Morale, éthique, sexualité : voilà un cocktail a priori fortement
émotionnel, potentiellement explosif, ou qui pourrait tourner au graveleux. L’auteur de « L’éthique de la sexualité », Norbert Campagna, évite soigneusement ces écueils. Certes, on
l’imagine parfois à un cheveu du fou rire lorsqu’il énonce l’un ou l’autre exemple. Dépassionné et sérieux, son ouvrage tient cependant les promesses de son titre et intéressera donc toute
personne désireuse d’aborder, sous un angle moral bien construit, une thématique dont l’actualité ne se dément jamais.
L’introduction se charge de délimiter le propos, en distinguant en particulier le droit et la morale, distinction que l’auteur utilisera tout au long de son ouvrage en rappelant que ce que la législation permet – une législation en constante évolution – peut très bien être réprouvé par la morale. Dès lors, l’auteur identifie sept critères, complémentaires ou contradictoires, permettant de s’interroger sur le caractère éthique de tel ou tel acte sexuel, ce dernier étant spécifiquement compris comme un acte qui se distingue spécifiquement, exclusivement par le plaisir qu’il suscite chez ceux qui s’y adonnent. Si difficile qu’elle soit à définir, cette notion de plaisir constitue aussi un axe majeur de l’argumentation de l’auteur, qui renonce à définir l’acte sexuel par son hypothétique finalité reproductive : il y a des actes sexuels qui n’ont pas pour but la reproduction (la masturbation), et des modes de reproduction qui se passent de toute sexualité, même chez les humains (fécondation in vitro).
C’est qu’à travers son exploration des différents critères susceptibles de fonder une éthique de la sexualité (nature, modération, consentement, égalité, autonomie, dignité, perfection), l’auteur touche à tout, y compris à ce qu’il peut y avoir de plus improbable. Ainsi le chapitre consacré à l’autonomie explore-t-il de manière approfondie le matraquage commercial auquel chacun est soumis, y compris en matière de sexualité : même si l’on se considère comme « libéré », l’est-on vraiment ? Ou a-t-on troqué, dans le cadre de la « révolution sexuelle », le joug de la religion contre celui du marché ? Le domaine de la prostitution est également abordé, sous des aspects divers, tout au long du livre, que ce soit de manière théorique ou sous forme d’exemples. Cela, sans parler de la vision téléologique d’une certaine conception naturelle de la sexualité (visées strictement reproductives), qui permet d’interroger de manière critique la vision qu’en donne la religion catholique. Enfin, la notion de consentement approche certes le consentement des personnes (en particulier de la femme) qui s’adonnent à des actes sexuels, mais aussi celui des animaux, voire celui des objets dont une personne entend tirer un plaisir de nature sexuelle.
Fondé sur des exemples nombreux et variés, le propos de l’auteur s’appuie aussi sur d’abondantes sources écrites, signées de grands auteurs du présent et du passé. Tout au plus peut-on regretter qu’alors que les thèses féministes sont bien présentes, y compris les plus radicales, l’auteur paraît oublier un peu le masculinisme et l’hominisme. On préférera retenir qu’Emmanuel Kant est convoqué (notion de dignité), de même que la théorie de la « guerre juste » de Michael Waltzer. Nombreux, les documents servant de support théorique au propos sont dûment recensés dans une bibliographie détaillée qui permettra au lecteur d’approfondir tel ou tel point après avoir parcouru le panorama bien structuré, soucieux d’une argumentation progressive, offert par « L’éthique de la sexualité ».
Merci aux Agents Littéraires et aux éditions La Musardine pour l’envoi et l’initiative de ce partenariat.