Aussi lu par Anne, Laetitia Béranger, Livres dans la poche, Lucile, Pralineries, Tamaculture, Toute Seule.
Encore un instant... allons plus loin, veux-tu? Telles pourraient être les phrases auxquelles on pense en lisant le recueil de nouvelles "Passer l'hiver" publié en 2004 par Olivier Adam aux éditions de l'Olivier. Le titre peut être perçu sans problème comme la métaphore de toute vie humaine où il s'agit d'aller toujours un peu plus loin, ne serait-ce que le temps d'un acte amoureux précédant, peut-être, une séparation définitive ("Pialat est mort").
"Pialat est mort"? Cette nouvelle, la première du recueil, donne largement le ton de ce qui va être proposé au lecteur. L'auteur y oppose deux réalités, celle d'un père de famille ivre mort qui apprend, un beau soir, que le cinéaste Maurice Pialat est mort - et s'émeut au-delà de toute mesure à propos de cet événement finalement lointain - et celle de son épouse, qu'on voit rentrer et s'inquiète des enfants. Le père vivrait-il par procuration la vie de Pialat? La mère, en tout cas, garde les pieds sur terre, un peu à la manière des deux personnages qui s'opposent dans "Déjeuner en paix", chanson de Stephan Eicher. L'alcool, présent ici mais aussi ailleurs (et aussi dans la réalité, en fait...), permet, c'est assez classique, d'accéder à un autre niveau de conscience - supérieur, inférieur, parallèle, intéressant en tout cas. Il reflète par ailleurs l'amertume de certaines situations, de certains vécus dépeints par l'auteur.
Les personnages mis en scène par l'auteur sont intéressants en ce sens que souvent, ils se trouvent au milieu du chemin de leur existence. On pense évidemment à Dante et au début de son "Enfer": "nel mezzo del camin di nostra vita...". Ici, le milieu de vie a quelque chose d'infernalement humain, ou d'humainement infernal: ses personnages principaux sont souvent suffisamment âgés pour ne plus croire aux promesses de la vie - des héros désenchantés, fragilisés, en proie au désarroi parfois - mais trop jeunes encore pour lâcher prise à la manière de personnes plus âgées. Souvent, ces personnages ont des enfants, présents dans pratiquement toutes les nouvelles, et sont un peu à la traîne avec eux. Ainsi paraît se dessiner, dans l'une ou l'autre nouvelle, un certain malaise des "nouveaux pères".
Dans ce contexte, ce sont donc souvent des solitudes qui se frôlent, se touchent, interagissent. L'amour physique est l'une des manières de l'exprimer, donc un thème récurrent du recueil. On pense à ce récit où une jeune femme, le soir du jour de l'An, quitte son travail où elle fait semblant de s'amuser, seule avec une collègue, pour suivre un parfait inconnu qui lui propose d'aller voir la mer - une nouvelle qui s'achève dans une certaine plénitude. On songe aussi à "Lacanau", où la narratrice surprend, dans un immeuble voisin de celui où elle travaille un soir de Noël pour boucler un dossier, un couple d'amants en train de faire l'amour au bureau. Osera-t-on prêter à l'auteur l'idée que s'étreindre en plein hiver tient chaud? A vous de voir, amis lecteurs...
Observation saisissante d'une certaine humanité, ce recueil est porté par un style résolument moderne, pétri de références actuelles (tel Bill Evans) et travaillé. Sobre, il est toujours au plus près du sens et n'hésite pas à appeler un chat un chat s'il le faut; il conserve cependant une aisance toute classique. On sent par ailleurs que chaque virgule est pesée, et que chaque virgule absente (bien que requise) l'est par choix de l'auteur. Suivre les règles de ponctuation, serait signifier au lecteur que tout va bien - d'autant plus que ces nouvelles sont dépourvues de chute et s'achèvent parfois, tout au plus, sur un vague espoir. Or, est-ce que tout va bien dans ces textes? J'en doute... et le style le dit autant que l'histoire.
Olivier Adam, Passer l'hiver, Paris, L'Olivier, 2004.