Lorsqu'il faut écrire un roman, l'exotisme est toujours un élément porteur. Il est certain que Charles Poitevin le savait lorsqu'il a écrit "Otary Club", son premier roman, publié dans le cadre de la présente rentrée littéraire par les éditions Rue Fromentin. Reste qu'au terme de la lecture de ce texte (autobiographique peut-être), le lecteur sera quelque peu partagé, pour ne pas dire décontenancé.
D'un côté, chacun s'accordera que l'auteur a eu de bonnes idées, suffisantes dans l'absolu pour créer un bon sujet: un personnage au caractère bien trempé envoyé aux antipodes à des fins prédendument humanitaires, la mise en scène d'un choc des cultures - pour ne pas parler de civilisations. Moyennant une analyse au scalpel, fine ou s'en donnant à tout le moins l'apparence, l'auteur aurait pu réussir un roman de premier ordre et s'imposer d'emblée comme "l'auteur qui dérange" de la rentrée littéraire 2011.
Or, il n'en sera rien. Pourquoi? Certains esprits chagrins diront que son éditeur n'a pas "le format". Mais à mon humnble avis, le problème est ailleurs...
L'exercice que l'auteur se propose de réaliser n'a, il faut le dire, rien d'évident. Il invite en effet le lecteur à suivre, sur plus de 200 pages, le personnage de Charles. Or, Charles est éminemment antipathique: il s'agit d'un post-adolescent immature qui ne pense qu'à boire, à faire l'amour avec de jolies filles et à fumer de joints; son orientation sexuelle elle-même n'est pas franchement claire, malgré certaines affirmations péremptoires. Présenté ainsi, Charles est parfaitement odieux. L'auteur se préserve cependant quelques portes de sortie de ce côté, en laissant entendre que Charles a bon fond (ce que son entourage donne à voir) et qu'il a parfois quelques éclairs de lucidité. Mais le lecteur ne se laisse pas leurrer: Charles n'est pas intéressé par le lieu où il va vivre pendant plusieurs mois; il ignore même où se trouvent les îles Fidji et qui y habite.
Ainsi donc le lecteur est-il confronté à un gamin détestable. Va-t-il évoluer dans le cadre qui lui est imposé? Alors que le héros de "Gourou" de Camille de Casablanca sort grandi de l'épreuve, Charles ne progresse guère face à l'inconnu, et fait figure de personnage buté dans ses clichés. Clichés? Tel est peut-être le fond de ce récit, et sa principale faiblesse.
C'est que l'auteur passe du temps à mettre en scène un lieu et des personnages finalement assez convenus. Il est difficile de voire en Charles l'archétype d'un certain genre de touriste, qui se sent bien partout à condition que ce soit comme chez lui. Cliché du Français en goguette? Je ne trancherai pas, l'expérience m'ayant enseigné que la réalité dépassé les clichés. C'est donc avec un certain agacement que j'ai aussi découvert le regard porté sur les Allemands, présentés comme des gens physiquement gros (ah, la bière!), travailleurs, décontractés dès qu'il s'agit de draguer (n'est-ce pas Betty?) et végétaliens - comme s'ils ne savaient pas que les pousses de soja étaient mortelles, en particulier en Allemagne. La clé même du récit (eh oui, Adolf Hitler est une ordure, c'est de notoriété publique et universelle, et celui qui dit que le Führer est un grand homme est forcément une autre ordure) me paraît un peu facile. Cela, sans parler de la critique des milieux de bienfaisance: dans "Déroutes", Laure Lugon Zugravu fait nettement mieux mouche.
C'est ainsi, dès lors, que j'ai perçu ce roman: comme une tentative de faire se confronter des clichés. Malheureusement, une telle démarche n'a pas permis de créer une richesse nouvelle dans le cadre d"Otary Club". Charles, le narrateur, ne va pas au-delà des présupposés et préjugés; et, incapable de chercher à comprendre l'autre, il ne trouve guère de quoi s'enrichir autour de lui, même auprès des indigènes. Autant dire qu'il est peu évident, pour le lecteur, de trouver sa place dans cet univers.
Reste cependant quelques idées narratives qui méritent d'être relevées - et, pour l'auteur, d'être approfondies dans un prochain opus. Le lecteur se trouve en effet confronté à un procédé extrêmement visible: les dialogues de ce roman sont rédigés en majuscules. Cela donne l'impression que tout le monde gueule dans ce récit, s'il le faut dans un anglais pourri. Cette impression bruyante renvoie à procédé dont l'auteur use et abuse, consistant à répéter certains mots et adjectifs parlants, en particulier en matière de couleurs. Cela offre une impression de saturation du propos, rappelant l'illustration de jaquette de l'auteur, particulièrement pétante.
Autant dire que je suis sorti un rien mitigé de ce roman, plein de bonnes intentions, mais finalement assez bruyant - et qui manque sa cible parce que son personnage principal n'est pas parvenu à me guider à travers ses idéaux et ses aventures.
Charles Poitevin, Otary Club, Paris, Rue Fromentin, 2011.
Merci aux éditions Rue Fromentin pour l'envoi!