Lecture commune avec Dementia, El JC, Lexounet, Mr Zombi, Ouliloula, Tale Me More, Taliesin.
D'autres lecteurs: Cachou, Geeks, Seigneur des Annours, Vicklay.
Il y a plusieurs années que j'ai lu "Paycheck", recueil de nouvelles de Philip K. Dick, et il m'avait laissé une impression plutôt positive: chaque texte était très efficace et, sous le couvert d'un récit de science-fiction, posait des questions qui, aujourd'hui encore, restent très actuelles. La lecture commune proposée par Ouliloula m'a donné l'occasion de renouer avec cet écrivain, par l'entremise du roman "Ubik". Et là, force m'a été de constater que la magie n'a pas fonctionné aussi bien...
L'entrée en matière s'avère malaisée, dès les premières pages du chapitre 1, où se précipitent des termes dont le sens peut échapper au lecteur... et qui sont pourtant importants pour la compréhension de la suite du récit: anti-psi, télépathes, etc. Il est ainsi difficile de se faire une image de ce qui se passe ici: un homme, Glen Runciter, va parler à sa femme semi-vivante (donc semi-morte, on le comprend petit à petit) dans un "moratorium", centre construit en Suisse (pourquoi? La Suisse est-elle un pays de morts vivants?...) et qui retarde le décès des personnes, grâce à des technologies ad hoc, afin qu'elles restent encore un peu vivantes.
L'intrigue se met ensuite peu à peu en place, mais elle reste tortueuse: qu'est-ce qui motive vraiment toute une équipe de spécialistes à partir dans la Lune? Y rechercher quelque guet-apens? Y attraper la mort? Le fait est que petit à petit, le lecteur découvre que les points de vue sont inversés: "Je suis vivant et vous êtes morts", lit-on quelque part - phrase emblématique. Sur cette base, le récit s'oriente progressivement vers des mondes délirants, créés au fur et à mesure par un autre semi-vivant, Jory, et dans lesquels évolue entre autres Joe Chip, personnage moteur de ce roman. Là, le lecteur est invité à accrocher sa ceinture de sécurité: la temporalité est pas mal secouée, entre 1939 et 1992, date à laquelle se situe initialement l'histoire.
1992? Il est intéressant d'observer la manière dont l'auteur décrit l'avenir. Cela pose la difficile question de la peinture de l'avenir par l'écrivain. Dans "La Machine à explorer le temps", H. G. Wells avait liquidé le problème en expédiant son personnage principal en l'an 802 701, c'est-à-dire à une époque où personne ne sera là pour vérifier si ce que prédit l'auteur est vrai (sans compter que son roman sera lui aussi probablement perdu). Philip K. Dick prend davantage de risques en brossant 1992. Les ordinateurs tels que nous les connaissons n'ont pas vu le jour pour lui, ni la téléphonie cellulaire. En revanche, il considère qu'on peut communiquer avec les défunts à certaines conditions et voyager dans la lune (et dans le temps, d'une certaine manière, quitte à modifier l'avenir, par exemple les effigies sur les pièces de monnaie) assez facilement.
La société de 1992 recèle par ailleurs une curiosité qui permet à l'auteur de faire quelques gags assez réussis: les objets sont capables de parler, ne serait-ce que pour demander une pièce de monnaie nécessaire à leur fonctionnement. Ainsi, il faut des sous pour faire qu'une porte daigne s'ouvrir. Face à cette situation, Joe Chip est en permanence fauché et sans la moindre monnaie sur lui. Tels seraient les aléas d'une société totalement mercantile, où même les objets seraient inflexiblement vénaux.
Les publicités Ubik entament chaque chapitre, de manière énigmatique. Avec le caractère obsédant de certaines de leurs précisions ("A utiliser exclusivement selon le mode d'emploi", décliné sous diverses formes, par exemple), on se sent en terrain connu: l'auteur a bien flairé la manière dont les entreprises se couvriront contre tout usage non conforme de leurs produits. Reste qu'Ubik n'arrive qu'assez tard dans le récit, et n'y trouve un rôle de panacée que de manière encore plus tardive. Comme on peut s'y attendre, "Ubik" est un néologisme que l'auteur a dérivé du latin "ubique", qui signifie "partout". Et l'omniprésence de la publicité pour ce produit semble suggérer que l'essentiel est dans l'accessoire... alors, pourquoi lire le roman proprement dit et se perdre dans ses méandres spatio-temporels?
Je reste perplexe donc... pour ne pas dire autre chose. J'ai compris qu'on a ici affaire à un auteur qui connaît son métier, maniant les retournements de situation avec aisance et souverain dès qu'il s'agit de faire preuve d'humour. Mais tout cela m'a un peu dérouté... et finalement laissé froid.
Philip K. Dick, Ubik, Paris, 10/18, 1999/2009, traduction d'Alain Dorémieux.