C'est aujourd'hui même que paraît "Le Chapeau de Mitterrand", quatrième roman d'Antoine Laurain (son blog), qui s'était taillé une belle réputation avec le machiavélique "Fume et tue" avant de poursuivre avec "Carrefour des nostalgies". A l'avant-veille de l'élection présidentielle française, l'auteur invite son lectorat à courir après un chapeau... et pas n'importe lequel, puisqu'il s'agit de celui de François Mitterrand, président de la République française de 1981 à 1995- utilisées en toile de fond de ce nouveau roman aux allures fantastiques.
Il doit y avoir une certaine jouissance, pour un auteur, à dépeindre une époque qui n'est pas empoisonnée par une technologie qui rend la tâche trop facile aux personnages. Il n'y aura donc pas de téléphones portables là-dedans, ni de recherches par ordinateur puisqu'en ce temps-là, les Français profitaient du Minitel. L'auteur exploite pleinement les éléments qui ont fait le charme de ces années pour ceux qui les ont vécues à fond: on voit passer Roland Dumas et les ombres d'Yves Mourousi et de Helmut Kohl, on écoute The Final Countdown du groupe Europe, on fume dans les restaurants, Basquiat était encore un artiste relativement abordable pour les collectionneurs, on se souvient de la mode d'alors - Mylène Farmer est même présentée comme "une nouvelle chanteuse"... (p. 49). Et là au milieu, voyage le chapeau Arnys que François Mitterrand a oublié dans une brasserie parisienne qu'on devine très chic et dont un client, Daniel (tiens, presque comme la femme du président) s'empare.
Jusqu'au milieu du roman, le voyage du chapeau est linéaire. A ce titre, il constitue une longue exposition mettant en scène plusieurs personnages, dépositaires tour à tour du précieux couvre-chef. Etrangement, la vie de ceux qui le portent va changer radicalement... en mieux. C'est là qu'intervient l'élément fantastique qui confère le piment nécessaire au récit, en faisant planer le doute sur la question suivante: ce chapeau est-il doté de pouvoirs magiques? Ou doit-on constater, simplement, que le port d'un chapeau donne à celui qui le porte une aura supplémentaire qui impressionne son entourage et dont il peut jouer pour avancer ses pions, sans qu'il y ait quelque intervention surnaturelle? La question est ouverte, et le récit ne tranchera pas. Au contraire: l'auteur conclut son roman sur l'une des phrases qu'on dit les plus mystérieuses de François Mitterrand, prononcée lors de ses derniers voeux de début d'année aux Français...
L'exposition est longue et linéaire, je l'ai dit. A la moitié du roman, cependant, la démarche change: après être passé de main en main, le chapeau se perd, refait surface, voyage loin de Paris, et ses détours vont progressivement passionner le lecteur. Du point de vue de la technique romanesque, ce virage intervient lors de la narration d'un deuxième passage en brasserie par une famille, conçu comme un miroir fidèle de la première visite. Il est souligné par le choix soudain d'une narration épistolaire, qui brise le rythme et induit, enfin, des contacts entre des personnages que, jusque-là, rien ne rapprochait - ni le statut social, ni le sexe, ni les lieux fréquentés, ni les habitudes - et qui, en s'écrivant, révèlent d'autres aspects d'eux-mêmes. Un peu comme si, après avoir été longtemps parallèles, les destinées s'enchevêtraient et se brouillaient autour du chapeau, pour le plus grand bonheur du lecteur.
Et comme le mystère est indissociable de l'impénétrable personnalité de François Mitterrand (souvent présenté en compagnie de silhouettes mystérieuses - est-ce par exemple avec Mazarine Pingeot qu'il visite Venise?), c'est sur une finale à double fond, résumant l'épopée du feutre en un pistage qui a tout du roman d'espionnage, que l'auteur conclut. Cela, non sans rappeler la vente aux enchères qui vit partir le fameux couvre-chef, vendu chez Drouot le 29 janvier 2008. Est-ce celui-ci que le Parti Socialiste a acheté ce jour-là? Va-t-il, tel un talisman, faire gagner le Parti à la rose le 6 mai 2012? Recréant une époque que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître (comme qui dirait), l'auteur parvient, par ce raccourci historique, à donner à "Le Chapeau de Mitterrand" une épatante actualité. Chapeau Antoine!
Antoine Laurain, Le Chapeau de Mitterrand, Paris, Flammarion, 2012.
Merci beaucoup à Antoine Laurain pour l'envoi!