Lu dans le cadre du challenge Premier roman. Il en est aussi
question chez Jean-Michel Olivier.
"Dans
Le Canular divin, tout est faux", commence le prière d'insérer de "Le Canular divin", premier roman de Valérie Gilliard et publié l'an dernier aux éditions de l'Aire. Tout faux? On
peine un peu à le croire en découvrant les débuts de cette enseignante dont la destinée est narrée dans ce petit livre. Un livre qui s'ouvre cependant sur un chapitre fort pertinemment intitulé
"Mentir". Jeu de vérités et de masques, alors? "Je" est-il ici un autre, ou l'auteur, ou l'auteur rêvé comme un autre? Il s'agit là du récit d'une tranche de vie évadée, heurtée
cependant au principe de réalité et à ses faux semblants.
Au début de son récit, en effet, Zora (la narratrice, mal
dans ses baskets, désireuse peut-être d'être plus "vraie", de moins babiller, d'écrire plus), démissionne de ses fonctions d'enseignante dans une petite ville du canton de Vaud, Yverdon-les-Bains
peut-être - où enseigne l'auteur. Sortie de l'établissement scolaire, sortie du réel qui fait figure, dès lors, d'entrée dans le monde imaginaire: on claque la porte d'une vie
devenue messeyante pour aller voir ce qui se passe dehors.
Et comme la vie est faite de rencontres, l'auteur ne se prive pas d'en raconter. Les retrouvailles avec David, l'ami de toujours, offrent ainsi l'ouverture vers ce moment de méditation autour
d'une pomme, étonnant, qui prendra plus tard le nom de "canular divin" et débouchera sur une scène d'intimité couronnant la complicité de l'instant de canular, présenté comme un temps suspendu.
D'autres rencontres mettent en scène le mensonge des convenances, en particulier lors d'une soirée "bourgeoise bohême" organisée chez un artiste. Elle y raconte l'expérience du "canular divin",
et y croise Ana.
Ana? C'est un personnage de parasite un peu alternatif qui révèle les impossibilités de Zora: impossibilité de mettre dehors cette femme qui s'incruste chez elle et bouscule ses habitudes,
impossibilité de ne pas l'écouter débiter ses histoires, impossibilité de résister à la volonté inébranlable d'Ana d'imposer sa vision du mieux-être à Zora, contre son gré au besoin.
Mensonge là aussi: Ana a pompé ses théories sur le Web, et plante tout au moment où elle devrait donner un séminaire qu'elle a organisé... et pour lequel elle a déjà encaissé de l'argent. Face à
cet ultime mensonge, Zora aura la force d'envoyer paître Ana lorsque, cachée aux Etats-Unis, elle vient la relancer par téléphone. Un voyage un rien onirique à Paris achève de lui remettre les
idées en place. Elle est alors prête à reprendre, dans la société des hommes, la place qui lui convient, après avoir révélé que même le "canular divin" était, comme son nom l'indique, une
blague.
Récit d'une dépression nerveuse? On peut y penser, sans que cela ne soit jamais dit. L'univers psychiatrique est cependant présent en filigrane, car le personnage d'Ana exerce le métier
d'infirmière dans un établissement psychiatrique... elle l'exerce à sa manière. Qui est ici le menteur, la médecine des docteurs ou celle d'Ana, qui cache les pilules de ses patients pour leur
éviter d'être intoxiqués? L'irruption de son patient préféré dans l'intimité de Zora ne montrera que trop qui a raison... et qui porte un masque tout en prétendant détenir la vérité ultime.
"Comment distinguer le vrai de l'entourloupe" (prière d'insérer, à nouveau), alors? Eh bien, en lisant cet ouvrage bref et adroit, qui joue sans cesse sur la corde raide des jeux de convenances
et de pokers menteurs qui sont la règle entre humains. Le tout est porté par une prose claire, fluide, qui flirte avec l'introspection sans oublier la narration d'une destinée à la fois ordinaire
et exemplaire.
Valérie Gilliard, Le Canular divin, Vevey, L'Aire, 2009.
Illustration: le logo de l'éditeur: http://www.editions-aire.ch.