Plus de sexe, plus de fric et de hype, plus de godemichés mais aussi plus de spiritualité: telle est d'emblée l'impression que le lecteur a lorsqu'il tourne les premières pages de "Cantique de la racaille opus 2", dernier roman de Vincent Ravalec. Celui-ci vient de paraître aux éditions Fayard; il s'agit d'un roman riche en péripéties brossant un portrait réaliste de l'humain dans toute sa complexité, capable d'être à la fois la pire racaille et l'objet des plus beaux cantiques.
Un pont entre deux romans
"Cantique de la racaille opus 2" s'ouvre sur la sortie de prison de Gaston. Le lecteur de "Cantique de la racaille" se souvient de ce personnage obnubilé par l'argent, si possible facile, au caractère entreprenant et audacieux. En prison, Gaston a mûri, en particulier au contact de Hepner, son compagnon de cellule. Cette maturité, on la retrouve dans le rythme du roman: la juxtaposition segmentée, haletante, d'idées qui caractérisait "Cantique de la racaille" disparaît au profit d'une phrase plus longue, à la foulée plus ample, qui respire mieux. Les traits argotiques ont disparu eux aussi. Reste qu'en conservant un zeste discret d'oralité, l'auteur démontre qu'il ne s'est pas renié.
Certes, "Cantique de la racaille opus 2" se suffit à lui-même. Mais quelques éléments du volume 1 viennent créer des réminiscences dans l'opus 2. Dans les deux romans, par exemple, ce sont des godemichés qui sont à l'origine du décollage de Gaston. Alors qu'ils servent au vol d'une voiture dans l'opus 1, ils interviennent dans l'opus 2 sous la forme d'une collection, prêtée par... Bruno, personnage récurrent, devenu une loque humaine minée par la cocaïne. Marie-Pierre, égérie de Gaston dans le tome 1, est présente aussi, mais elle a coupé les ponts.
Au-delà d'un rôle de passeur ou d'utilité, donc, ces personnages n'interviennent guère dans le récit. Marie-Pierre va jusqu'à mentir à Gaston pour avoir la paix: décidément, les année 1990, le temps du franc français et des magnétoscopes de contrebande tombés du camion, c'est fini. Même si, après coup, Gaston a l'impression d'avoir été un précurseur avec Extramill, foin de l'ambiance de loose du premier roman: le héros, mû par son irrésistible esprit d'entreprise, vise plus haut, plus loin.
Une époque de masques
Quinze ans de prison, ça vous change un homme, nous l'avons vu. Mais surtout, ça vous transforme un monde. Gaston et le début du vingt et unième siècle vont-ils réussir leur rendez-vous?
Répondre par la négative serait mal connaître Gaston - et la première partie du roman le présente au lecteur comme un ex-taulard fidèle à lui-même, débrouillard, qui, telle une mauvaise herbe autosatisfaite, prospère sur n'importe quel terreau. Le métier de paparazzi lui permet ainsi d'engranger quelques succès d'ordre professionnel, mais aussi financier. Et aussi de découvrir un monde où règnent les masques et les feintes. Il le découvre dès le départ: ce sont les pseudonymes sur Internet et dans la vie réelle, les jeux de masques dans les parties fines organisées sur des yachts pour des stars richissimes et désoeuvrées. Paparazzi, il doit par ailleurs démasquer ses cibles.
Internet, ai-je dit? Le roman ne fait de loin pas l'impasse sur les technologies de l'information et sur les outils de la modernité sous toutes leurs formes, et là aussi, Gaston se trouve immédiatement comme un poisson dans l'eau. Le lecteur pourra trouver intrusives toutes ces marques que l'auteur cite: Facebook, Adopteunmec, Meetic, iPod, Blackberry, Livebox, etc. Il pourra aussi trouver pénible d'être brusquement pris à partie: pour découvrir un élément filmé du roman (dispensable) assorti d'une interview de l'auteur, il lui faudra lire un code avec son téléphone portable, moyennant l'installation (pas tout à fait gratuite) d'un petit logiciel.
Vingt et unième siècle spirituel
Dans le titre, le terme de "cantique" renvoie à des connotations spirituelles, pour ne pas dire religieuses. Alors qu'elles étaient allusives et discrètes dans "Cantique de la racaille", elles prennent le devant de la scène dans "Cantique de la racaille opus 2". Cela apparaît dès la première tête de sous-chapitre, intitulée "Jésus s'éclipsant du tombeau". A partir de là, Gaston évolue en ayant en permanence l'idée qu'il y a autre chose que la vie matérielle - même si celle-ci compte beaucoup, comme le suggèrent ses velléités de monter une exposition de photographies sur l'argent.
Spiritualité donc... au degré zéro, Gaston se retrouve dans une église afin d'honorer un rendez-vous plutôt mercantile avec un commanditaire. Plus tard, le voilà désemparé lorsque, ayant besoin de prier pour faire comme tout le monde, il lui manque les mots et les gestes. Et naturellement, la vie de l'âme occupe une place essentielle du fait que tout le fonctionnement de Gaston se fonde sur une sorte de yoga que Hepner lui a inculquée et qui lui donne quelques habitudes structurantes.
Reste que ce yoga a quelques coulisses peu agréables qui vont conduire Gaston un peu partout en Europe, en Egypte et en Israël, carrefour des trois grands monothéismes, où il va se retrouver à dialoguer, entre autres, avec un pope aveugle en vue de, peut-être, se débarrasser d'une sorte de "logiciel" qui hante ses pensées, dirigeant ses rêves vers l'or et le pétrole. Enfin, la rédemption par l'amour (avec la fille de Hepner, étrange renversement des choses puisque Hepner est finalement moins amène qu'il n'y paraît), suggérée par le prière d'insérer lui-même, n'est-elle pas le message fondamental d'un christianisme bien compris?
L'importance du jeu
"Le Jeu" est le titre d'un ensemble de romans de Vincent Ravalec, comprenant en particulier "L'effacement progressif des consignes de sécurité". Dans "Cantique de la racaille opus 2", Vincent Ravalec se souvient qu'il convient de jouer avec ses personnages, et de les faire jouer. Jouer, c'est inventer des univers, ce qui arrive fréquemment dans une très ésotérique troisième partie. C'est les envoyer aux quatre coins du monde, leur faire subir mille avanies. C'est aussi le jeu de masques, les liaisons dangereuses (Gaston pense quasi systématiquement aux femmes en tant que cibles de jeux sexuels, ce qui peut finir par lasser), la prise de risques. La couverture du livre elle-même suggère au lecteur cet aspect ludique.
Dense roman que celui-ci, roman enthousiasmant donc! Mine de rien, on se laisse emporter par ce Gaston aux ressources étonnantes dont la destinée s'achève en un ultime tourbillon non ponctué au chapitre 15. A tous égards, nous avons là un livre inspiré et dynamique, qui n'a pas à rougir d'être placé à côté de son illustre prédécesseur.
Roman lu en partenariat avec les éditions Fayard/Hachette, que je remercie ici. Cordial merci également à Laetitia, qui m'a proposé ce partenariat!
Commentaire rédigé sans utilisation des éléments multimédia supplétifs évoqués. D'ailleurs, je n'ai pas de téléphone portable...
Vincent Ravalec, Cantique de la racaille opus 2, Paris, Fayard, 2010.