aux enfants.
Pourtant, si brève et fugace qu'elle soit, la vie mérite d'être donnée, suscitée, protégée, développée. Dans "16, rue d'Avelghem", elle est tractée par la figure de Joseph Lapierre, père de famille à l'ancienne mais très actif, qui fait pousser son jardin et s'investit beaucoup pour que sa demeure soit plus belle, plus agréable. Et puis il y a les enfants, les animaux qu'on élève (des poulets, en particulier). Par ailleurs, Dieu et la religion catholique sont omniprésents, comme la promesse d'un au-delà meilleur, par exemple à l'occasion des funérailles de Joseph. Et bien sûr, habitée, la maison acquiert pour ainsi dire une vie propre.
L'auteur parvient en effet à faire du numéro 16 de la rue d'Avelghem un personnage à part entière de son roman. C'est un lieu qu'il faut apprivoiser, ce qui ne va pas de soi si l'on observe les réticences persistantes d'Angèle, épouse de Joseph, face à ce nouveau logis familial. Chacun y trouve par ailleurs ses marques, lieu de vie ou d'études; chacun l'apprécie à sa façon, lui donne une parcelle de son âme. Et c'est ainsi qu'au terme du récit, le lecteur se retrouve presque triste de voir disparaître ce lieu, ainsi que le quartier historique qui l'entoure (préservé de la guerre, non des promoteurs), au profit de bâtiments "modernes", déjà à leur tour dépassés aujourd'hui.
Loin des grands desseins du monde même si ceux-ci sont présents en arrière-plan avec les échos des deux guerres mondiales, du Front populaire et de l'évolution du tissu industriel de Roubaix, c'est donc des vies simples que ce récit relate, un récit qui s'intéresse aux bonheurs et malheurs minuscules et essentiels, faim, amours, peurs, existences enfin, des gens les plus ordinaires. C'est aussi cela que la brièveté des phrases, des chapitres, du roman même, reflète.
Xavier Houssin, 16, rue d'Avelghem, Paris, Buchet/Chastel, 2004.