Un titre explicite pour le dernier ouvrage de la journaliste économique suisse Myret Zaki, qui
vient de paraître aux éditions Favre: "Le secret bancaire est mort, vive l'évasion fiscale". On se souvient qu'elle avait publié, l'an dernier, "UBS, les dessous d'un
scandale", livre technique, complet et fort documenté sur la
banque UBS et les turbulences qui l'ont secouée dans le sillage de la crise des subprimes. Avec "Le secret bancaire est mort", Myret Zaki parle d'autres éléments autrement cruciaux à l'heure où,
sous le prétexte vertueux de la lutte contre la soustraction, l'évasion et la fraude fiscales et en vue de rapatrier des fonds, on tire à vue sur le secret bancaire et sur les pays qui le
pratiquent (dont la Suisse).
Qu'on se rassure: l'auteur ne prend en aucun cas fait et cause pour telle ou telle méthode permettant de mettre sa fortune à l'abri des regards indiscrets du fisc. Défendre le secret bancaire,
entre autres, n'est pas vraiment son affaire. Celle-ci est beaucoup plus intéressante: l'auteur démontre qu'il y a beaucoup plus discret que le secret bancaire: les trusts anglo-saxons. Ces
montages permettent à une personne riche de se dessaisir de sa fortune au profit d'un homme de confiance (trustee), tout en continuant à en profiter. Tout cela peut se faire de manière fort
discrète, par exemple en passant par des places financières réputées pour leur opacité.
A qui s'adresse ce genre de produit? Là, nous parlons de très grosses choses, puisqu'en dessous de dix millions de dollars en poche, il ne vaut pas la peine d'entrer en matière. L'auteur met cela
en perspective avec le secret bancaire, qu'elle présente comme une méthode qui a certes ses défauts, mais offre l'avantage (pour le contribuable avide de discrétion) d'être moins cher - de
l'optimisation fiscale low-cost, en somme, pour reprendre son expression. On comprend donc qu'en s'attaquant au secret bancaire, les grandes puissances cherchent à rapatrier du menu fretin,
facile à pêcher, ou de l'argent mis à l'abri d'instabilités politiques ou économiques.
Les petits ruisseaux font les grandes rivières, dira-t-on. Mais certains trusts parviennent à cacher des milliards de dollars; on boxe donc dans une autre catégorie. Myret Zaki utilise à
titre d'exemple, au chapitre 4, l'affaire Daniel Wildenstein, du nom d'un Français qui avait camouflé pas mal d'oeuvres d'art dans le cadre d'un trust; à son décès, ses enfants ont voulu se
les approprier en excluant la veuve de Daniel Wildenstein de la succession - elle ne s'est pas laissé faire, d'où l'affaire. Je vous laisse imaginer le sac d'embrouilles international que l'Etat
a dû démêler, à grands frais (pour le contribuable), afin de remettre son dû à chacun - y compris à lui-même. Cela en vaut-il la peine? L'auteur pose la question.
Autre élément: l'évasion fiscale n'a même pas besoin du secret bancaire pour vivre (chapitre 3). Grâce aux trusts, la discrétion peut résider dans le secret
professionnel des avocats qui y interviennent, dont le secret est très protégé dans le monde anglo-saxon. Pour se faire discret, le riche a recours à toute une panoplie
d'ustensiles allant du téléphone portable indétectable à la carte de crédit Cirrus anonyme en passant par les prête-noms, les redirections habiles du courrier et les sociétés-écrans
basées dans des pays improbables. Dans ce domaine, tout se passe comme s'il y avait des solutions à tous les problèmes prévisibles, voire imprévisibles, et l'auteur en dresse une typologique bien
fournie. A ce régime, il est facile d'effacer toute trace, toute information en cas de revers.
Alors, la guerre contre l'évasion fiscale est-elle gagnée? L'auteur répond au contraire que le jeu du chat et de la souris avec le fisc se porte à merveille, en ajoutant que la Suisse a fait les
frais ("la Suisse s'est fait avoir", a dit Myret Zaki en interview) d'une guerre économique qui a consacré quelques puissances, dont la Chine (qui monte) et les Etats-Unis (qui comptent bien
garder leur suprématie en la matière, ce dont pâtissent les pays du Sud, à partir du Mexique, qui ont toutes les peines du monde à obtenir quelque coopération de l'Oncle Sam). L'ouvrage est
parfois un peu technique, mais il est bien documenté (documents en anglais, témoignages de personnes), toujours passionnant, étonnant même: qui aurait pensé à tout ce qu'on peut faire pour cacher
ses sous? La conclusion du livre, pourtant attendue à la lumière de ce qui précède, résume l'enjeu: "Aujourd'hui, les trustes [...] sont devenus plus puissants que les Etats, car ils peuvent
s'acheter une légalité qui leur est propre."
Myret Zaki, Le secret bancaire est mort, vive
l'évasion fiscale, Lausanne, Favre, 2010.
Pour en savoir plus (en particulier les liens cités dans le livre): http://www.editionsfavre.com/evasionfiscale.php
Les mordus se référeront au livre de Pierre-Yves Frei,
"La Chute du secret bancaire", également aux éditions Favre.
On en parle aussi chez Francis Richard.