Lu par Jérôme Cayla (auteur de "Mathilde"), Kylie Ravera (auteur de "La Tentation de la pseudo-réciproque")
Défis Littérature belge et Nouvelles.
Le blog de l'auteur.
Si les concours de nouvelles ont un mérite, c'est celui de faire connaître des auteurs. C'est en marge de celui organisé par la police de Liège en 2011 que j'ai fait la connaissance de l'écrivain Isabelle Baldacchino: sa contribution et la mienne ont trouvé place dans le recueil collectif de nouvelles "Strip-Tease", publié par Luce Wilquin. De cette publication commune, il m'est resté une curiosité: savoir ce que la talentueuse Isabelle Baldacchino écrivait d'autre. Alors, quand les éditions Quadrature, sises à Louvain-la-Neuve, m'ont proposé de recevoir son premier recueil, "Le manège des amertumes", en échange d'une chronique, je n'ai pas hésité une seconde. Donc merci à l'éditeur... et à Isabelle Baldacchino, pour les heures de lecture!
La lecture du blog de l'auteur laisse attendre quelque chose de rigolo et d'ironique. Force est de constater qu'avec "Le manège des amertumes", l'auteur va donc surprendre son lectorat. La nouvelle la plus proche du blog est certes "Journal sporadique", dans le ton si ce n'est dans le propos, mais le lecteur constate bien vite qu'il y a autre chose dans ce premier recueil.
C'est que chacune des 105 pages de ce recueil de nouvelles est traversée par un climat d'amertume, dépeint par des personnages qui ont connu une déception, un bonheur non atteint et regretté, ou portent une fêlure. Chaque cas est cependant fort différent, et l'auteur parvient, discrètement, à donner une voix différente à chacun de ses textes - souvent des portraits, qui savent toucher le lecteur. Ses personnages sont un jeune homme apparemment sans histoire, une enfant muette séquestrée par un vieux, une boulangère qui exerce son métier avec fierté, une vieille dame frappée de démence. Et la mort, réelle, probable ou fantasmée, fait partie des sujets qui traversent le recueil. Le coma, sujet du premier texte, n'annonce-t-il pas du reste la couleur?
En contrepoint à la question de la mort, il est souvent question, dans "Le manège des amertumes", de l'enfance et des naissances, vécues ou non. A ce titre, la nouvelle "A cet enfant que je n'aurai jamais" fait figure d'entrée en matière sérieuse, en reprenant l'argumentation de celles qui prétendent avoir choisi de ne pas avoir d'enfant: quelle sera la fin du personnage bravache mis en scène? Enfance également dans "Emilie", dont l'histoire paraît faire écho à celle de Natascha Kampusch, et où l'auteur crée, à force de répétitions, la ritournelle d'une personne qui, enfermée entre quatre murs, a perdu la notion commune du temps et s'en est créé une autre, personnelle.
Le lien est évidemment celui des amertumes, omniprésentes, et à ce titre, "Le manège des amertumes" fait partie de des ouvrages qui interpellent le lecteur en lui parlant de sa propre existence, à son niveau. Du point de vue de la construction de ce recueil, l'auteur parvient cependant à aller un pas plus loin en offrant une dernière nouvelle, sans doute rédigée pour la circonstance, qui convoque tous les personnages de ce recueil et lui offre ainsi un ruban soigneusement noué pour que tout tienne ensemble. Amer, ironique, dur par moments, ce recueil de nouvelles est donc, plus qu'une série de textes regroupés sous une belle couverture, le fruit d'une réflexion dûment pensée à laquelle l'auteur a offert un cadre évident pour le lecteur. Tant mieux: on se retrouve donc dans une oeuvre complète, qui constitue un petit univers à elle seule.
Isabelle Baldacchino, Le manège des amertumes, Louvain-la-Neuve, Quadrature, 2013.
Note: la correction du manuscrit a été effectuée conformément aux "recommandations orthographiques de l'Académie française". Cette option mérite un billet à elle seule; ce sera pour un de ces prochains jours!