... Dieu? Tel est le sujet du long appareil théorique qui ouvre, en une pseudo-théologie, l'ouvrage "Métaphysique des tubes", opus
2000 d'Amélie Nothomb. Autant dire que ça commence un peu comme une thèse: la théorie avant l'empirique. Avec un petit côté Evangile selon Saint-Jean détourné: "Au commencement il n'y
avait rien." La théorie se développe sur quelques postulats curieux pour dresser le portrait de Dieu, être inanimé se contentant de manger et de déféquer, ce qui lui vaut d'être appelé
un "tube" (digestif) - d'où le titre, on le comprend en page 9 déjà. L'auteur dénie par ailleurs tout regard à son Dieu (écrit avec majuscule, ce qui rend inévitable la comparaison avec le
Dieu des Chrétiens, au contraire du "tube", écrit avec minuscule, comme n'importe quel nom commun), comme si le regard était l'apanage du vivant...
Quelques contorsions plus loin pour expliquer que les plantes ont quand même un regard (et qu'en est-il de la faune des abysses?) alors que Dieu n'en a pas, voilà que l'auteur passe brutalement
(p. 36) du "il" (genre non marqué) au "je" (première personne du singulier, avec des accords au genre marqué (communément appelé féminin) pour bien montrer que le personnage dont il est
question prend soudain conscience de son identité. Ainsi, on le comprend, c'est de l'enfance d'une fillette qu'il s'agit - une fillette qui fonctionne comme un légume ("la Plante", selon les
parents, avec majuscule) pendant deux ans, donnant relativement peu de soucis à ses parents.
A partir de là, l'idée de "Dieu" s'efface peu à peu. Seule une gouvernante japonaise considérera que celle qui devient la narratrice est un dieu, conformément à une tradition nippone qui veut que
ce soit le cas jusqu'à l'entrée à l'école. Dès lors, peu à peu, on glisse vers le récit finalement assez classique des premières bêtises d'une fillette, jusqu'à l'âge de trois ans. Et l'on
finit par se dire que les délires du début, si pesants ou dérangeants qu'ils puissent paraître, étaient quand même bien inventifs...
Autobiographie? On serait tenté de le penser, tant certains éléments rappellent l'auteur lui-même: enfance au Japon, fille de diplomate, rapport à l'eau et à la nourriture (un thème
récurrent chez l'auteur), etc. Faut-il y croire? Il n'y a là aucun pacte autobiographique, puisque l'auteur a donné à "Métaphysique des tubes" le statut de roman. Autofiction? Je pense
qu'on est dans ce genre-là: un roman qui prendrait pour sujet la vie rêvée de l'auteur elle-même. Petit paradoxe cependant: le livre se termine sur la phrase "Ensuite, il ne s'est plus rien
passé" - or, Amélie Nothomb a trouvé dans sa vie suffisamment de matière pour raconter, dans le cadre d'autres romans.
Vous m'avez suivi? A réserver aux fans, à mon avis, on l'aura compris...
Amélie Nothomb, Métaphysique des tubes, Paris, Albin Michel, 2000.