Qui sont les Romands? Une espèce bizarre qui mérite qu'on s'y intéresse... c'est en tout cas le fondement
de l'enquête menée par François Cherix sur la population francophone de Suisse. Ses investigations ont pris la forme d'un livre, "La question romande", préfacé par Gilles Marchand, directeur de
la Télévision suisse romande, et publié l'an dernier aux éditions Favre.
On pourrait évidemment liquider la question en déclarant, à l'instar de certains auteurs, que la Suisse romande, ou Romandie, n'existe pas. Trop facile et surtout faux, répond François Cherix, qui brosse dès lors les contours d'une identité romande qui évite à la fois l'écueil identitaire de type "extrême-droite", qu'il condamne, et l'écueil inverse, consistant à nier aux Romands toute identité fondée sur des traits communs autres que la langue et à les fondre dans une Suisse indifférenciée donc alémanique. Reste à trouver ces traits qui relient le Chaux-de-Fonnier au Genevois, le Delémontain au Sierrois, sans oublier le Fribourgeois...
Le versant historique de l'approche de François Cherix est dominé par l'idée que le Romand est un "Secondo de 1848", en ce sens qu'il n'est pleinement suisse que depuis cette année, qui est aussi celle de la fondation de l'Etat suisse moderne. A cet élément, l'auteur greffe, Simplon à l'appui, l'idée que la Suisse romande a toujours été un pont entre les différentes nations européennes - et que c'est de là que naît une certaine ouverture du Romand, ouverture à l'Union européenne par exemple, démontrée par le clivage entre régions linguistiques révélé par le scrutin du 6 décembre 1992 sur l'entrée de la Suisse dans l'Espace économique européen.
Tout cela pourrait déboucher sur un dynamisme spécifiquement romand... or, il n'est pas évident de le cerner. Sans se noyer dans des finesses, l'auteur tente le coup. L'image du "Romand aux fenêtres" est récurrente sous sa plume - celle d'une personne goûtant la position de spectatrice mais volontiers timide voire louvoyante dès qu'il s'agit de passer à l'action. Cela, d'autant plus que la minorité romande doit composer avec la majorité alémanique, ce qu'elle fait consciencieusement, en ayant soin de ne pas faire exploser les institutions présentes. Cette timidité, il s'agit de la surmonter, pourtant, puisque la Romandie est une région pourvue d'atouts. François Cherix le rappelle, puisant dans des enquêtes récentes démontrant que l'économie romande est plus dynamique que sa grande soeur alémanique.
Les exemples tirés d'études et d'événements récents constituent certes un élément important de ce livre; mais celui-ci est également nourri d'extraits d'entretiens avec des personnalités romandes. Le lecteur peut regretter qu'il n'y ait pas, dans l'échantillon, de personnalité issue de la droite bien assumée, conservatrice (UDC) ou libérale (radicale); mais force est de constater que les profils restent divers, bien que souvent europhiles: monde des arts, de la politique, de l'économie, etc.
L'auteur profite enfin des pages de ce livre pour rappeler qu'il convient d'aller plus loin, dans la conception de politiques publiques ou d'institutions, que les frontières étroites des cantons. L'étude de François Cherix se présente d'ailleurs comme novatrice: si de telles démarches ont été effectuées au niveau cantonal, rares sont celles qui ont tenté de cerner la Romandie. Et en définitive, le Romand devrait se reconnaître, globalement, dans l'un ou l'autre, voire dans plusieurs des traits typiques de mentalité ou de caractère décelés par l'auteur de cette étude qui, si elle fait parfois montre d'un certain lyrisme, s'avère également précise, dépourvue de militantisme mais, à certains moments, quand même presque exaltante.
François Cherix, La question romande, Lausanne, Favre, 2009.