Biographie, lue par Fanny, Le Web Pédagogique.
Linus Torvalds, informaticien finlandais, est connu pour être l'inventeur du système d'exploitation en code ouvert Linux, qui l'a rendu célèbre dans le monde entier. Passant pas mal de temps à pédaler sur des PC, il m'a paru intéressant de savoir qui était l'homme qui a créé le système au pingouin. Intitulée "Linux, c'est gratuit! Mais aidez-moi à l'installer.", sa biographie tombe donc à pic. Et sa lecture est enrichissante à plus d'un titre. Et ça nous change de Bill Gates...
D'abord, il y a la découverte d'un homme, Linus Torvalds, Finlandais et surtout geek typique: conformément au cliché qu'on se fait de l'accro des ordis, celui-ci porte des jeans, des T-shirts de congrès d'informatique, des sandales et des chaussettes. On l'imagine donc, pris au dépourvu par un succès inattendu, mais aussi tout à fait disposé, il l'avoue sans complexe, à en profiter. L'argent? Il ne va pas le bouder s'il vient, par exemple; c'est grâce aux jeux d'ascenseur de la Bourse, stimulés par la bulle spéculative d'Internet à la fin des années 1990, qu'il a gagné premier million. De manière plus large, on découvre un homme qui aime se faire plaisir et y est globalement parvenu tout au long de sa vie, depuis ses premières calculatrices (dont le travail était visible, selon lui, du fait que leur affichage clignotait jusqu'à ce que le résultat puisse enfin s'afficher) jusqu'à l'achat de sa BMW Z3 - sans oublier, naturellement, une famille, à laquelle il tient beaucoup, ni ses premiers bidouillages sur le VIC-20 (qui se souvient de ça?) de Grand-Papa.
Autour de lui, c'est aussi la Finlande que l'auteur fait découvrir à ses lecteurs, et ce, avec un humour caractéristique qui traverse tout l'ouvrage. Les moeurs finnoises relatives au sauna (c'est une pièce comme une autre, on y naît, on y meurt et on s'y aime) et l'usage immodéré du téléphone portable, présenté comme typiquement finlandais (même d'une table de bistrot à l'autre, ce qui est paradoxal vu que les Finnois sont aussi présentés comme plutôt peu bavards, et pas du tout liants dans les bars, par Linus Torvalds) sont ainsi décrits avec beaucoup d'esprit et d'autodérision par l'auteur (chap. 1.7), qui montre ainsi qu'il sait aussi rire de lui-même.
L'homme a aussi ses convictions et ses rancunes. Il est par exemple intéressant de découvrir la distance qu'il tient à conserver avec les journalistes (il donne peu suite à leurs sollicitations) - une distance qu'on comprend, entre les lignes, lorsqu'on apprend que les Torvalds sont une dynastie de journalistes et de personnes de l'écrit (sa soeur Sara a par exemple traduit le livre de Linus Torvalds en suédois) avec laquelle Linus entretient des relations complexes (divorce à la suite duquel son père, communiste convaincu, est parti vivre à Moscou; difficulté à vivre avec un patronyme fabriqué que les Finnois ne comprennent guère et estropient systématiquement). D'autres convictions? Linus Torvalds tient à Linux, mais il est aussi très attaché au concept de logiciels en code ouvert (Open Source, en bon franglais). Le droit d'auteur? Il le comprend, il l'accepte, mais le critique également - d'une manière peu claire pour le lecteur, il faut le dire, dans la mesure où une certaine confusion s'installe, dans son discours, entre droit moral et droit d'utilisation. Hédoniste assumé, enfin, Linus Torvalds récuse avec force l'image de "moine de l'informatique" que certains veulent le voir endosser. A ce propos, le titre anglais du livre, "Just for fun", est explicite.
Compte tenu de la rapidité de l'évolution du secteur informatique, il est un peu dommage que cette biographie ait été traduite (par Olivier Engler) dix ans après sa publication en anglais. La traduction n'est pas toujours idéale, et c'est un bémol à mettre à ce livre: certains mots sont malencontreusement répétés au sein d'une phrase, et l'on ne comprend pas bien si Tux, l'animal mascotte de Linux, est un pingouin mutant ou un manchot - sachant, apparemment, que "manchot" se dit "penguin" en anglais et que certains observateurs y voient un vrai manchot Adélie. D'un autre côté, on saluera les efforts réussis d'adaptation du texte par le traducteur, par exemple lorsqu'il s'agit d'exposer toutes les nuances du terme "logiciel libre" (free ware) et des malentendus qui en sont résultés en anglais, conduisant à la création du terme moins équivoque d'"Open Source".
Original, ce livre l'est aussi du point de vue formel, comme je l'ai dit plus haut. Linus Torvalds a en effet dicté son récit dans un magnétophone, et un rédacteur dénommé David Diamond a assuré la transcription et la rédaction. La relation entre les deux hommes a évolué vers l'amitié au gré des activités organisées par David Diamond, et ce dernier, cosignataire, intervient régulièrement pour raconter des anecdotes relatives à la fabrication de cette biographie. Cela commence par un savoureux dialogue tenu alors que toute la famille Torvalds roule en voiture, avec David Diamond en guise d'invité: alors que Linus Torvalds expose sa théorie de l'évolution de la société humaine de la survie à la socialisation puis au divertissement, on perçoit les interférences familiales: la fille qui veut faire pipi, la mère qui relaie ce message, etc.
Genèse, vie professionnelle, convictions et conclusions: voilà une biographie fort complète d'un homme qui a su tracer sa route dans un domaine pas très sexy a priori, celui des systèmes d'exploitation. Il y a beaucoup à sourire dans ce livre, dont on sent qu'il a été écrit avec plaisir. Du reste, si Linus Torvalds n'y avait pris aucun plaisir, nous n'aurions jamais pu le lire, puisqu'il n'aurait jamais vu le jour...
Linus Torvalds, David Diamond, Linux, c'est gratuit! Mais aidez-moi à l'installer., Paris, L'Ecole des loisirs, 2010, traduction d'Olivier Engler.