A l'heure où le Tour de France supplante la Coupe du monde de football dans l'actualité, il est bon
de se plonger dans un petit livre qui jette sur la Grande Boucle un éclairage pour le moins décalé. Son titre? "Bartali sans ses clopes". Il a été publié par le prolifique et protéiforme écrivain
genevois Michaël Perruchoud en 2008 aux éditions L'Age d'Homme. Et d'emblée, le lecteur sent qu'il a affaire à un passionné... un passionné désireux, cependant, d'être lu par d'autres personnes
que des inconditionnels de la petite reine et de l'EPO.
"Bartali sans ses clopes" est construit sous forme de brèves chroniques ayant trait au cyclisme et au Tour de France, faisant alterner portraits rares de cyclistes du passé et du présent (Gino Bartali fumait comme un pompier, François Faber était friand de côtelettes...) et anecdotes issues d'une course plus que centenaire. L'idée qui traverse cet ouvrage est celle de l'opposition à un antidopage forcené qui, à force de vouloir laver plus blanc et de manière parfois fort sélective avec la bénédiction d'une certaine presse, arbore malgré lui des airs de tartufe. Car pour l'auteur, "le Tour n'est pas propre; il est tordu, pouilleux, poilu et il refoule de la gueule; [...]"; la Grande Boucle est aussi, pour lui, un spectacle autant qu'une épreuve sportive.
Une épreuve qui a son péché originel en la personne d'Henri Desgrange, fondateur de l'épreuve, bourreau de cyclistes: non content de leur offrir des étapes impossibles, il leur impose un règlement inhumain et fait discrètement jeter des obstacles sur les routes pour pimenter l'épreuve. Certes, Henri Desgrange a inventé le Tour de France à une époque où le sport devenait très à la mode; mais pour lui, il s'agissait surtout de créer un gros événement, susceptible de faire vendre son journal: "L'Auto". Un événement populaire, donc.
Evénement populaire avec des tâcherons issus de milieux pas forcément favorisés, ouvriers ou autres. Peut-être parce qu'il aime bien tous ces cyclistes, vieilles gloires déplumées et seconds couteaux appliqués, Michaël Perruchoud les charrie bien, relevant en eux des travers pas toujours très sportifs qui font d'eux des "hors-la-loi de la petite reine": victoires arrangées à coups de billets de banque, chutes suspectes, solidarités magnifiques mais mal acceptées par le règlement (le cycliste est très seul sur le Tour de France), etc. L'auteur relève également l'héroïsme de certains pédaleurs qui, littéralement, se tuent au guidon - ou se ruinent la santé à coups de dopage mal dosé et mal assorti (cognac, vin rouge...), jusqu'à ce que mort (souvent prématurée, rançon d'une hypothétique gloire) s'ensuive. Le talent de caricaturiste de l'auteur explose jusque dans le lexique qui conclut ce petit livre.
Il y a dans ces pages quelque chose de "Mort dans l'après-midi" d'Ernest Hemingway. Mais alors que l'aficionado des corridas espagnoles aime à musarder autour de son sujet, Michaël Perruchoud se concentre sur le cyclisme, qu'il décrit avec une gouaille toute genevoise, maniant l'helvétisme à l'occasion (on voit passer du Rivella et des topettes, et les cyclistes helvétiques ne sont jamais loin), l'invective et l'humour à l'occasion et l'hyperbole à chaque tournant (en particulier l'adjectif "surdoué", servi à pas mal de sauces). C'est le livre d'un passionné, donc, mais aussi un tableau passionnant à parcourir, par petites étapes pour ne pas crever au poteau.
Michaël Perruchoud, Bartali sans ses clopes, Genève, L'Age d'Homme, 2008.