Thriller, également lu par George Sand, Nourritures, Reading Marmotte.
J. Heska affectionne les titres à rallonge, et en promet d'ores et déjà un pour son prochain roman. Après avoir signé "Pourquoi les gentils ne se feront plus avoir", un conte humain et souriant qui a connu un succès certain, l'écrivain français revient avec "On ne peut pas lutter contre le système". Deux titres en formulation négative, qui ont, surtout dans "On ne peut pas lutter contre le système", un parfum avéré d'antiphrase. Et d'un livre à l'autre, force est de constater que l'auteur a réalisé une mue radicale en abordant le genre du thriller économique.
Le prologue plonge dans l'oeil du cyclone d'une catastrophe financière mondiale sans précédent. Il y a de quoi hésiter dans ces premières pages: le lecteur se demande si les personnages mis en scène sont des traders ou autre chose, et les phrases restent parfois bien sages, un peu trop bien construites pour ce qui, finalement, doit être la description foisonnante d'un cataclysme. Reste cependant l'habileté de montrer un bougre qui vient de perdre toutes ses économies et se montre violent: il ne pourra pas payer d'études à ses enfants, ce que l'auteur dit, conscient que c'est plus parlant de montrer les choses que de se contenter de les expliquer. Et peu à peu, l'histoire s'installe...
... et le contexte se pose: nous avons des écologistes militants débordés par leur propre action, des capitaines d'industrie sans scrupule actifs dans le domaine controversé des OGM et un village africain qui souffre à cause de cela. La distribution des cartes est classique: les militants sont jeunes, idéalistes et l'on perçoit assez vite qu'ils seront les gagnants de l'histoire; face à eux, l'entreprise HONOLA, spécialisée dans les OGM, est assez vite dépeinte comme foncièrement mauvaise. Une caractéristique encore soulignée par contraste par le personnage de Samson, chef de village africain aux prises avec les produits d'HONOLA, qui apparaît trop peu en début de roman, et c'est dommage car cela empêche une adhésion profonde de la part du lecteur, même si la scène du vélomoteur réparé à la fortune du pot a quelque chose de pittoresque. De manière générale, donc, le lecteur aurait attendu quelques nuances dans les comportements, dans les caractéristiques de chaque camp.
Mais même sur de tels fondements, ce roman fonctionne plutôt bien, même si c'est plutôt à des groupes (fonctionnant comme tels) qu'à des individualités (certains personnages sont interchangeables ou insuffisamment travaillés, par exemple Hakim, dont on retient surtout le tic de langage) qu'on s'attache. Si certaines individualités manquent de relief, donc, l'auteur a quand même l'habileté de tricoter une histoire d'amour impossible entre deux de ses personnages, propulsés du coup au premier plan, créant un fil rouge parallèle à l'histoire délirante d'une fausse évolution scientifique supposée enrichir plein de gens - entraînant toute une série de péripéties tenant des grands voyages, des délits d'initiés, des souvenirs de jeunesse, des tueries et de la cavalerie qui, parfois, arrive trop tard - comme dans les films.
Films? Il est vrai que l'auteur utilise un procédé récurrent qui peut faire sourire, à savoir d'innombrables références au cinéma populaire. En particulier, on croisera ici les figures de Harry Potter, Emmett Brown, Marty McFly et consorts. L'auteur lui-même s'autorise l'auto-citation en glissant une allusion fine à son premier roman et en poussant le vice jusqu'à faire revenir le chat Gribouille.
Le rythme du roman, enfin, se fonde davantage sur l'alternance des voix et des formes que sur des ralentis cinématographiques à la Brian de Palma. Le lecteur va en particulier se retrouver confronté, entre deux chapitres narratifs, à des extraits d'émissions de télévision, à la transcription d'un film trouvé sur YouTube, à des échanges de courrier, etc., ce qui est propice à la peinture d'une société où l'information circule vite, très vite. Les dialogues sont nombreux aussi, et font passer une foule d'informations dans des répliques parfois longues. En la matière, on regrettera qu'il n'ait pas été fait plus usage du tic de langage peu naturel déjà évoqué d'un des personnages, qui dit tout le temps "ne... guère" plutôt que "ne... pas".
Pourtant, cela se dévore... peut-être en raison d'un style direct et sans fioriture, qui sait aller à l'essentiel quand il le faut, et sert une histoire où les jeux de rôles et de masques sont nombreux, comme au cinéma, jusqu'à l'épilogue, qui éclaire adroitement tout le roman d'un jour inédit. L'auteur a le temps de mûrir, de perfectionner sa technique. J. Heska est un écrivain à suivre; gageons qu'il se bonifiera encore au fil des romans.
J. Heska, On ne peut pas lutter contre le Système, Dijon, Editions Seconde Chance, 2012.
Lu dans le cadre du défi Thriller.