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24 octobre 2012 3 24 /10 /octobre /2012 22:47

hebergeur imageLu par Chevaliers des grands arrêts, La Salamandre.

Lu dans le cadre du défi Rentrée littéraire.

 

Retournons à l'école l'espace d'un billet. Pas n'importe quelle école, puisqu'il s'agit de l'Ecole nationale d'administration, mieux connue sous le nom d'ENA. Olivier Saby, brillant diplômé de la promotion Robert Badinter (2009-2011), a décidé d'écrire un livre sur ce qu'il a vécu tout au long des 27 mois qu'ont duré ses études au sein de l'institution strasbourgeoise. Son titre? "Promotion Père Ubu". Grâce à son auteur, l'école la plus secrète de France (dixit le bandeau) révèle quelques-uns de ses secrets...

 

Au terme de sa lecture, le lecteur aura l'impression que l'ENA est plus une machine à fabriquer du réseau et à sélectionner qu'une école d'excellence où l'on apprend vraiment quelque chose. L'auteur met en effet en avant plusieurs mécanismes de sélection (instaurés par l'école ou mis spontanément en place par les étudiants entre eux) et dessine leur impact sur les étudiants - qui visent tous, évidemment, ce qu'on appelle "la botte", à savoir les premières places du sacro-saint classement final, un classement final qui prend des allures de leitmotiv au fil des pages. L'auteur identifie les comportements qu'ont les étudiants pour être bien classés et, au-delà, pour que rien de ce qu'ils ont fait pendant leurs études (pas même un verre de trop partagé entre amis...) ne puisse leur être reproché durant leur carrière. Il n'oublie pas de relever, par ailleurs, les rancoeurs que peuvent susciter une mauvaise note, une position favorable, un choix de carrière qui ne correspond pas aux attentes - eu égard, bien sûr, au poids de l'enjeu, régulièrement rappelé. Tout cela, selon l'auteur, crée une ambiance constante de paranoïa entre étudiants, enseignants, responsables académiques, etc.

 

L'auteur ne pense pas grand-chose de ce qui est proposé par l'ENA à Strasbourg en matière d'enseignement. Il signale que les intervenants externes sont souvent des suppléants qui, certes énarques, ne connaissent pas à la perfection le sujet dont ils sont censés parler (surtout s'ils le découvrent à la dernière minute). Il relève aussi la distance excessive entre les étudiants et le personnel censé les encadrer. L'ironie est du reste sous-jacente dans le propos de l'auteur, qui rappelle volontiers que le diplômé de l'ENA est supposé tout maîtriser... il signale enfin que les étudiants paraissent peu assidus aux cours, pourtant obligatoires, et s'avèrent parfois plus enclins à profiter du système qu'à apprendre réellement quelque chose d'utile. 

 

Le lecteur savourera davantage les relations des stages imposés par l'institution: un premier stage à l'étranger, un deuxième dans une administration sur le territoire français et un troisième dans le privé. Les plongées dans le concret et les péripéties abondent ici, à l'instar des visites officielles de Rachida Dati et Alain Joyandet à Beyrouth, présentées l'une et l'autre comme navrantes. Côté administration sur territoire français, l'auteur s'est trouvé plongé dans une situation très concrète: faire en sorte que les étudiants ne viennent plus s'enivrer le jeudi sur la Place de la Liberté, à Brest. Échec ou succès? Mes lecteurs finistériens trancheront. Côté privé, enfin, le stage se déroule chez Darty: après leur passage chez les particuliers, les appareils réparés fonctionnent... mais l'auteur constate que ce n'est pas vraiment grâce à ses efforts. Ces contacts avec le terrain lui permettent d'ailleurs d'appréhender le regard pas toujours flatteur des gens sur l'énarque moyen.

 

Usant de manière mesurée d'une ironie qui ajoute du sel à son propos, l'auteur évite l'arrogance dont s'enveloppent d'autres écrivains parachutés dans les hautes sphères de la fonction publique française. Il y parvient en prenant systématiquement du recul par rapport à ce qu'il vit, et en considérant simplement les gens qui l'entourent pour ce qu'ils sont, sans chercher à les enfoncer plus que nécessaire. Il y arrive aussi parce qu'il sait montrer ce qui progresse, cahin-caha, même s'il ne cache pas que ces avancées sont en deçà des ambitions affichées par l'ENA. Le regard proposé est donc certes ironique et sans concession, mais ne cherche pas non plus à démolir inutilement. Pour le lecteur, c'est tout bénéfice: le discours sonne vrai, comme un témoignage vécu et fidèlement relaté, sans complaisance mais sans haine non plus. A ce titre, cet ouvrage est à recommander à toute personne s'intéressant à une formation à l'ENA... et, plus largement, à tout contribuable, citoyen et électeur français.

 

Olivier Saby, Promotion Ubu Roi, Paris, Flammarion Document, 2012.

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commentaires

F
What an excellent initiative by the National school of administration! I would like to extend my sincere appreciation to Olivier Saby for his excellence in academics. He has been consistent throughout. Apparently ENA is still the best in business.
M
Et bien ça taille, je ne souhaite pas faire de formation à l'ENA mais j'ai trouvé ta critique très intéressante, même si ce que rapporte ce jeune auteur ne m'étonne pas quant à notre système<br /> d'enseignement français. Je me suis déjà retrouvée en face de professeurs qui ne maîtrisaient pas leur sujet... Et même dans les instituts privés!
D
<br /> <br /> Merci pour ton message! Le regard de l'auteur sur l'ENA est critique, parfois ironique, mais pas méchant; l'état des lieux est cependant accablant. Pour le reste du système scolaire français,<br /> cependant, je ne sais pas...<br /> <br /> <br /> <br />
Y
Une école qu'en France on ne connaît que de nom ne sachant pas vraiment quelle en est la formation ni les buts affichés. Une nébuleuse enfin éclairée ? Chouette !
D
<br /> <br /> C'est effectivement un témoignage de l'intérieur, par un auteur qui y est passé et a fait tout le cursus. Sans concession, sans haine non plus - mais pas sans un brin d'ironie quand même.<br /> <br /> <br /> <br />

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